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Full text of "Histoire littéraire du Maine. Nouvelle édition. Tome premier"

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QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 13. 


1870 


PRÉFACE 


Le premier volume de cette Histoire littéraire du 
Maine paraissait en 1843 : il y a vingt-cinq ans, 
un quart de siècke. Jeune alors et tout entier au 
service de mes opinions, j'avais quitté ce toit pa- 
ternel où m'ont ramené l’âge et nos revers, et 
j'étais allé dans le département de la Sarthe, 
sous un ciel presque étranger, guerroyer en 
partisan contre un gouvernement qui est tombé, 
que je ne regretie pas, contre des institutions 
que m'ont fait souvent regretter celles que j'ai 
vu depuis préférer ou subir. J'étais jeune, ai-je 
dit, et j'estimais, en ce temps-là, mon pays autant 
que je l’aimais, autant que je l'aime encore. 
Ainsi j'étais impatient de le voir libre, le croyant 
vraiment digne de la liberté. C’est à cette époque, 
la plus agitée de ma vie, mais peut-être celle qui 


[ 1 


II HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


m'a laissé le moins de tristes souvenirs, que j'ai 
formé le dessein d'écrire cette histoire et que j’en 
ai publié les premiers volumes. 

Je disais alors dans une préface que je crois utïle 


. de reproduire : 


, «On étudie depuis quelques années l'histoire 
des anciennes provinces de la France avec beau- 
coup de zèle, mais avec moins de goût et de fruit. 
C’est qu’il y a dans ces recherches plutôt une 
frivole curiosité qu’un désir éclairé de connaitre. 
Mais ce n’est pas notre affaire de censurer autrui; 
il nous importe davantage de dire pourquoi nous 
avons entrepris cette Histoire littéraire du Maine. 
Nous avons vu autour de nous, quand nous avons 
été conduit en ces lieux, beaucoup de gens pas- 
sionnés pour les reliques de l’art gothique que 
l'on rencontre à chaque pas dans les villes et dans 
les campagnes du Maine ; nous avons appris d'eux 
bien des détails sur la forme première de ces 
constructions tant de fois restaurées ou mutilées ; 
on a devant nous analysé fort ingénieusement les 
fragments épars sur le sol; on nous a montré la 
place qu’ils occupaient ou devaient occuper dans 
l’ensemble de quelques monuments dont on nous 
a fait admirer la grandeur et la richesse. Nous 
avons prêté l'oreille avec attention et déférence 
aux discours de nos professeurs d'archéologie, et, 


PRÉFACE. III 


alors même qu'ils se querellaient assez vivement 
sur des questions qui nous semblaient puériles, 
nous prenions intérêt à leurs débats. Cependant, 
après avoir fait généreusement la part de leur 
expérience, n'avons-nous pas quelquefois tenu 
pour suspectes leurs plus chères hypothèses ? Ne 
les avons-nous pas surpris, en plus d’une occa- 
sion, parlant avec trop d'assurance de choses qu'ils 
ignoraient complétement? C’est que l'étude des 
ruines monumentales, si consciencieuse qu’elle 
puisse être, n’enseigne pas tout ce qu'il importe 
de connaitre. Quel a été, à diverses époques, le 
régime administratif ou politique de la province 
du Maine? Quelles ont été les mœurs, les cou- 
tumes particulières des peuplades d’origine 
diverse qui ont tour à tour envahi le sol de cette 
province? De quels événements a-t-elle été le 
théâtre ? Quelles traditions s’y sont longtemps 
conservées ? À quel titre est-elle plus ou moins 
illustre dans les annales de la France? Ce sont là 
des questions bien dignes d'intérêt, auxquelles ne 
répondent pas d’une manière satisfaisante les 
monographies des plus savants archéologues. Il 
faut donc regretter que l'étude des ruines monu- 
mentales occupe trop exclusivement les rares 
érudits qui se sont donné pour mission d'explorer 
les provinces : ce labeur est peut-être le plus 
attrayant, mais il n’est pas le plus utile ;‘il a 


IV HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


jusqu'à ce jour provoqué plus de controverses 
oiseuses qu’il n’a résolu de problèmes sérieux (1). 

« L'ouvrage que nous offrons au public n’est 
pas, il est vrai, moins spécial ; nos recherches ne 
sont pas moins circonscrites : cependant on re- 
connaîtra que nous n'avons pas suivi la voie com- 
mune, et nous aurons à nous féliciter de n'avoir 
pas tout à fait perdu notre peine, si l’on comprend, 
après avoir lu ces notices, que l’histoire des doctes 
personnages nés dans une province doit flatter 
plus encore l’amour-propre de leurs descendants, 
que l’histoire de ces monuments commencés et 
achevés pour la plupart par des ouvriers nomades 
et inconnus. Cependant notre unique but n’a pas 
été de chatouiller cette orgueilleuse faiblesse ; 
disons même avec franchise que cela nous a tou- 
ché beaucoup moins que le dessein de contribuer 
pour notre part à réhabiliter une étude aujourd’hui 
trop négligée, et l'espoir plus téméraire d'exhu- 
mer et de produire quelques noms dignes de n’être 
pas oubliés. 

«On se demande sans doute comment l’histoire 
littéraire d’une seule province nous fournira la 
matière de quatre volumes. Qu'on le sache donc, 

(1) Depuis que ces lignes sont écrites, la direction des esprits 
est changée : l’histoire politique, législative, sociale et même 
l’histoire littéraire des provinces a été la matière des plus scru- 


puleuses recherches, et ce que l’on néglige le plus aujourd'hui 
c'est l'archéologie. 


PRÉFACE. \ 


nous éprouverons plus d’embarras pour ne pas 
franchir cette limite que pour l’atteindre. Le 
Maine a produit beaucoup d'hommes qui se sont 
rendus célèbres dans les lettres, et ce n’est pas 
une médiocre affaire que de rappeler tout ce 
qu'ils ont écrit, que de raconter comment ils ont 
vécu. Mais quoi! va-t-on se dire encore : les temps 
sont donc bien changés! Nous en comptons aujour- 
d’hui parmi nous si peu de ces hommes auxquels 
la postérité devra quelques hommages! Or est-il 
à propos de nous révéler ainsi notre déchéance 
littéraire? Ne vaut-il pas mieux ignorer ce que l’on 
doit regretter de savoir? Ces interpellations nous 
ayant été faites, nous nous sommes réservé d'y 
répondre avec une entière franchise. 

« De notre temps, telle est l'opinion de M. de 
Cormenin, on n’écrit plus en français hors des 
barrières de Paris. Il y a beaucoup de vrai dans 
cette dédaisneuse sentence ; si pénible qu’il puisse 
être d’y souscrire, il le faut. Si Paris n’appelle pas 
à lui toutes les intelligcnces, si le lien puissant des 
intérêts retient encore au milieu de nous beau- 
coup d'hommes doués de l'esprit d'entreprise, 
habiles dans l’exercice des diverses professions 
industrielles, qui font un très-honorable, un très- 
utile emploi de leurs aptitudes variées, de leur 
expérience et de leur savoir-faire, ce qui est vrai, 
d'autre part, c’est que les études libérales sont 


VI HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


aujourd'hui fort négligées dans les provinces ; 
c'est que tous ou presque tous les écrivains se 
forment à Paris; c’est qu'à Paris seulement on 
sait distinguer le patois vulgaire du beau langage. 
Une estime de soi bien ou mal justifiée est et sera 
toujours un des plus puissants mobiles de l’écri- 
vain : par calcul ou par instinct, il fuit les lieux 
où on ne lui accorde ni la considération, ni les 
encouragements qui lui sont dus. Cela nous 
explique pourquoi l’on ne rencontre guère de 
propension pour les lettres dans la jeunesse élevée 
hors des établissements universitaires de la capi- 
tale. Il y a, en effet, bien peu de vocations spon- 
tanées? Alors même qu'on nous laisse la liberté 
du choix entre des professions différentes, nous 
embrassons d'ordinaire celle qui nous paraît offrir 
le plus d'avantages personnels; or, ces avantages 
ne sont pas absolus, mais relatifs. À Paris, c'est 
un tre que d'exercer avec plus ou moins de 
succés une profession libérale ; hors de Paris, il 
n'y a pas d’autres titres à la considération que la 
noblesse et que l'argent. Supposez donc un jeune 
provincial bien doué et jaloux de s'élever au-des- 
sus du vulgaire; s’il ne peut faire valoir quelques 
antiques parchemins, s’il ne porte pas un nom 
qui lui permette de rechercher l’oisiveté pour 
elle-même, il se lancera dans la voie qui conduit 
à la richesse, et bientôt il pourra s'applaudir de 


PRÉFACE. YII 


voir augmenter son crédit moral en même temps 
que son crédit financier. Or qui le blämera d'avoir 
pris ce parti? Il ne pouvait se proposer un but 
plus honorable, car, aprés l'estime de soi-même, 
il n'y a rien qu’on doive priser plus que l'estime 
d'autrui. | 

« Si donc nous analysons avec cette liberté les 
éléments constitutifs de l'opinion publique dans 
nos cités départementales, c’est moins pour pro- 
tester contre un fait que pour le constater. Est-on 
maintenant curieux d'apprendre pourquoi, durant 
les trois derniers siècles, les mêmes cités, nos 
plus humbles bourgades, ont produit tant d’hom- 
mes qui, dédaignant les routes plus faciles, ont 
acquis par les pénibles labeurs de l'esprit une 
gloire vraie et durable ? Quand nous avons étudié 
les annales littéraires de la France pour y recher- 
cher les écrivains originaires du Maine, nous 
avons tout d’abord remarqué qu'ils appartenaient, 
pour le plus grand nombre, à tel ou tel ordre 
religieux. Laissant au clergé séculier la direction 
morale des consciences, quelques ordres s'étaient 
attribué spécialement l'éducation et le gouverne- 
ment des intelligences, et il faut reconnaître 
qu'ils se sont bien acquittés de cette tâche. A l’âge 
où la société nous impose ses premières obliga- 
tions, où le jeune homme, soucieux de l’avenir, 
abandonne le plus souvent au hasard la conduite 


VENT HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de sa vie, les couvents lui offraient plus qu’un 
refuge contre les orages du monde. Admis dans 
une maison conventuelle, il y portait un habit 
devant lequel les membres de la société laïque 
s'inclinaient pour la plupart avec respect. Bien 
qu'ilne possédât aucun patrimoine, il n'avait à 
redouter aucun embarras domestique ; en quelque 
lieu qu'il dût être conduit, soit par sa propre 
volonté, soil par le commandement de ses supé- 
rieurs, il était assuré d’y trouver un asile hono- 
rable, et, libre de tout autre soin, il pouvait, jus- 
qu'au jour suprême, se consacrer tout entier aux 
travaux de l'esprit. Les monastères d’abord et plus 
ard les couvents ont émancipé le génie plébéien. 
Quelle que doive être notre reconnaissance pour 
l'œuvre révolutionnaire de la philosophie, ne lui 
accordons qu'une part équitable dans l'éducation 
de la société moderne, et osons dire que les ordres 
. religieux ont peut-être plus contribué que toutes 
les écoles philosophiques au progrès des idées, 
des mœurs et des institutions. Mais nous ne sau- 
rions ici développer cette opinion et la justifier 
par des preuves suffisantes ; apprécions simple- 
ment, au point de vue de cette histoire littéraire, 
l'heureuse influence autrefois exercée par quel- 
ques établissements religieux sur la direction des 
esprits dans nos provinces. . 

« Nous le disions tout à l'heure, la jeunesse 


PRÉFACE... IX 


_s'ignore elle-même; elle croit obéir à une voix 
intérieure, alors qu’elle glisse aveuglément sur la 
pente où on l’entraine : mais quand elle n’a pas 
encore subi le joug de l'exemple, elle est aussi 
propre aux études libérales qu'aux professions 
industrielles ; c’est l’exémple qui détermine en 
elle le premier mouvement. Aujourd’hui, au sortir 
de vos gymnases communaux, tout la dissuade 
de suivre une carrière qui est chez vous sans 
profit et sans honneur : mais qu'on se représente, 
dans une ville d’une population moyenne, cinq 
ou six confréries savantes, richement dotées, 
justement vénérées par le commun, appelant à 
elles tous les hommes de bonne volonté, pauvres 
et riches, nobles, bourgeois et manants, et les 
stimulant de toute facon aux études littéraires, 
soit par l'attrait de la gloire mondaine, soit par la 
perspective des charges les plus considérables de 
l'Église, de l’État, soit par la garantie de la récom- 
pense promise dans le ciel aux zélés serviteurs de 
Dieu ! Que de vocations ne devaient pas être déter- 
minées par ces puissants motifs! Oui, les temps 
sont bien changés. Dans la ville où nous écrivons . 
ces lignes, il existe encore une association agri- 
cole et littéraire, qui occupe assez utilement ses 
loisirs, mais qui, nous pouvons l’apprécier, a des 
prétentions fort modestes, et s'inquiète peu de 
présider à notre mouvement intellectuel. Est-il 
r 


X HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


besoin de rappeler combien l'Église avait instilué 
dans cette ville de vastes ateliers de travail, où 
toutes les aptitudes trouvaient leur emploi ? L'or- 
dre de Saint-Benoît y était représenté par les deux 
abbayes de Saint-Vincent et de la Couture, qui 
l’une et l’autre avaient adopté, dansle xvne siècle, 
la réforme de Saint-Maur. Au moment où la sup- 
pression des couvents fut décrétée, Saint-Vincent 
comptait parmi ses hôtes plusicurs savants qui 
jouissaient d’une juste renommée. L'ordre de 
Saint-Benoit avait encore d’autres établissements 
dans le diocèse, et la congrégation de Saint-Maur 
y était surtout en honneur. Que l’on ouvre les 
annales de cette congrégation et l’on y verra com- 
bien le Maine a enrôlé de ses fils dans la docte 
phalange! Non loin de l’abbaye de Saint-Vincent, 
au lieu même où nous venons d'élever un temple 
splendide aux mânes facétieux de Tabarin, les 
frères de Saint-Dominique s’exercaient aux rudes 
combats de la parole. Ià étaient les graves éru- 
dits, déchiffrant, collationnant les textes, exhu- 
mant les vieux titres de la gloire française enfouis 
dans les archives des monastères ; ici, les profes- 
soeurs d’éloquence, interprètes hardis, souvent 
suspects, de la parole sacrée, et cependant persé- 
cuteurs infatisables de toute hérésie, aux allures 
fières et indomptées. Près du couvent des Jaco- 
bins était celui des Cordeliers. En vain saint 


PRÉFACE. XI 


François d’Assise, le patriarche de cet ordre, avait 
recommandé pieusement à ses douze disciples de 
négliger les lettres humaines pour la pratique de 
l'oraison ; cette prescription de la règle avait été 
bientôt oubliée. Pour s’en convaincre, on n'a qu'à 
jeter les yeux sur la Bibliothèque de l’ordre: 
À quelques pas des Cordeliers, en cet endroit où 
se trouve aujourd'hui l'asile des religieuses de la 
Visitation, était le couvent des frères Capucins. 
On sait combien d'illustres prédicateurs, combien 
d'écrivains recommandables se sont formés sous 
leur discipline. Au centre de la nouvelle ville, le 
plus humble des ordres mendiants, mais non le 
moins célèbre, l’ordre des Minimes, avait une 
maison conventuelle. Il suffit de nommer Marin 
Mersenne, pour rappeler ce que la province du 
Maine doit aux austères disciples de saint François 
de Paule. Enfin, deux congrégations séculières, 
celle des Oratoriens et celle des Lazaristés, avaient 
été constituées dans la ville par divers évêques, 
l'une pour diriger l'éducation première de la jeu- 
nesse, l’autre pour faire des missions dans les 
campagnes du diocèse. À l'Épau, étaient quelques 
représentants de l’ordre bénédictin de Citeaux, 
célèbre par les services qu’il a rendus autrefois à 
l'Église, par les grands prélats qui sont sortis de 
ses nombreuses abbayes, et surtout par ses écri- 
vains, dont Ange Manriquez et Charles de Visch 


LA 


XII HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


ont perpétué le souvenir. A l’autre extrémité des 
faubourgs de la ville, les frères de Saint-Augustin 
possédaient une riche abbaye dans la paroisse de 
la Madeleine, à Beaulieu. Étrange destinée des 
hommes et des choses! Cette abbaye, qui avait 
donné à l'Église tant de chefs illustres, était gou- 
vernée, au moment où éclatérent les premiers 
orages de la Révolution, par un homme qui devait 
bientôt présider l’assemblée qui décréta la sup- 
pression des ordres ! Toutes les associations reli- 
gieuses considérables en France avaient fondé 
quelque maison conventuelle au sein de la ville, ou 
dans les campagnes environnantes. On ne saurait 
aujourd’huisupputer le nombredesjeunescatéchu- 
mènes sortis des colléges ou desécoles gratuites du 
diocése,que les religieux de cesdiverses confréries 
affranchirent des obligations de la vie mondaine, 
de la misère ou du travail manuel, qu’ils appelé- 
‘rent à partager leur table, leurs études et leurs 
fonctions. Il fut certainement très-considérable, 
car, parmi les écrivains sur lesquels les annalistes 
des ordres religieux nous ont transmis quelques 
notes biographiques, nous en comptons beaucoup 
auxquels ils donnent le Maine pour pays natal, et 
nous en ferons connaître au moins autant qu'ils 
ont omis. Et combien doivent échapper à toutes 
nos recherches, si consciencieuses qu on veuille 
les supposer ! Combien de manuscrits dont il ne 


PRÉFACE. XII 


reste plus aucune trace! Combien de livres impri- 
més ont eu la même fortune! N'omettons pas 
d’ailleurs que l’ordre de Saint-Dominique est 
celui qui à fait le plus de prosélytes dans le 
Maine, et que, dans cet ordre, on s’occupait moins 


de former des écrivains que des prédicateurs. 


Enfin, qui nous dira le nombre des savants, des 
lettrés modestes, qui, après avoir'étudié, soit pour 
eux-mêmes, soit pour l’enseignement des novices, 
n'ont pas connu le besoin d'initier le public aux 
travaux de leurs veilles ? 

« Quand on compare le présent au passé, on ne 
saurait nier cette heureuse influence des ordres 
religieux sur la conduite des esprits. Nous sommes 


dans un temps où cela peut être dit, où un témoi- 


gnage de sincère gratitude ne saurait être mal 
interprété. Le régime des couvents ne convient 
plus à nos mœurs, et si les établissements de ces 
puissantes associations avaient été épargnés par 
le vent révolutionnaire, ils seraient abandonnés 


aujourd’hui : aussi voyons-nous avec regret quel-. 


ques hommes d’un esprit élevé, d'un talent 
supérieur, faire sous nos yeux de grands et vains 
efforts pour réhabiliter le cilice ou la vie claus- 
trale; c'est une entreprise qui sera condamnée 
par les résultats qu'on en doit obtenir. Mais, il 


faut bien le dire, si les couvents ont été détruits, 


ils n’ont pas été remplacés ; et quand nous enten- 


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XIV HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


dons railler avec autant d'avantage que d’à-propos 
les rares et médiocres écrits qui sont le contin- 
gent annuel de la littérature provinciale, quand 
nous apprécions combien peu d'oreilles s'ouvrent 
à la propagande que font certainessociétés savantes 
pour restaurer les fortes études dans quelques 
chefs-lieux de département, nous regrettons vive- 
ment que nos assemblées révolutionnaires n'aient 
pas achevé l'œuvre de restauration scientifique 
qu'elles avaient si bien commencée. Nous ne plai- 
dons pas ici, que l’on veuille nous comprendre, 
la mauvaise cause du fédéralisme intellectuel ; 
nous respectons la souveraineté que Paris s’est 
attribuée, mais nous déplorons vivement l’affai- 
blissement des études et des idées libérales dans 
les provinces. C'est, à notre sens, un mal plus 
grave qu'on ne paraît le soupçonner. On ne remar- 
que pas assez, en effet, que le. despotisme brutal 
des intérêts matériels a son siége, non pasà Paris, 
mais dans les départements. C'est là qu'il gou- 
verne, c'est là qu'il opprime tous les instincts 
généreux, c'est de là qu'il exerce sur les institu- 
tions et sur les individus son influence malfaisante. 
Ce fléau, qui a déjà fait tant de ravages dans les 
consciences et dans l'État, dont l’œuvre de 
chaque jour est quelque ruine nouvelle, épouvante 
tous les bons esprits. Or, on ne peut le combattre 
avec avantage qu'au siége même de sa puissance. 


PRÉFACE. XV 


« 


Il faut que les hommes appelés à résoudre les 
questions sociales se persuadent que l'esprit public 
est fort peu libéral dans les provinces : on n’y 
connaît d'autre culte que celui du fétiche le plus 
grossier et le plus jaloux qui ait encore obtenu les 
hommages et l’encens du vulgaire ; nous parlons 
de l'intérêt matériel; et, si l'on n’y prend garde, 
toutes nos institutions électives seront bientôt 
compromises par l'ignorance et les mauvaises 
passions de cette catégorie de citoyens que l'on 
peut appeler le tiers-état provincial. 

« Nous ne saurions dire ici tout ce que nous 
inspire ce grave sujet ; nous ne pouvons d'ailleurs 
oublier que nos lecteurs attendent de nous quel- 
ques explications sur la matière même de notre 
livre. Nous allons donc mettre fin à ces considé- 
rations sur le passé, à ces remontrances sur le 
présent, pour répondre à diverses questions qui 
pourraient nous être adressées. 

« Les Bénédiclins, qui ont consacré le ütre 
d’Iistoire littéraire, ont suivi, dans leur grand 
ouvrage sur les écrivains de la France, l'ordre 
chronologique, qui est, en effet, préférable à tout 
autre. Mais, à notre grand regret, nous n'avons 
pu les imiter. S'il avait existé quelque part un 
catalogue exact des écrivains nés dans le Maine, 
nous aurions pris soin de les ranger suivant 
l'ordre des temps. Mais, privé de ce secours, nous 


XVI HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


avons découvert en divers lieux, soit après de 
longues recherches, soit par rencontre fortuite, la 
trace perdue de tel ou de tel écrivain ignoré ; et 
depuis même que nous avons pris la plume pour 
rédiger nos premières notices, nous avons eu 
l'occasion d'apprendre que les enquêtes les plus 
scrupuleuses ne révèlent pas toujours ce que le 
basard fait découvrir. Nous avons été d’ailleurs 
contraint d’ajourner quelques parties de notre 
travail, n'ayant pas entre les mains toutes les 
pièces qu'il nous importait de consulter. Les 
auteurs de l'Histoire littéraire de la France, qui 
trouvaient partout des correspondants pleins de 
zèle et de savoir, n'éprouvaient pas cet embar- 
ras: mais, pour ce qui nous concerne, la biblio- 
thèque du Mans ne possédant que le plus pelit 
nombre des écrits imprimés ou manuscrits que 
nous aurons à mentionner dans cet ouvrage, il 
nous à bien fallu remettre à un autre temps 
l'examen de ceux de ces écrits qui nous ont 
été signalés en d’autres bibliothèques. Voilà pour- 
quoi nous n'avons observé dans notre publica- 
tion ni l'ordre chronologique, ni l’ordre alpha- 
bétique, car les mêmes obstacles s’opposaient 
à l’un et à l’autre. On appréciera, nous aimons 
à le croire, que nous nous sommes donné une 
tâche fort laborieuse, et que si nous n'avions pas 
fait cette part aux difficultés qui s’offraient à nous 


PRÉFACE. XVII 


dés le début, il nous eût fallu renoncer à l’en- 
treprise. 

« Il y a beaucoup à dire sur ce titre : Histoire 
litiéraire du Maine. Si nous devons épargner au 
public des explications fastidieuses, il nous faut 
cependant lui faire connaître en quelques mots le 
plan que nous avons suivi. Nous n'avons pas 
scrupuleusement respecté les limites de l'an- 
cienne province du Maine, et cela pour divers 
motifs. Devions-nous adopter la circonscription 
civile ou la circonscription ecclésiastique ? Il v 
avait à pour nous une difficulté fort grave. Adop- 
ter la circonscription civile, c'était ne respecter 
aucune tradition, c'était mettre hors de notre 
catalogue une foule d'écrivains que la plupart des 
annalistes ont considérés comme nés dans le 
Maine, c'était modifier complétement la classifi- 
cation des Bénédictins, celle d’Echard, celle de 
Luc Wadding, celle des historiens de tous les 
ordres religieux. Nous n'avons pas cru devoir 
prendre cette résolution téméraire. Pouvions-nous 
observer la circonscription diocésaine pour les 
écrivains ecclésiastiques seulement, et ne faire 
aucune mention des écrivains laïques nés dams le 
diocèse, mais hors des limites de la circonscription 
civile? Ce plan nous avait semblé, dès l’abord, 
convenable; mais nous avons reconnu dans la 
suite qu'il l'était peu : en effet, n’eût-on pas 


XVIII HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


regardé comme une véritable lacune l’omission 
volontaire de quelques écrivains considérables, 
alors qu'il y aurait eu place, dans notre histoire, 
pour d'humbles clercs nés dans les mêmes lieux ? 
Cette lacune cüût été certainement signalée. Enfin, 
pouvions-nous laisser de côté les écrivains nés 
hors du Maine, à La Flèche, au Lude, et dans les 
lieux environnants, qui, dépendant autrefois de 
l'Anjou, sont compris aujourd’hui dans le dépar- 
tement de la Sarthe? Nous ne le pouvions pas, 
sans manquer à l'usage déjà consacré. Nous avons 
donc pris un parti, qui, en nous imposant plus 
de labeur, nous à paru du moins satisfaire à Loutes 
les exigences ; nous avons admis au même titre, 
dans cette Histoire littéraire du Maine, tous les 
écrivains qui ont eu pour pays natal telle ville, 
telle bourgade, dont, à diverses époques, le Mans 
a été le chef-lieu administratif, soit pour le spiri- 
tuel, soit pour le temporel. 

« On comprend d’ailleurs, sans que nous ayons 
besoin d’insister sur ce point, pour quels motifs 
nous nous abstiendrons de parler des écrivains 
qui n’ont pas encore fourni toute leur carrière, 
ou de ceux-là même que l’on descendait hier dans 
la tombe. La critique est toujours peu équitable à 
l'égard des contemporains : elle pardonne trop à 
ceux-ci, et à ceux-là trop peu. Cependant il se 
rencontre quelques hommes qui, morts dans les 


PRÉFACE. XIX 


premières années de notre siècle, apparticnnent 
déjà à l'histoire par leurs travaux ou par les évé- 
nements dans lesquels ils ont joué un rôle notable : 
nous croyons devoir leur réserver une place dans 
cet ouvrage; mais en parlant de ces hommes, à 
l'égard desquels nous avons entendu professer 
des opinions bien diverses, nous aurons à cœur 
de respecter toutes les convenances. On nous 
jugerait mal, si l’on doutait de notre entière indé- 
pendance, et si l'on croyait que nous faisons 
moins état de la vérité que des exigences d’un 
parti politique. 

« Nous avions formé le dessein de présenter 
dans cette sorte d’avant-propos quelques considé- 
rations spéciales sur la province du Maine, sur les 
phases diverses de son histoire littéraire ; mais, 
après quelques réflexions, nous nous sommes 
persuadé que cette dissertation préliminaire ne 
pouvait être qu’un lieu commun. En effet, s'il 
a été possible de déterminer l'individualité litté- 
raire de certaines provinces de la France, en se 
plaçant à un point de vue tout à fait exclusif, cette 
individualités’effacequand on rapproche lesmêmes 
faits d’autres faits contemporains. Dans l’origine 
de notre littérature nationale, on peut, il est vrai, 
signaler en quoi diffèrent les productions litté- 
raires, les idées, les mœurs de quelques races 
entre lesquelles il s'est fait encore peu de com- 


XX HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


merce, peu de mélange : la langue des troubadours 
n’est pas celle que parlent les trouvères, et, sur la 
grande question théologique qui émeut tout le 
neuvième siècle, l’opinion des conciles du Midi 
est, nous le savons, tout à fait contraire à celle 
que professent les conciles du Nord. Mais ces dif- 
férences, si notables qu'elles soient, ne peuvent 
nous occuper ici. En fait, nous ne voyons, dans 
l'histoire littéraire du Maine, rien qui nous per- 
mette d’'assigner un caractère particulier aux 
écrivains de cette province, et il y a des trailés 
généraux sur le développement de la littérature 
française où l’on répond à toutes les questions qui 
pourraient nous être adressées au sujet de nos 
Manceaux. Nous devons donc nous épargner le 
soin de répéter en d’autres termes ce qui a été dit 
ailleurs et fort bien dit. 

« Il n’y a de particulier à cette province que ce 
qui concerne l’histoire de ses écoles publiques. 
Quand nous avons rappelé combien les ordres 
religieux avaient d'établissements dans la métro- 
pole du diocèse, nous avons négligé de faire le 
compte des maisons abbatiales ou conventuelles 
qu'ils avaient fondées dans les villes moins consi- 
dérables, dans les hameaux les plus modestes. 
Nous aurons occasion, dans la suite de cet ouvrage, 
de dire quelles étaient la plupart de ces fonda- 
tions. Nous parlerons ici des écoles publiques. 


PRÉFACE. XXI 


Dés le vr* siècle, l’école d'’Anisole était florissante ; 
Chilpéric I y envoyait son fils Mérovée : on 
citait aussi, dans le même temps, comme une des 
plus fameuses, l’école épiscopale de Saint-Pavin- 
des-Champs, fondée par saint Bertrand. Celle-ci 
devint plus célèbre encore au 1x° siècle, sous la 
direction d’Aldric, et, au xr, elle avait pour pro- 
fesseurs Ermenulphe, Robert le Grammairien, 
Arnauld, Hildebert de Lavardin. L'Université 
française s’est lentement conslituée : appelée à 
devenir un jour la fille aînée de nos rois, c’est-à- 
dire la première institution de l’État, elle n’a 
longtemps été qu’un nom, comme la monarchie ; 
on l’a vue, comme elle, étendre sa juridiction, 
agrandir son domaine par des conquêtes succes- 
sives. Les grandes écoles provinciales ont eu la 
même fortune que tous les établissements de la 
féodalité. Nous lisons dans la biographie de Gos- 
win, contemporain et disciple d’Abélard, écrite 
par R. Gibbon : «Ici les moissons viennent mieux, 
« dit le poëte, ici les vignes ; dans les forêts 
« sont les arbres qui portent le bois, dans les jar- 
« dins les arbres qui portent les fruits ; dans les 
« tavernes sont les vins écumants : à Paris sont 
« les meilleurs des maîtres. » Vers le xrv° siècle, 
c'est à Paris que Iles évêques fondent des colléges 
où ils envoient les plus brillants élèves des écoles 
diocésaines étudier la dialectique et les lettres 


XXII HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE,. 


profanes. En 1308, Guillaume Bonnet, fondateur 
du collége de Bayeux, à Paris, accorde six bourses 
dans son collége aux pauvres écoliers du Maine ; 
en 1526, le cardinal Philippe de Luxembourg fait 
construire de ses deniers, à Paris, le collége du 
Mans. Cependant, quel qu'ait été le crédit des 
écoles de Paris, surtout quand les ordres religieux 
eurent pour la plupart établi dans cette ville leur 
principal séminaire, il ne faut pas croire qu'’alors 
même les écoles provinciales aient été suppri- 
mées. Nous l'avons dit, avant l’ère des intérêts 
matériels, on considérait l’enseignement des 
lettres et des sciences morales comme une affaire 
grave : la révolution de 1789 trouva dix grands 
colléges en exercice sur le territoire actuel du 
département de la Sarthe, et environ cent écoles 
gratuites pour les garçons. Ces détails ne sont pas 
sans intérêt. 

« On est peut-être curieux de savoir quels sont 
les ouvrages que nous avons consultés avec le 
plus de profit, et, parmi les sources privées ou 
publiques où nous avons puisé, lesquelles nous 
ont le plus fourni. Nous allons donner à ce sujet 
quelques explications. 

« Nous avons dit, en ce qui concerne les biblio- 
thèques des ordres religieux, que, dans la plu- 
part, il y a des omissions, et, en effet, nous en 
signalerons un assez grand nombre. Si fâcheuses 


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PRÉFACE. XXIII 


toutefois que puissent être ces lacunes, il est 
encore vrai qu’en réunissant les bibliothèques des 
différents ordres, celle des Jésuites par le P. Ale- 
gambe, celle des frères Mineurs par Luc Wadding 
et par Sbaraglia, celle des Capucins par Denys de 
Gênes, celle des Bénédictins de Saint-Maur par 
Dom Tassin, celle des frères Prêcheurs par 
Echard, etc., etc., on se formerait la plus vaste et 
la plus complète des collections bibliographiques. 
Nous avons trouvé dans ces livres spéciaux les 
plus utiles indications. 

« Nous ne devons pas moins peut-être à la 
Bibliothèque Française de La Croix du Maine, 
annotée par La Monnovye, Falconnet et Rigoley de 
Juvigny. Il faut bien se fier à La Croix du Maine 
lorsqu'il parle des écrivains de son temps et de 
son pays, et 1l nous en fait connaître beaucoup sur 
lesquels nous ne trouvons ailleurs aucun autre 
renseignement; ceux qu'il nous fournit sont 
d'autant plus précieux qu’il mentionne beaucoup 
de manuscrits perdus aujourd’hui. Une mort trop 
prompte ne lui a pas permis de mettre à exécution 
tous les plans qu'il avait conçus, et qui avaient 
presque tous pour objet l’histoire du Maine; de 
ces ouvrages projetés, celui que nous regrettons 
davantage est sa Bibliothèque Latine. Celle de 
Du Verdier est fort incomplète, et La Croix du 
Maine avait tant à cœur de bien parler des gens 


XXIV HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 

de sa province, qu'il nous eût indiqué pareille- 
ment beaucoup d'ouvrages latins dont nous igno- 
rons aujourd'hui même les titres. Exprimons 
encore un regret. Du Verdier, dans sa Bibliothèque 
Française, a peut-être prodigué les citations. La 
. Croix du Maine ne cite jamais, et 1l nous faudra 
bien souvent accepter sans pièces justificatives 
l'opinion flatteuse qu'il a exprimée sur le mérite 
littéraire de ses amis. 

« En 1666, G. Blondeau publia sous le titre de : 
Portraits des honvmes illustres de la province du 
Maine, un catalogue de soixante auteurs et trois 
notices particulières sur Ambroise Loré, Glapion 
et Le Barbier de Francour. L'ouvrage de Blondeau 
est resté inachevé, et l’on peut y signaler 
d'étranges lacunes. 

« Nous n’omettrons pas, dans la liste des biblio- 
graphes envers lesquels nous avons contracté des 
obligations plus ou moins considérables, le docte 
Jean Liron, bénédictin de la congrégation de 
Saint-Maur. Né à Chartres, en 1665, Jean Liron 
passa dans la ville du Mans les dernières années 
de sa vie, et y mourut le {% juillet 1748. On 
trouve un certain nombre d'illustres enfants du 
Maine parnii les érudits dont il a parlé dans ses 
Singularités historiques et littéraires, et les notices 
qu'il leur a consacrées sont pour la plupart pleines 
d'intérêt. En outre, il a publié, dans l’Almanach 


PRÉFACE. XXV 


Manceau de 1728, un catalogue des écrivains 
nés dans le diocèse du Mans. Ce catalogue a été 
reproduit, avec quelques additions, dans l’Alma- 
nach des années 1767, 1768 et 1769; les biogra- 
phies fort sommaires, que l’on peut lire dans les 
Annuaires du département de la Sarthe de 1806 et 
de 1807, contiennent quelques détails nouveaux 
sur les mêmes écrivains, mais Jean Liron avait 
épargné à son commentateur les plus laborieuses 
recherches. Ces divers catalogues sont incom- 
plets; nousne pouvions les adopter comme exacts 
et les suivre avec confiance. 

« Les recherches de Jean Liron ont été fort 
utiles à l’abbé Gilles Négrier de La Crochar- 
dière, curé de René, près Beaumont, mort 
en 1748. Cet abbé s’est occupé dans ses loisirs à 
rassembler les diverses notices concernant les 
écrivains, les peintres, les sculpteurs, les musi- 
ciens nés dans le Maine, qui se trouvaient dans 
les dictionnaires usuels, dans les grands ouvrages 
de bibliographie et dans quelques recueils spé- 
claux. Cette compilation n’a pas été publiée ; elle 
existe manuscrite à la bibliothèque du Mans, en 
un volume in-4°, de 400 pages environ. L'abbé 
de La Crochardière n'avait pas de critique et avait 
peu de savoir ; il insérait au jour le jour dans son 
volume tous les articles qu’il rencontrait ici et là, 
sans s’inquiéter du reste ; comme il affirmait tou- 


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XXVI HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


jours sur la foi d'autrui, il a pu raconter les mêmes 
faits très-diversement, et nous transmettre sur 
les mêmes hommes les jugements les plus oppo- 
_sés, sans qu’on puisse l’accuser d’une seule con- 
tradiction. Il a fait, disons-nous, beaucoup d’'em- 
prunts aux Singularités historiques el littéraires 
de Jean Liron ; on retrouve aussi dans son recueil 
un certain nombre de notices extraites du supplé- 
ment au Dictionnaire historique de Moréri, par 
l'abbé Goujet. Pour restituer à chacun ce qui lui 
appartient dans ce manuscrit, ajoutons que 
l'abbé de La Crochardière avait entre les mains 
la seconde partie de l'Histoire de Sablé, par Gilles 
Ménage. 

«En 1777, l'abbé Le Paige, de La Suze, cha- 
noine de l’église du Mans, publia son Dictionnaire 
topographique, historique, généalogique et biblio- 
graphique de la province et du diocése du Maine. Ge 
livre est aujourd’hui plein d'intérêt; cependant Le 
Paige a beaucoup négligé certaines parties de son 
Dictionnaire : il a notamment oublié beaucoup 
d'écrivains, et, pour ce qui concerne ceux dont il 
parle, le catalogue qu'il donne de leurs ouvrages 
est presque toujours inexaci. 

« L'insuffisance reconnue de ces divers écrits 
engagea plus tard un docte chanoine régulier du 
diocèse de Châlons à entreprendre sur le même 
sujet des études plus sérieuses. Toutes les pro- 


PRÉFACE. XXVII 


vinces, ou du moins la plupart d’entre elles, pos- 
sédaient leur histoire littéraire ; Ansart voulut 
écrire celle du Maine, et, dans ce dessein, il 
consulta, nous assure-t-il, « un nombre infini de 
« manuscrits et d'imprimés ; » mais de sa Biblio- 
thèque littéraire du Maine, qui ne devait pas occu- 
per moins de huit volumes in-8°, un seul a été 
publié, en 1784, et l’on ignore ce que sont deve- 
nues les notes qu'il avait recueillies. Il y a lieu de 
regretter la perte des manuscrits d'Ansart, car, si 
l'on peut signaler, dans le volume que nous avons 
entre les mains, quelques fautes graves, si l’on 
ne peut louer ni la méthode ni le style de l’écri- 
vain, on doit reconnaitre qu'il ‘avait fait de très- 
consciencieuses recherches, et qu'on n'a pas 
beaucoup d'erreurs à corriger dans la partie bio- 
graphique de ses notices. 

« Nous avons encore trouvé lus d’un utile 
renseignement dans le catalogue méthodique de 
la bibliothèque des religieux de Saint-Vincent. 
Cet immense ouvrage, qui est resté manuscrit, el 
que possède aujourd'hui la bibliothèque publique 
de la ville du Mans, a pour titre : Concordantia 
bibliothecæ abbatiæ regularis S. Vincentii apud 
Cenomanos, et Speculum sive Systema scientiarum. 
Nous dirons d’abord quelques mots du vénérable 
bénédictin auteur de ce catalogue, Dom de Gennes. 
H était de Vitré, en Bretagne, et avait, dit-on, 


XXVIII HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


trois frères ; l'un, prêtre de l'Oratoire, janséniste 
avoué, qui, professeur de théologie à Saumur, fut 
censuré par l'évêque d'Angers, et se signala dans 
son parti par les plus ardentes apologies des con- 
vulsionnaires. Ses deux autres frères s'étaient fait 
admettre chez les Jésuites, et l’un d’eux combattit 
le jansénisme avec beaucoup de zèle. Quant à 
notre bénédictin, il ne tomba dans aucun excès, 
et n’attira sur sa tête aucune réprimande, mais il 
nous à laissé plus d’un témoignage de ses sym- 
pathies pour la cause de l’évêque d’Ypres. Pen- 
dant environ quarante années, il remplit les 
fonctions de bibliothécaire chez les religieux de 
Saint-Vincent, et telle était son affection pour les 
livres confiés à sa tutelle, qu'on ne pouvait l’en 
séparer. Quoique la bibliothèque de Saint-Vincent 
ne possédât pas moins de 25,000 volumes, il les a 
‘ tous lus et décrits; de plus, il a fait des tables 
particulières pour tous ces volumes d'œuvres 
mêlées, qui sont, dans la plupart des biblio- 
thèques, un gouffre dont les ténébres épou- 
vantent et désespèrent les plus courageux explo- 
rateurs. Mais son œuvre principale, c’est l'immense 
catalogue de Saint-Vincent, en neuf volumes in- 
folio, écrits de sa main de la première à la der- 
nière page. Il ne faut pas chercher dans ce cata- 
logue quelque notable infraction à la méthode 
traditionnelle ; l’auteur ne s’est pas proposé de 


PRÉFACE. XXIX 


classer les sciences dans un ordre nouveau, et 
quand il a d’une façon quelconque modifié l'ar- 
rangement adopté par les anciens bibliographes, il 
ne l’a pas fait avec bonheur. Mais ce qu'il y a de 
vraiment prodigieux dans cette œuvre de qua- 
rante années, c'est le détail. Dom de Gennes a 
multiplié les subdivisions dans toutes les parties 
de son catalogue ; il a consacré un chapitre spé- 
cial, non-seulement à toutes les sciences, mais en 
quelque sorte à toutes les questions scientifiques, 
et il a inscrit sous des titres particuliers, outre les 
grands traités, les monographies dispersées dans 
les œuvres des polygraphes, et les dissertations 
critiques qui ont eu ces monographies pour objet; 
il a analysé les vastes collections, les journaux 
littéraires, les dictionnaires les mieux famés : il a 
disséqué, si l’on peut ainsi parler, tous les ouvra- 
ges de quelque valeur qui appartemaicnt au fonds 
de Saint-Vincent, pour mentionner les divers cha- 
pitres de ces ouvrages, suivant la malière qu'ils 
concernent. Voulez-vous savoir ce qu'ont pensé 
les auteurs sur tel ou tel point de la théologie 
morale, ce qu'ont décrété les conciles sur tel ou 
tel article de la discipline ou de la liturgie ? Dom 
de Gennes vous renvoie au chapitre, à la page 
qui vous intéresse, soit dans la grande bibliothé- 
que des Pères, soit dans le vaste recueil des con- 
ciles. Pour toutes les thèses doctrinales qu’il vous 


Le 


XXX HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


plait de traiter, son catalogue vous fournit des 
ressources imprévues, et l’on y trouve encore des 
renseignements fort utiles, que l’on chercherait 
vainement ailleurs, sur les ouvrages des écrivains 
nés dans le Maine. Dom de Gennes a vécu dans 
un temps où l'Église était fort agitée par les con- 
testations qui s’élevaient tantôt entre les divers 
ordres religieux, tantôt entre ceux-ci et le clergé 
séculier, et où les parties belligérantes s’adres- 
saient réciproquement de nombreux cartels sous 
la forme de pamphlets anonymes. Notre savant 
bénédictin, qui ne pouvait rester étranger à tous 
ces débats, a pris soin de nous faire connaître les 
auteurs de la plupart de ces factums, et l’on pour- 
rait, avec son catalogue, fournir de nombreuses 
additions au Dictionnaire de Barbier. Dom de 
Gennes a fait encore de curieuses recherches et 
laissé des notes fort estimables sur le pays natal 
des auteurs, sur le temps où ils ont vécu, sur leur 
condition religieuse ou civile. Nous avons plus 
d’une fois consulté ces notes, qui nous ont 
fourni des indications précieuses. Nous ne pou- 
vons terminer cette brève notice sur Dom de 
Gennes, sans rapporter un fait qui est resté dans 
la mémoire de quelques personnes de cette ville. 
Quand les moines de l’abbaye de Saint-Vincent 
apprirent que l’Assemblée nationale venait de 
supprimer les bibliothèques conventuelles, et 


PRÉFACE. XXXI 


d'attribuer aux municipalités la possession de 
tous les objets provenant de ces dépôts, ils for- 
mérent le projet de se partager les livres de l’ab- 
baye et de fuir avec ce butin. Dom de Gennes, 
informé de leur complot, leur résista avec la plus 
courageuse, avec la plus louable énergie, et s’em- 
pressa d'aller remettre à la municipalité les clefs 
de sa bibliothèque, voulant du moins sauver du 
pillage ces richesses dont il ne devait plus jouir. 
On raconte qu'ayant ensuite pris une part plus 
ou moins active à la guerre civile, Dom de Gennes 
fut une des tristes victimes de Carrier, et périt 
dans les eaux de la Loire. 

« Nous mentionnerons encore quelques notices 
publiées par l'abbé Ledru dans la Biographie uni- 
verselle de Michaud et dans les Annuaires du 
département de la Sarthe, de l’année 1818 à l'an- 
néc 1823. Le mérite de ces notices est contesla- 
ble, et nous leur devons peu. La Bibliographie de 
MM. N. Desportes et Pesche nous eût été plus 
utile sans doute, si ce grand travail n'était pas 
encore en quelque sorte inédit. Enfin, nous ne 
pouvons omettre de désigner, parmi les ouvrages 
que nous avons consultés, l'Esquaisse sur l'histoire 
scientifique, littéraire et artistique du Maine, lue 
par M. N. V. Houdbert au Congrès assemblé dans 
la ville du Mans au mois de septembre 1839. Ce 
travail consciencicux et bien ordonné ne peut 


EE ne me he Rnb. in ins Sr de on men tes, Ge 5 SG RE  ÉÉRS GR 


XXXII HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


servir de manuel bibliographique, mais il se 
recommande par une critique sage, tolérante, 
éclairée. » 


En relisant aujourd'hui ces pages depuis si 
longtemps écrites, nous n’éprouvons pas le besoin 
d'y faire de notables changements : ce qu'il y a de 
plus vif ne nous parait pas l'être plus qu’il ne con- 
vient. 

Oui, la recherche trop ardente du bien-être et 
de toutes les satisfactions, de toutes les jouis- 
sances que la richesse procure, a, depuis vingt- 
cinq ans, causé beaucoup de mal dans notre pays, 
et l’on a moins à s’applaudir de sa prospérité 
matérielle qu’à s’affliger de sa déchéance morale. 

Ainsi nos tristes prévisions ont été justifiées. 
Espérons maintenant une réaction salutaire. Elle 
a tardé beaucoup à s’annoncer, mais enfin elle 
s'annonce et peut-être vivrons-nous encore assez 
pour voir de nouveau reconnaitre les droits 
anciens, l'empire légitime de l'esprit. 

Si nous retranchons peu de mots à l’ancienne 
préface de ce livre, il nous faut l’augmenter de 
quelques explications nécessaires. Depuis l’an- 
née 1843, il nous est venu dans les mains bien 
des volumes, soit imprimés, soit manuscrits, où 
nous avons trouvé des documents nouveaux sur 
nos écrivains du Maine. Ces découvertes nous ont 


PRÉFACE. XXX111 


inspiré le dessein de corriger notre livre et de le 
représenter au public avec moins de lacunes et 
d'imperfections. Cette seconde édition doit donc 
beaucoup différer de la première. 

Nous aimons à nous persuader que l’on appré- 
ciera ces différences et qu'il est inutile de les 
signaler davantage. Aussi bien on remarquera 
que nous avons, dans cette nouvelle édition, 
rangé suivant l’ordre alphabétique les notices 
plus nombreuses ou plus étendues qui la com- 
posent. En effet, notre enquête est achevée, notre 
livre est fini. Désormais on nous corrigera ; nous 
ne nous corrigerons plus. 


HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE 


ACHARD 


AcHarD, maître Achard, abbé de Saint-Victor, puis 
évêque d'Avranches, est un des écrivains renommés 
du xu° siècle. Cependant les historiens qui racontent 
sa vie font voir par leurs dissentiments qu’elle est peu 
connue, et ce qu'ils disent de ses ouvrages est plus 
confus encore et plus discordant. On propose d'abord 
des opinions très-différentes sur le lieu de sa nais- 
sance. D'un côté les bibliographes anglais, Boston de 
Bury, Leland et Jean Pits (1) le font naître dans le 
Northumberland, et ils ajoutent qu'il fit profession de 
suivre la règle de Saint-Augustin dans l'abbaye de 
Bridlington, au comté d'York. C’est ce que répète 
fidèlement Egasse Du Boulay (2). Mais Gérard Woss et 
Fabricius, ayant sans doute lu sans attention la courte 
notice de Jean Pits, ont pris Bridlington pour le lieu 


(4) Pitscus, De illustr. Angl. script., ad ann. 1162. 
(2) Hist. univers. Parts, t. II, p. 715. 


9 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


natal de maître Achard (1). Voici maintenant d’autres 
historiens qui le réclament pour la France. Suivant 
Claude Malingre (2), Jacques Du Breul (3) et les 
frères de Sainte-Marthe (4), issu d'une noble famille 
normande, il est né dans le vicomté de Domfront, au 
Passais, diocèse du Mans. Ces divers témoignages ont 
d'autant plus embarrassé les critiques modernes qu'ils 
n'ont rien trouvé pour confirmer les uns ou les autres. 
Suivant Chauffepié (5), l'origine de toutes ces contra- 
dictions est que l'archidiaconé de Passais, au pays 
normand, appartenait alors au roi d'Angleterre : ainsi, 
né sur le sol français, Achard aurait été sujet anglais. 
Quoique cette explication ne lève pas tous les doutes, 
Brial (6) paraît l'avoir acceptée, puisqu'il a mis 
Achard au nombre des écrivains de la France. Nous 
ferons comme lui. 

Il n’est pas non plus très-bien établi qu'Achard ait 
fait profession au monastère de Bridlington, mais il 
est vraisemblable qu'il faut le compter parmi les pre- 
miers religieux de l'abbaye de Saint-Victor, à Paris. 
Cependant, on ne peut dire, avec Brial, qu'il y fut con- 
disciple du plus glorieux docteur de cette maison, 


(1) G. Vossius, De Hist. lal., lib. II. c. 52. — Fabricius, 
Biblioth. med. et infim. lalin.,t. 1, p. 5. 

(2) Antiquités de Paris, p. 448. 

(3) Théâtre des Antiq. de Paris, p. 409. 

(4) Gallia Christiana, édit. vet., t. IV, col. 925. 

(8) Diclionnaire,, au mot Achard. 

(6) Histoire lil. de la France, t. XII, p. 453. 


ACHARD. 3 


Hugues de Saint-Victor. En effet, la preuve que 
Brial en donne ne vaut rien. Deux passages de quel- 
ques Notes ou Questions sur les Epiîtres de saint Paul, 
insérées dans le tome I des OEuvres de Hugues, nous 
offrent le nom de « maitre Achard; » l’annotateur, 
invoquant l'autorité de ce maître, s'exprime ainsi : 
« Secundum magistrum Acardum; quod a magistro 
« Acardo accepimus. » Or, si ces phrases se rappor- 
tent, comme l'a supposé Brial, à maître Achard de 
Saint-Victor, qui doit mourir évêque d'Avranches 
en 41714, elles ne sont pas de son confrère Hugues, 
mort au plus tard dans les premiers mois de l'année 
1141 ; jamais, au moyen âge, un ancien ne parlait avec 
un tel respect d'un contemporain plus jeune que lui, 
et nous croyons avoir démontré dans une dissertation 
particulière que l'illustre chef de l’école de Saint- 
Victor n'est l’auteur ni des Notes sur saint Paul, ni de 
divers autres écrits publiés sous son nom (1). 

Ainsi tout ce qu on raconte sur les premiers temps 
de la vie de maître Achard est incertain : il ne parait 
pas dans l'histoire authentique avant l'année 1155 ; 
mais Gilduin, abbé de Saint-Victor, étant mort le 
43 avril de cette année, nous savons que sur-le-champ 
Achard fut appelé par ses confrères à le remplacer. « Ils 
« ne furent pas, selon Brial, trompés dans leur 


(4) Hugues de S. Victor; nouvel examen de l'édition de se 
Œuvres ; 1859, in-8. 


I | D 


4 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« choix, » le nouvel abbé devant se montrer constam- 
ment attentif à maintenir les choses dans le bon état 
où il les avait trouvées. C’est une assertion très-hono- 
rable pour maitre Achard, et que très-volontiers nous 
croyons vraie; cependant il n'existe pas de témoi- 
gnage ancien qui la justifie. On ne connait rien de 
l'administration abbatiale d’Achard, si ce n’est qu’il 
obtint deux lettres du pape Adrien IV : l’une en 
faveur de deux églises, l’autre relative à des usurpa- 
tions commises par des personnes laïques sur les reve- 
nus de quelques paroisses comprises dans le domaine 
de Saint-Victor. | 

En 1157, il fut appelé par le clergé de Séez au 
gouvernement de ce diocèse, après la mort de l'évêque 
Girard; mais Henri IL, roi d'Angleterre, ne voulut pas 
ratifier cette élection, par ce seul motif, dit Thomas 
de Cantorbéry, qu'Adrien IV l'avait pour agréable, et 
avait recommandé l'abbé de Saint-Victor aux suffrages 
du clergé. Quatre ans après, la mort d'Herbert ayant 
rendu vacant l'évêché d'Avranches, sa succession fut 
offerte à maitre Achard. 

Comme le pape n'avait pas, en cette occasion, ma- 
nifesté de préférence en sa faveur, le roi d'Angleterre 
ne lui fit aucune opposition (1), et, le 27 mars de 
l'année 1161 (2), il fut établi sur le siége épiscopal 


(4) Thomas Cantuar., Epist., p. 648. 
(2) Dom Bessin, Concilia Rhotomagensis provinciæ, part. II, 
de Episcop. Abrinc. — Gallia Chrisliana, t. XI. col. 481. 


ACHARD. 5 


d'Avranches. Louis VIT ne paraît pas avoir appris sans 
quelque déplaisir une promotion qui privait le monas- 
tère de Saint-Victor de son docte abbé, pour lui confier 
l'administration ecclésiastique et civile d'une terre 
anglaise. On peut apprécier quels furent ses sentiments 
à cet égard dans une lettre publiée par Martène (1), 
par Casimir Oudin et par les auteurs du Gallia 
Christiana (2). 

L'année même de son installation, Achard, évêque 
d'Avranches, et Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, 
présentèrent sur les fonts de baptême Aliénor, fille du 
roi d'Angleterre, qui reçut l'ablution canonique, en la 
ville de Domfront, des mains du cardinal Henri, légat 
du pape : c'était, pour notre prélat, un insigne hon- 
neur. En 1165, il assistait à une assemblée tenue à 
Lillebone, où furent résolues diverses questions concer- 
nant l'administration civile de la province. Nous 
lisons dans la notice de Brial : « Achard conserva, 
« sur le siége épiscopal, l'esprit de son premier 
« état, et, autant que ses nouvelles obligations le lui 
« permirent, les mêmes observances qu'il avait prati- 
« quées à Saint-Victor. Il y a de l'apparence que ce 
« fut lui qui introduisit ou rétablit la vie commune et 
« régulière dans la cathédrale d'Avranches, car cette 
« église est citée, depuis Achard, parmi celles qui, 


(1) Martène, Ampliss. Collect., t. VI, col. 232. 
(2) T. VII, col. 666. 


ci _. - 5 + 
+ se A ee in - _ 


6 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« conformément aux canons, embrassèrent, au xu° siè- 
« cle, cette manière de vivre. » 

Achard mourut dans sa ville épiscopale, le 
29 mai 4171. Son corps fut inhumé dans l'église des 
Prémontrés de La Luzerne, dont il avait été un des 
bienfaiteurs, et cette épitaphe fut gravée sur sa tombe : 


Præsul Abrincensis, famosus doctor Achardus, 
Hic jacet, ut terræ restituatur humus. 
Gratia cœlestis dedit 1lli dona sophiæ 
Et præfecit eum digniter ecclesiæ. 
Plurima nunc sileo bona facta suæ pietatis, 
Quæ satis audita. visa fuere satis. 
Abbas ipse fuit Sancti Victoris in æde 
Et complevit opus, moribus, ore, pede. 
Exuvis ejus domus est hæc nobilitata ; 
Desuper est nobis gratia tanta data. 
Ergo pater tantus, fidei jurisque patronus, 
Pastoralis erat cujus in ore sonus, 
Gaudia divinæ contempletur faciei 
Pontificisque boni mansio detur ei (4). 


Robert Ceneau, qui fut, à son tour, au xvi° siècle, 
évêque d'Avranches, a fait pour maître Achard une 
autre épitaphe, qui est plus prétentieuse, sans être 
beaucoup plus correcte que l'ancienne : 

Anglia me genuit, docuit me Gallia, legis 

Doctorem tenuit illa patremque gregis. 


Pontificem faciens fecit Normannia finem. 
Hæc tulit, extulit hæc, abstulit hæc hominem. 


(1) Neustria pia, p. 796. 


1 


ACHARD. 


On peut lire quelques autres vers à sa louange dans 
le Théâtre des Antiquités de Du Breul, et dans l'His-' 
toire de l'Université d'Egasse Du Boulay (1). L’histo- 
rien Jean de Saint-Victor, qui vivait dans les premières 
années du xiv® siècle, le compte parmi les docteurs 
de sa robe qui ont le plus fait admirer et leur savoir 
et leur mérite (2). Nous doutons cependant que maitre 
Achard ait été, comme le rapporte Gabriel Pennot, 
placé par ses confrères au nombre des bienheureux (3). 
Cette tradition doit être, sous une autre forme, celle 
que Jacques Du Breul a tirée d'une méchante compi- 
lation de Ceneau, et comme il s’agit d'une église bâtie 
par le comte Robert, prétendu fils de Rollon, en 
l'honneur de saint Pierre et de saint Achard, la mé- 
prise de Jacques Du Breul est assez grossière. En cffet, 
le comte Robert dont parle Ceneau vécut au moins un 
siècle avant notre évêque d'Avranches, et, s'il a dédié 


(4) Du Breul, livr. cité. — Du Boulay, Hist. univ. Paris., 
t. I, p. 300. 

(2) Joan. a S. Vict. Memoriale, cod. Victor. 1013, fol. 298 : 
«Clarebat circa hoc tempus ordo canonicus S. Victoris Parisien- 
sis, celebrisque fama per orbem habebatur, præcipue propter 
famosas quasdam et insignes personas moribus et scieutiis orna- 
tas, quas in diversis diversarum mundi partium ecclesiis sparsit, 
velut vitis fecunda palmites proferens transplantandas. Hoc 
enim tempore fuerant ibidem accepli canonici professi prælati 
in ecclesia Romana cardinales, magister ivo cardinalis et domaus 
Hugo episcopus Tusculanus, magister Achardus episcopus 
Abrincensis...» 

(3) Generalis totius sacri ord. Cleric. can. Hist., part. 2, 
C. 37, n. 2. 


8 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


quelque autel à saint Achard, c’est en mémoire d’un 
autre Achard, abbé de Jumiéges au vn* siècle, qu'on 
vénèrce le 45 septembre. 

Des écrits d'Achard, deux lettres seulement, très- 
courtes l'une et l’autre, ont été imprimées. La pre- 
mière, publiée par Du Chesne (4) et par Martène (2), 
est adressée au roi d'Angleterre, Henri II; Achard 
réclame son intervention contre un des ministres de 
son église, qui s'obstine à ne pas restituer un dépôt 
d'argent ; la seconde, également publiée par Mar- 
tène (8), paraît se rapporter au même objet; elle est 
à l'adresse d'Arnoul, évêque de Lisieux. Achard 
écrivit ces deux lettres lorsqu'il était abbé de Saint- 
Victor. 

Venons maintenant aux ouvrages inédits de notre 
docteur. Il existait à Clairvaux, selon Casimir Oudin, 
un recueil de ses Sermons (4). Le témoignage de ce 
bibliographe inspire à bon droit peu de confiance. 
Cependant il dit ici la vérité; le volume de Clairvaux 
qu'il désigne est aujourd'hui dans la bibliothèque de 
Troyes, sous le numéro 259, et il contient huit ser- 
mons d'Achard de Saint-Victor (5). Mais nous ne serons 
pas longtemps d'accord avec Oudin. Le premier des 


(4) Scriptor. rerum Franc., 1. IV, p. 762. 

(2) Ampliss. Collectio, 1. VI, col. 231. 

(3) Ibid. 

(4) Comment. de script. eccles., 1. U, col. 1229. 
(5) Catalog. général des man. des départ... I. 


ACHARD. ) 


sermons que nous offre le volume de Troyes com- 
mençant par Ductus est Jesus in desertum a Spiritu, 
Oudin se trompe lorsqu'il le distingue d'un opuscule 
ou traité sur la Tentation du Christ, De tentatione 
Christi, qu'il signale dans un manuscrit de Saint- 
Victor. Ce manuscrit de Saint-Victor est sous nos 
yeux, il porte le numéro 944 parmi les volumes de 
cette abbaye que possède aujourd'hui la Bibliothèque 
impériale, et l'on y trouve simplement le premier 
sermon du manuscrit de Troyes, sous un titre, il est 
vrai, différent. Ce n’est pas toutefois le titre donné 
par Casimir Oudin, De tentatione Christi, que nous 
offre le manuscrit de Saint-Victor ; ce n'est pas non 
plus cet autre titre, De l’abnegation de soi même, 
emprunté par Brial au chanoine Simon Gourdan 
qui a fait du même sermon, au commencement du 
xviné siècle, une traduction encore inédite (1). Le 
ütre plus obscur du manuscrit de Saint-Victor est 
Tractatus de septem desertis. Les sept déserts où 
notre docteur conduit successivement l'âme du chré- 
tien qu'il catéchise sont, en effet, les sept étapes de 
l'abnégation évangélique. Mais il suffit de changer 
un titre pour ouvrir la porte à beaucoup d'erreurs. 
Ainsi Fabricius rencontrant, sous le nom d'Achard de 
Saint-Victor, dans le catalogue de Montfaucon (2), le 


(1) Hist. liliér. de la France, t. XUL, p. 455. 
(2) Biblotheca biblioth., p. 1299. 


10 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


sermon ou traité De septem desertis, et ne le voyant 
pas attribué par Oudin à notre cèlèbre chanoine, a 
pensé que Montfaucon avait commis une méprise, et, 
pour la corriger, a de son chef assigné cet ouvrage à 
un autre Achard, moine cistercien, maitre des novices 
à l’abbaye de Clairvaux (4); ainsi M. Daunou, tra- 
duisant sans aucune défiance la courte notice de 
Fabricius, a mentionné, dans le tome XIII de l'Histoire 
litteraire, page 411, sous le nom de cet Achard 
de Clairvaux, l'opuscule analysé par Brial dans le 
même volume, page 445, sous le nom d’Achard de 
Saint-Victor. 

Ces explications données, il reste acquis que l'on a 
conservé huit sermons d'Achard, et qu'ils se trouvent 
dans le numéro 259 de la bibliothèque de Troyes. 
Ajoutons que si la Bibliothèque impériale n’a qu'un 
seul de ces huit sermons et le Musée britannique 
un autre (2), la bibliothèque de Saint-Omer en a 
quatre (3), et qu'on doit avoir en d'autres lieux d’au- 
tres copies des mêmes sermons. M. Coxe n’en signale 
aucune dans les diverses bibliothèques d'Oxford ; mais 
on retrouvera sans doute en France ou en Belgique 
celles qui ont été vues par Montfaucon à Vauclair et 
par Sander à Dunes (4). 

(4) Biblioth. med. et infim. latin., p. 5. 

2 L do of the Harleian man. inthe Bristish Museum, 
. HE, p. 4. 


(3) Catalogue génér. des man. des départ., t. TI, p. 104. 
(4) Biblioth. man. Belgii, p. 179, 


ACHARD. 41 


À la liste des écrits authentiques d’Achard de Saint- 
Victor il faut ajouter un traité sur la Trinité, De Tri- 
nilate, inconnu, suivant Brial, à Casimir Oudin 
et aux autres bibliographes. Il est vrai qu'Oudin et 
Chauffepié ne font pas mention de ce traité; mais 
Jean Pits, Du Boulay, Du Breul et Ansart en avaient 
parlé. Du Breul avait même reproduit, avant Brial, la 
citation qu'en a faite Jean de Cornouaille dans son 
Eulogium. Quoi qu'il en soit, ce traité parait perdu. 

Nous avons maintenant à parler de quelques écrits 
attribués à notre chanoine, ou par simple conjecture 
ou par inadvertance. 

Un opuscule intitulé De la Distinction de l'âme et 
du corps, De discretione (1) animæ et spiritus, qui 
commence par ces mots : Substanlia interior que 
una cum corpore consliturit hominem, secundum varia 
ipsius exercihia, est inscrit au catalogue des œuvres 
de maître Achard par Oudin et Brial, d'après un ma- 
nuscrit du collége de Saint-Benoit à Cambridge. Cette 
attribution est au moins douteuse. D'abord nous cher- 
chons vainement le nom d’Achard à la table des Cata- 
logues publiés à Oxford en 1697 (2), où pourtant est 
le détail des volumes conservés soit à l’université de 
Cambridge, soit au collége de Saint-Benoît. Ensuite, 
dans le seul exemplaire de cet ouvrage que possède la 


(4) Casimir Oudin et Brial écrivent : De divisione animæ 
el spirilus ; mais à tort. 
(2) Calalogi librorum manuscripl. Angliæ et Hibernicæ. 


2* 


12 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 
Bibliothèque impériale, num. 522 de Saint-Victor, 
le nom de l'auteur est simplement désigné par la 
lettre À, et le rédacteur du plus ancien catalogue de 
cette abbaye interprète cette lettre À non par Achard 
mais par Adam. C'est l'interprétation admise par Jean 
de Toulouse dans ses Annales, rédigées vers le milieu 
du xvu® siècle, ct, en conséquence, sur la foi de Jean 
de Toulouse, M. Léon Gautier réclame cet opuscule 
pour Adam de Saint-Victor (1). La prudence nous 
conseille d'hésiter entre Adam et Achard de Saint- 
Victor, et d’autres Adam, d'autres Achard, d'autres 
mystiques du mème âge, inscrits par Fabricius et par 
Ducange à la lettre A. Vouloir distinguer l'âme de 
l'esprit, c'est poursuivre une chimère, ct, si c'est 
notre Achard qui a formé cette entreprise, nous ne 
l'en félicitons pas. 

Avec plus de certitude nous disons qu'il n'a pas com- 
posé ce Soliloque, Soliloquium de instructione anime, 
dont quelques-uns, selon Brial, veulent qu'il soit 
l'auteur. Cet opuscule nous est otfert par le n° 2921 
de la Bibliothèque impériale, et par le n° 1229 
de la bibliothèque de Bruxelles, sous le nom d'Adam 
de Saint-Victor ; il est sous le nom d'Adam de 
Rewley, cistercien écossais, dans le n° 3614 de Saint- 
Omer, et c'est à ce docteur moins renommé que 
Pits l’attribue; il est sous le nom d'un certain Adam, 


(1) Œuvres poéliques d'Adam de S. Viclor, p. 116. 


ACHARD. : 43 


sans autre désignation, per quemdam Adamum, dans 
la bibliothèque Cottonienne (1), et il a été publié par 
Bernard Pez (2), sous le nom d'Adam de Prémontré. 
Dans aucun des manuscrits auxquels on nous renvoic 
nous ne trouvons ce Soliloque sous le nom d'Achard. 

Enfin Pits et Woss ont commis une erreur en reven- 
diquant pour notre victorin une Vie de saint Gescelin 
ou Scotselin, publiée par les Bollandistes à la date du 
6 août. Cette pieuse biographie est du maitre des 
novices à l'abbaye de Clairvaux. 

On ne s'explique done pas la grande renommée 
d'Achard de Saint-Victor par le nombre de ses écrits 
conservés. Ils sont, en effet, peu nombreux. Est-ce 
par la nouveauté de sa doctrine? Nous trouvons sa 
doctrine tout entière dans son sermon De septem 
desertis, qui parait avoir été plus estimé que les autres 
puisqu'il a été plus souvent copié, et nous sommes en 
mesure d'aftirmer que cette doctrine n'est pas nouvelle. 
C'est la doctrine de son école, de sa maison de Saint- 
Victor, ct nous dirions presque, au xn° siècle, de sa 
robe. Hugues l'avait, quelques années auparavant, 
amplement exposée, sous les formes les plus diverses, 
et, quand Achard était abbé de Saint-Victor, le prieur 
de la maison, illustre Richard, l'enseignait aux 
novices. C'est le mépris de la raison professé dans l’in- 

(4) Catalogi librorum manuscript. Angliæ et Hibernie : 


Biblioth. Cotton., p. 32. 
(2) Thesaur. Anecd., 1. E, part. 2, p. 336. 


* 


14 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 
térèt de la foi; c'est ce mysticisme logique dont on élève 
à la plus grande hauteur le fragile édifice sur un amas 
de ruines faites par un scepticisme déloyal. Il y en a 
eu, il y en aura dans tous les temps de ces faux scep- 
tiques. La doctrine d'Achard n'est done pas, disons- 
nous, originale ; mais ses contemporains, ses confrères, 
l'ont trouvé peut-être vif, ingénieux, éloquent, dans 
sa manière d'argumenter contre les maîtres des écoles 
rivales, et peut-être doit-il à son talent cette renom- 
méc qu'il ne doit pas assurément à la nouveauté de ses 
opinions. Qu'on en juge. 

Achard interroge d’abord la raison sur la nature 
des choses qui ne sont pas de ce monde, et lui pose ces 
questions : 


« Comment l’âme sort-elle du corps ? Sortie du corps 
où va-t-elle? Est-elle emportée, est-elle conduite par 
quelque divin messager? S'élève-t-elle à travers l’es- 
pace par sa légèreté propre et de son propre essor ? Com- 
ment comparaît-elle devant la face de Dieu, comment le 
voit-elle, comment voit-elle les anges, comment se voit- 
elle elle-même, comment voit-elle les autres âmes, et 
les bienheureuses et les misérables? Comment, privée 
des sens du corps, perçoit-elle les choses corporelles? 
Quelle est sa manière de voler en la compagnie des anges”? 
Quel est son mode de perfectionnement jusqu’au juge- 
ment dernier ? Ce sont là des questions que chacun fait. 
Mais qui peut y répondre? Personne (1). » 


(4) Cod. Viet. 944, fol. 170, verso. « Qualiter anima egrediatur 
a corpore, et qua et quo, el egressa a corpore quo vadat, et 


ACHARD. 45 


A de telles questions la raison n'a point, en effet, 
de réponse. Elle essayera, nous le savons, de justifier, 
même sur ce point, sa compétence : une partie COnsi- 
dérable de la Somme de saint Thomas n'a pas d'autre 
objet. Mais nous savons aussi quelle est la vanité des 
chimères que se fait la raison travaillant sur des énig- 
mes. Avant de prétendre expliquer ce que devient 
l'âme séparée du corps, la raison est dans l'obligation 
de définir la substance même de l'âme, et c’est une 
définition qu'elle cherchera jusqu'à ce qu'elle renonce 
à la trouver. | 

Descendant ensuite de la patrie des nuages, Achard 
se propose d'établir que la raison rencontre en ce 
monde sensible des écueils où elle échoue. Elle est, par 
exemple, incapable de comprendre ici-bas non-seule- 
ment d'où vient le mal, mais simplement ce qu'il est. 
Voici dans quels termes Achard énonce cette objec- 
Lion : | 


€ Et même 1ici-bas, combien il est difficile de voir le 
trajet du serpent sur la pierre ! Il est presque invisible. 
Ce serpent tortueux et tordu, c’est le Diable; la 


qua, et qualiter et utrum ab alio raptetur, sive ducatur, vel 
ipsa levitate sua et proprio feratur impetu, qualiterque se 
coram facie Dei habeat, quonam modo videat ipsum, quo ange- 
lum, quo seipsam, quo alterius animam, quo beatam, quo 
iniseram, quo intuilu sine sensu Corporali corporalia percipiat, 
quis sit cum angelis volatus, quis usque ad diem ultimum 
profectus? Nonne de via hac omnes interrogant ? Sed nemo 
est qui respondeal., » 


16 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


pierre, c’est le Christ. Le Christ est la tourterelle de 
Dieu, c’est la sagesse de Dieu, qui doit à sa pureté de 
pénétrer partout; en effet, cette sagesse est Dieu 
même qui remplit et le ciel et la terre, et toute 
nature soumise à la loi du changement repose sur 
celte pierre qui ne change pas comme sur un fonde- 
ment immobile. Le trajet du serpent sur la pierre, 
c’est le délit et la peine. Le délit et la peine sont des 
maux, et cependant ces maux n’adviennent qu’à des 
natures bonnes, bonnes parce qu’elles subsistent en 
celui qui est le souverain bien et en qui rien de mal ne 
peut être. Comment donc concilier ceci: en lui rési- 
dent des natures que le mal afflige et toutefois aucun 
mal n’est en lui... Comment, si le souverain bien est 
partout, n’éloigne-t-il pas tout mal par sa présence ? 
S'il est partout, comment le mal est-il quelque 
part (1)7.... » 


(1) « De via quoque colubri super petram, vel hic, vide quam 
sit et ipsa ad videndum difiicilis et pene invisibilis. Coluber 
anguis ille est tortuosus et tortus, id est Diabolus ; petra autem 
Christus. Christus est Dei turtur, et Dei sapientia quæ attingit 
ubique propter suam mundiliam. Ipsa siquidem Deus est qui 
replet cœlum et terram. Ei tanquam petræ in se manenti et fun- 
damento immobili omnis innititur natura mutabilis. Via colubri 
super petram culpa est et pœna; quæ cum sint malæ, non 
tamen nisiin naturis possunt esse bonis, quæ bonæ non essent 
nisi in e0 essent qui summum est benum et in quo nullum esse . 
potest malum. Quomoldo igitur in eo est id in quo est malum et 
in ipso tamen nullum est malum ? Quomodo etiam attingit a 
fine usque ad finem fortiter, et tamen quæ ei adversatur non 
omnem exterminat culpam ? Quomodo omnia disponit suaviter, 
et tamen alicubi non modo permittit sed et infert pœnam ? Quo- 
modo, si ubique est summum bonum, præsentia sui non omne 
eliminat malum? Si ipsum ubique est, qualiter alicubi aliquid 
est mali? Vel si alicubi deest, qualiter vel unde est ubique ali- 


ACHARD. 47 


Si la question était autrement poste, la raison ne 
serait pas réduite au silence. En faisant le sincère aveu 
de ce qu'elle ignore, elle pourrait déclarer ce qu'elle sait 
et faire à ce propos un assez long discours. Mais il est 
évident qu'elle ne peut concilier Fubiquité substantielle 
et du bien et du mal. La foi seule est capable d'affronter 
les périls d'un tel problème, n'étant jamais tenue de 
prouver ce qu'elle avance. Voilà l'avantage de la foi. 
Cela reconnu notre docteur triomphe : 


« La raison, dit-il, ignore, mais la foi commence par 
croire ce que ne conçoit pas la raison. De limperfection 
de la raison procède la perfection de la for. La foi 
connaît par la grâce ce dont la raison ne peul acqué- 
rir la certitude par aucune expérience. Ainsi plus faible 
est la raison, plus forte est la foi; et la raison faisant 
moins ou plutôt ne faisant rien, la foi, qui fait plus, 
qui fait lout, à d'autant plus de mérite. Il faut donc 
que la raison succombe pour augmenter le mérite de 
la foi. Cependant qu’elle ne porte pas « envie à ce 
mérite, car la foi ne fait pas ce qu’elle fait « pour clle- 


quid boni? Qualiter enim vel malum cum ipso, vel bonum sine 
ipso ? Ipsum denique peccatum quod ab ipso non est, et ideo 
nihil est, quomodo alicubi est? Si enim alicubi est, quomodo 
non est ; vel si est, quomodo nihil est ? Quomodo quod nihil est 
in co est quod aliquid est? Vel quid ci quod aliquid est nocere 
potest quod prorsus nihil est? Si autem nocere non potest, ul 
quid timetur, ut quid oditur ? Sed et ejus quod nihil est actor 
quis esse potest ? Quomodo Deus causa est omnis creatura, et 
creatura causa est culpæ, nec tamen Deus causa creaturæ causa 
est culpe, quæ effectus est creaturæ ab ipso effectæ? Quomodo 
causa est cause qui effeclus causa nequit esse ? Ecce quam 
tortuosa, quam anfractuosa sit supra petram colubri via...» 


48 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


même, mais bien plus à l'avantage de la raison; la 
foi doit, en effet, disparaître et la raison doit demeurer 
et tourner à son profit ce qu’elle tient de la foi... Le 
mérite de la raison consiste à respecter la candeur de 
la foi, à ne pas prétendre marcher devant elle, mais 
à la suivre (4)... » 


Soit! la raison est aveugle; elle ne voit pas, au delà 
de ce que perçoivent les yeux du corps, le principe 
efficient du moindre des phénomènes ; elle ne sait pas 
expliquer, même dans le brin d'herbe, ce que c’est 
que la vie, ce que c'est que la mort ; au contraire, la 
foi sait tout, à toutes les questions que lui peut adresser 
l'intelligence humaine, naturellement, comme dit 
Aristote, avide de connaître, la foi répond sans 
embarras. Mais si, par aventure, on se demande quel 
est le fondement de la foi ! 


(4) Fol. i74, recto : « Quomodo accidentia sine subjecto, vel 
æc accidentia in quonam sunt subjecto? Via in istis est ignota 
rationi, sed non penitus ignota fidei. Ratio hoc totum ignorat, 
sed fides præsumit quod ratio non capit. EX rationis defectu 
perficitur fides. Novit fides per gratiam quod ratio per nullam 
scire potest experientiam. Quomodo autem hoc ratio infrmior 
co fides fortior. Quomodo ratio hoc minus et nihil operatur, 
eo fides plus et totum operans amplius meretur. Libenter 
igitur ratio hic succumbat, ut fidei meritum accrescat; nec 
invideat merito fidei, quia quod tides meretur non meretur sibi 
ipsi, sed potius rationi; fides enim evacuabitur, ratio autem 
permanebit, et merito fidei promovebitur... Meritum rationis est 
quod se simplicitati non præfert fidei, nec nititur præcedere 
sed sequi.... Non innititur suæ virtuti, sed gratiæ Dei; cedit 
gratiæ, palmam concedit fidei; dat gloriam Deo confitens 
quod ipse potest facere quod ipsa penitus non po'est capere. » 


ACHARD. | 19 


Il y à du mouvement et presque de l'éloquence dans 
cette péroraison de maitre Achard : 


« Que la faiblesse humaine reconnaisse sa vraie 
mesure... Par mon conseil, je dis mieux par le conseil 
de la vérité, de la raison divine, homme, renonce à ta 
propre raison. Ne crains pas de t’abandonner tout entier, 
pour tout entier te livrer à Dieu, pour t'agiter tout 
entier dans le Seigneur. Sache-le bien, c’est se confier 
à qui peut non-sculement conserver, mais encore 
augmenter le dépôt. Il te le rendra plus tard et avec 
usure. Ïl t'a reçu sur la terre, il te rendra dans le 
ciel. Il t'a reçu dans les lieux bas, il te rendra dans 
les lieux hauts. Il t’a reçu amomndri, 1l te rendra par- 
fait. Il t'a reçu vide, il te rendra plein. Il a reçu brisé, 
il te rendra réparé. Îl t’a reçu ignorant, il te rendra 
contemplant Dieu face à face. Il l’a reçu corrompu, il 
te rendra incorruptible. Il t'a reçu misérable et te ren- 
dra bienheureux : de ce qui était périssable il aura fait 
une chose éternelle; de ce qui était un homme il aura 
fait un Dieu (1). » 


Oui, sans doute, il y a dans ce discours une entrai- 


(4) Fol. 175, recto : a Modum suum agnoscat humana imbe- 
cillitas.… Consilio meo, imo consilio ipsius veritatis et rationis 
diviaæ suam deserat homo rationem. Non timeat se totum dese- 
rere, Lotus Deum sequens, et se totum jactans in Domino. Sciat 
cui credit quia potens est depositum ipsius reservare sed el 
augmentare. Ipsum tibi restituet, et Cum usura. Actipit in 
- terra et restituet in cœlo. Accipit humilem et restituet subli- 
mem. Accipit diminutum et restituet perfectum. Accipit vacuum 
et restituel facie ad faciem Deum contemplantem. Accipit corrup- 
tum et reddet incorruptibilem. Accipit miserum et reddet bea- 
tum, temporalem transferens in æternum, hominem in Deum. » 


90 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


nante vivacité. Le trait final est même d'une audacieuse 
véhémence ; on le croirait de Pascal. Mais notre élo- 
quent docteur envoie son interpellation à une fausse 
adresse. Ce n'est pas à l’homme qu'il parle ainsi, c'est 
au chrétien : aussitôt que l’homme n'est plus éclairé 
par la lumière douteuse de sa raison, il ne voit que les 
ténèbres. 


ADAM DE PERSEIGNE 


Guillaume Talvas, troisième du nom, comte 
d'Alençon, de Bellême et de Ponthieu, recherchant 
en mariage la veuve de Bertrand de Toulouse, Alaïs 
de Bourgogne, vint, dit-on, séjourner quelque temps 
auprès d'elle, à la cour de son père, le comte Odon. 
On ajoute qu’il fréquenta vers ce temps les moines de 
Citeaux, et se plut dans leur commerce. Guillaume eut 
ensuite de grands revers : chassé d'Alençon et de Bel- 
lême par le roi d'Angleterre, il se retira sur les domai- 
nes du comte d'Anjou, et, désespérant de la fortune, il 
devint triste. La tristesse est un des chemins qui con- 
duisent à la dévotion. Ainsi, durant les plus mauvais 
jours de sa vie constamment troublée, Guillaume se 


ADAM DE PERSEIGNE. 21 


rappela ses pieux entretiens avec les moines de Citeaux 
et résolut de fonder une abbaye de leur ordre dans 
une des terres de sa dépendance, quand ces terres lui 
seraient rendues. 

Voilà ce qu'on rapporte sur les origines de l’abbaye 
de Perseigne. Si ce récit ne s'éloigne pas trop de la 
vérité, Guillaume Talvas dut mettre la première main 
à son entreprise quelque temps après l'année 4135, 
puisqu'au témoignage d'Orderic Vital (4) il ne rentra 
pas sur ses domaines avant la mort du roi d'Angle- 
terre Henri I. Quelle que soit, d’ailleurs, la sincérité 
de la légende, en l’année 1145, d'après un acte 
authentique, l’abbaye de Perseigne, nouvellement 
achevée, fut consacrée, en la présence du fondateur, 
par Guillaume de Passavant, évêque du Mans, et 
Gérard, évêque de Séez, et elle eut pour premier abbé 
le vénérable Erard, qui la gouverna pendant près de 
trente-cinq ans (2). 

À la mort d'Erard, ses pouvoirs et ses insignes 
furent attribués par les suffrages des moines à un 
savant homme, leur confrère et, dit-on, leur pricur, 
que tous les historiens appellent Ana pE PERSEIGNE. 
Ils ne prouvent pas, 1l est vrai, qu'il soit né dans le 
Maine. On ignore son pays natal. Mais puisque Jean 
Liron et Ansart l'admettent eux-mêmes au nombre 
des illustres Manceaux, nous ne le rejetterons pas 


(1) Histor. eccles., édit. M. Leprevost, t. V, p. 57. 
(2, Gallia Christiana, 1. XIV, col. 517. 


29 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


assurément de notre catalogue. Quelle autre province 
a plus de droits à le réclamer? 

Adam avait été d'abord chanoine régulier. Il nous 
l'apprend dans une de ses lettres (1). On suppose qu'il 
porta l'habit des chanoines à l'abbaye de Sainte-Barbe- 
en-Auge, au diocèse de Lisieux (2); mais on le suppose 
presque sans fondement. Il fut -cnsuite, nous dit-il, 
moine noir, c'est-à-dire bénédictin,; c'est pourquoi 
l'historien de Marmoutiers, Edmond Martène, trouvant 
à Marmoutiers, vers l’année 4173, un bibliothécaire de 
son nom, propose d'identifier ce bibliothécaire et le 
futur abbé de Perseigne (3); mais cela est encore une 
simple conjecture. 

Nous avons, il est vrai, pour l'appuver une lettre 
où l'abbé de Perseigne, écrivant à l'abbé de Turpenai, 
le prie de saluer en son nom, dans cette abbaye, 
huit personnes différentes, et de plus une religieuse 
d'un monastère voisin, dont il parle comme de la plus 
tendre amic (4). Or cette abbaye de Turpenai, dont il 
connaissait familièrement tous les hôtes, étant de 
l'ordre de Saint-Benoît et dans le diocèse de Tours, un 
moine de Marmoutiers aurait pu la visiter souvent. 
Adam quitta la robe noire pour revêtir la robe blanche 


(4) Epist. ad G., monachum Pontiniacensem. Dans Martène, 
Thes. Anecd., t. T, col. 683. 

(2) Hist. liltér, de la France, t. XVI, p. 437. 

(3) Ibid. 

(4) Epist. ad abb. de Turpiniaco. Martène, Thes. Anecd., 
t. 1, col. 7C0. 


ADAM DE PERSEIGNE. 23 


des Cisterciens, symbole de leur dévouement particu- 
lier à la Vierge Marie. Il est vraisemblable qu'il fut 
admis au nombre des religieux de Citeaux à l’abbaye. 
de Pontigny, au diocèse d'Auxerre. Charles de Visch 
cite un manuscrit de cette abbaye sous ce titre : 
Adami, Pontiniacensis monachi, Conciones et medi- 
tationes. On sait, en outre, qu'il fut quelque part 
maître des novices, quoiqu'il eût été dispensé lui-même 
des épreuves du noviciat (1). Enfin nous le trouvons 
abbé de Perseigne en l'année 1189 (2). 

Chaque fois qu'il avait changé d'habit, Adam avait 
fait élection d'une règle plus sévère. On peut dire qu'il 
avait la passion de l’abstinence et de la mortification 
monastiques. 

C'était chez lui, d'ailleurs, une passion raisonnée. 
Ille déclare souvent : sa doctrine est le mépris du 
corps, Contemnendum est corpus (3). Voici mainte- 
nant la paraphrase de cette dure maxime : « Homme, 
« l'humilité t'enseigne ce que tu es, ce que tu as été, 
« ce que tu seras bientôt. Il y a peu de temps tu 
«n'étais rien. Commençant à être quelque chose, tu 
« n'étais qu'une vile semence. Maintenant que tu vis, 
« qu’es-tu ? Un vase d’immondices. Que seras-tu 


(1) Epist. ad Osmundum. Dans les Miscellanées de Baluze, 
t. I, p. 423. 

(2) Gall. Christ, t. XIV, col. 519, 

(3) Sermo de S. Bened. Mss. de la Bibl. Imp., lat., num. 10634, 
fol. 39. 


24 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« bientôt? Tu seras la pâture des vers. Pourquoi, terre 
« et cendre, pourquoi de l'orgueil (4)? » 

Ce mépris du corps, c'est le mépris de toutes les 
choses corporelles. Adam écrit à un de ses amis : 
«Aimer les choses qui sont de ce monde c’est mépri- 
«ser les choses célestes. Qui recherche les biens pré- 
«sents s'exile de la région des biens éternels, et 
«celui-là n'est pas digne d'être aimé par le divin 
« ouvrier qui n'a pas appris à le préférer lui-même à 
«son œuvre (2). » Adam va plus loin : plus d'une 
fois il répète, même sans déclamer, qu'aimer le monde 
c'est s’ériger en ennemi contre Dieu (3). Il faut donc 
se retrancher du monde et vivre à l'écart, avec soi- 
même : «Toutes les choses, dit-il, que la chair estime 
« glorieuses, l’homme qui pratique l'humilité Îles 
« déteste, les exècre, bien que, dans sa simplicité 
« parfaite, il se confine assez en lui-même pour ne 
«vouloir, pour n'oser porter aucun jugement sur 
«aucune chose... [I n'aspire qu'à se connaître. Con- 
« naître les autres lui paraît une superfluité, comme 
« le désir d’être connu par eux une vanité (4). » 

Mais dans la solitude on trouve d'autres solitaires. 


(4) Epist. ad comitiss. Pertic. Martène, Thes. Anecd., t. I, 
col. 678. | 


(2) Epist. ad N. amicum. Martène, Thes. Anecd., 1. I, 
col. 734. 


(3) « Amor quippe mundi inimicum Deo constituit. » Epist. 
ad quemdam amicum. Martène, Thes., 1. I, col. 718. 
(4) Epist, ad Odon. episc. Martène, Thes., t. FE, col. 671. 


+ 


ADAM DE PERSEIGNE. 25 


Comme on ne peut les fuir, on les recherche, on 
les interroge sur les motifs de leur exil, et l'on fait 
avec eux un pacte de haine contre ce monde où l’on 
ne veut pas vivre. Ainsi se forment les associations 
cénobitiques. Adam n'est pas de ceux qui, après 
avoir contracté l'engagement de la vie commune, 
le regrettent et troublent le cloître par les éclats de 
leur humeur chagrine. Il mourait au monde le jour 
même où il le quittait : « Lorsque tu arrives, dit-il, 
à la porte d'un monastère, tu dois te dépouiller de 
« ta chair, qui est le vêtement de l'âme. Tu la tenais 
« de l’anathème, tu l'avais reçue de la corruption, tu 
« l'avais entretenue de vices et de concupiscences ; 
« laisse donc, avant de pénétrer dans le sanctuaire, 
«tout ce que ce monde impur revendique en elle 
« comme venant de lui(4).» C'est ainsi qu'il conseille 
un novice. Or s'étant lui-même, selon ce précepte, 
dépouillé de toute affection mondaine avant de péné- 
trer dans les murs du cloître, il s’y plait, il trouve 
dans cet asile un silence, un repos qui le charment, il 
y est heureux autant qu'ici-bas on peut l'être. Nous 
lisons dans une de ses lettres à Etienne de Chalmet, 
_prieur de la chartreuse de Portes : « Combien il est 
« plus doux d’être esclave d’une règle sévère, d'être 
« captif dans ses chaînes, d'être retenu dans ses entra- 
«ves loin du théâtre bruyant du monde, que d’avoir 


(4) Epist. ad G. mon. Martène, Thes., 1. I, col. 687. 


926 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


«le tracas des affaires séculières, que d’être travaillé 
«par les soucis du vice, que d'être asservi par les 
« séductions de la chair (4)! » Ce n'est done pas seu- 
lement le silence, le repos, c’est encore la servitude 
qu'il est venu chercher au cloître, et c'est dans une 
servile obéissance que consiste la perfection de son 
bonheur. 

Disons enfin que cet exilé du monde, poursuivant de 
sa haine tout ce qu'il y a laissé, n'épargne pas même 


les études les plus honorées dans l'Église séculière. Il 
n'y a pas, à son jugement, d'autre science que celle de 


la discipline, puisque la fin de toute science est de 
mieux connaître la voie du salut. 

« Combien, s'écrie-t-il, elle est vraie, combien elle 
«est estimable cette philosophie qui ne disserte pas 
« vainement sur les astres, sur la nature des choses, 
«à la manière de Platon, mais qui plutôt, au profit de 
« Ja foi et suivant l'institution de saint Benoît, notre 
« père, traite humblement et utilement de la correc- 
«tion des mœurs, de la pratique des vertus, de l'ob- 
« servation des commandements, ne s'employant pas 
«à mériter les applaudissements des hommes, mais 


« 


« à partager les joies des saints (2) ! » Avons-nous 


(4) Epistol. ad Steph. Carth. Martène, Thes. Anecd. €. 1, 
col. 672. 

(2) Quam vera hæc philosophia et quam laudabilis, quæ non 
platonico more de astris supervacue disserit, vel rerum naturis, 
sed, ratione fidei et institutione patris nostri, humiliter et utiliter 
agit de correctionibus morum, de reparatione virlutum, de obser- 


de ER nm ET ut 


GR Se “mu ts 


ADAM DE PERSEIGNE. 97 


besoin de le faire remarquer, cette censure de toute 
philosophie naturelle et de toute théologie spéculative 
ne concerne pas seulement, parmi les contemporains 
de notre abbé de Perseigne, Abélard, Gilbert de la 
Porrée, Guillaume de Conches; elle s'adresse encore 
aux plus considérés des nouveaux docteurs, Hugues 
de Saint-Victor et Pierre Lombard. Ceux-là même 
sont pour lui des philosophes mondains. 

Eh bien! le croira-t-on? ce farouche ennemi du 
siècle eut un jour à se défendre d'une coupable con- 
descendance pour les habitudes sensuelles de quelques 
séculiers, ses hôtes, ne put s’en justifier et fut puni. 
En l’année 1191 le chapitre général de son ordre 
rendit cet arrêt : « L'abbé de Perseigne, pour avoir 
« offert à ses hôtes, le sixième jour de la semaine, du 
« fromage et des œufs, observera le jeûne, ce sixième 
« Jour, aù pain et à l’eau ; et qu'à l'avenir lui et d'autres 
«prennent garde de ne pas commettre la même 
« faute (4)! » Telle était alors, chez les Cisterciens, la 
rigueur de la discipline. 

Mais on maintenait ainsi les sévères prescriptions 
de la règle sans amoindrir la considération des per- 
sonnes : un abbé condamné n'était pas du tout flétri. 
L'année même où le chapitre général de Citcaux 


vantia mandatorum, non quærens delectari plausibus hominum, 

sed sanctorum gaudiis admisceri, Sermo in festivitate S. Bene- 

dicti. Mss. de la Biblioth. impér., lat., n. 10634, fo. 36, verso. 
(4) Martène, Thesaur. Anecdot., t, IV, col. 1270. 


2** 


28 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


publiait contre notre abbé de Perseigne le décret que 
nous venons de rapporter, un certain Gervais, de 
Toigné, près Marolles, se donnait à lui corps et 
biens. La même année, le comte Robert d'Alençon, fils 
de Jean I, se disposant à partir pour la Terre-Sainte, 
le priait d'assister comme témoin à la lecture de son 
testament. Il était le confesseur, le conseiller et l'ami 
de ce prince. Au retour de Jérusalem, où il ne séjourna 
guère, Robert fit don à son confesseur Adam de pré- 
cieuses reliques. Il ne se montra pas moins libéral à 
son égard en l’année 4194. Eudes Cottinel et Philippe 
de Randonné, préposés à la garde des bois qui de 
tous côtés environnaient l'abbaye de Perseigne, exi- 
geant des moines le payement de certaines redevances, 
Robert les en affranchit. Voilà des preuves du crédit 
dont notre abbé jouissait dans ce monde qu'il mépri- 
sait. 

Dans son ordre, il passait pour un des plus doctes 
religieux, un des plus habiles interprètes de la lettre 
sacrée (1). Chez les moines noirs qu'il avait quittés, 
on lui témoignait, en lui demandant des avis sur toute 
matière, le regret qu'on éprouvait de l'avoir perdu. 
Même dans l'Église séculière il avait assez d'au- 
torité pour écrire quelquefois sur le ton de la remon- 
trance à des chanoines, à des évêques. Adam était 
donc un personnage honoré, renommé, quand, 


(4) Radulphi Coggeshalæ Chronicon, dans le Rec. des Histor. 
de France, 1. XNILL, p. 76. 


ADAM DE PERSEIGNE. 29 


vers l'année 1495, ses supérieurs l’arrachèrent pour 
quelque temps aux sombres solitudes du Saônois, 
l'envoyant en mission dans la Ville éternelle. Les his- 
toriens eux-mêmes parlent de ce voyage et en racon- 
tent quelques incidents. 

Éjant à Rome, Adam y rencontra le célèbre Joachim, 
abbé de Fiore, en Calabre, qui soutenait divers para- 
doxes plus ou moins singuliers. On peut dire de cet 
abbé Joachim que c'est le précurseur des libres es- 
prits de la Renaissance italienne. Il avait toute leur 
fougue, tout leur enthousiasme, toute leur audace, et, 
comme eux, il avait pour toutes les chimères, même 
les plus folles, un penchant déclaré. On a la preuve 
de son audace dans la critique qu'il a faite de la doc- 
trine de Pierre Lombard sur le mystère de la Trinité. 
Prétendre avec le Maitre des Sentences que le Père, le 
Fils et l'Esprit existent comme un seul être, une sub- 
stance unique, C'était, à son avis, proposer une opi- 
nion incompréhensible, et, en révoltant la raison, 
compromettre la foi. Il enseignait donc que ces trois 
personnes, pourvues individuellement d'une triple 
substance, sont unies d'abord par la similitude de leurs 
natures, ensuite par la communauté de leurs volontés 
et ainsi forment un tout collectif, comme plusieurs 
hommes un seul peuple, plusieurs fidèles une seule 
Église (1) : doctrine déjà condamnée sous les noms 


(1) Ce sont les termes dont ont fait usage les évèques réunis à 
Saint-Jcan-de-Latran, dans la sentence qu'ils ont portée contre 


30 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de Sabellius et de Roscelin. Quand il s’agit des mys- 
tères de la foi, l'Eglise latine ne supporte pas qu'on les 
interprète de manière à les rendre intelligibles selon 
la raison ; la raison n’a point à se mêler des mystères. 

On suppose que l'abbé Joachim, trop peu versé 
dans l'histoire de l'Église, n'a blasphémé que par 
ignorance. C'est le sentiment de Noël Alexandre (1) : 
il paraît peu fondé. Joachim ne s’en tenait pas, en 
effet, à reproduire sur le mystère de la Trinité d’an- 
ciennes hérésies : outre que c'était un théologien, 
c'était encore un prophète, et il y a de bien plus 
grandes témérités dans ses prophéties que dans sa 
théologie. Raisonnant sur une concordance imaginaire 
entre les époques de l'histoire juive et celles de l’his- 
toire chrétienne, il commentait l'Apocalypse en des 
termes d'autant plus capables de séduire les imagina- 
tions qu'il les effrayait davantage. Les juifs, disait-il, 
avaient subi six persécutions ; les chrétiens devaient 
passer par les mêmes épreuves, et la sixième des per- 
sécutions chrétiennes allait commencer avec la pre- 
mière année du xui° siècle. Cette période achevée, les 
temps auraient accompli leur durée. Ainsi prophéti- 
sait Joachim, et, ayant raconté ses rêves, il en faisait 


l'abbé Joachim : « Manifeste protestans quod nulla res est quæ 
« sit Pater et Filius et Spiritus Sanctus.... Unitatem hujusmodi 
« non veram et propriam, sed quasi collectivam et similitudina- 
« riam essefatetur, quemadmodum dicuntur multi homines unus 
« populus et multi fideles una Ecclesia. » 

(1) Histoire littér. de la France, t. XX, p. 25. 


ADAM DE PERSEIGNE,. 31 


d'autres, ne ménageant pas dans ses discours l'Église 
établie, et s'attribuant à lui-même un rôle considé- 
rable dans les prochains événements. 

Comme cet abbé de Fiore était cistercien et que son 
langage peu mesuré faisait tort à son ordre, Adam, 
l'ayant rencontré, prétendit le réduire au silence, et 
voici, suivant Raoul, abbé de Coggesale, l'entretien 
qu'ils eurent ensemble. 

D'abord Adam lui demanda qui lui avait donné le 
droit d'outrager l'Église et de répandre la terreur 
parmi les nations. Pouvait-il se compter au nombre 
des prophètes autorisés par un mandat céleste? Avait-il 
été privément initié, par quelque révélation spéciale, 
aux grands mystères de la volonté divine? Ou bien 
supposait-il simplement les choses qu'il disait? Joachim 
répondit : «Ce que j'annonce n'est véritablement ni 
«une prophétie, ni une révélation, ni une conjecture. 
« Mais Dieu, qui donnait autrefois l'esprit de prophé- 
«tie, m'a donné l'esprit d'intelligence, et, par la vertu 
«de cet esprit, je comprends très-clairement les mys- 
«tères de la sainte Écriture, ainsi que les ont compris 
«les prophètes. » Ce n'était pas si mal répondre. 
Marsile Ficin, Campanella, Bruno, Vico lui-même, le 
dernier venu des rêveurs italiens, n'ont pas employé, 
pour justifier la nouveauté de leurs théories, des termes 
bien différents. 

Adam n'était peut-être pas homme à les comprendre. 
Il ne fit du moins, au rapport de l'historien anglais, 


D2 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


aucune objection à la doctrine de son interlocuteur et 
se contenta de lui poser une autre question. « Quelle 
«est donc, lui dit-il, ton opinion sur l'Antechrist ? 
«— Je pense, répartit Joachim sans se troubler, qu'il 
« vient d'atteindre l’âge de l'adolescence et qu'il habite 
à cette heure la ville de Rome. — Mais, objecta 
«cette fois le docte abbé de Perscigne, c'est à Baby- 
« lone, suivant les Pères, que doit naître l'Antechrist. 
«— Babylone, répliqua Joachim, est le nom mystique 
«de Rome. On l'appelle Babylone comme étant le 
« réceptable de toutes les idolâtries (4). » 

Il n’est pas probable que le colloque finit ainsi. Con- 
naissant mieux aujourd'hui l'abbé de Fiore que ne l’a 
connu le narrateur de cette aventure (2), nous suppo- 
sons qu'il donna de lui-même, sans avoir besoin d'être 
interrogé, de plus amples développements à l'exposition 
de son ingénieux système sur les anciennes et les futures 
évolutions de la société chrétienne. C'était un vision- 
naire ; mais 1l devait se fier à ses visions, ayant déjà 
rencontré beaucoup de gens qui les trouvaient à leur 
goût. Raoul de Coggesale n'ose pas lui-même se décla- 
rer contre elles : « Ce qu'il faut penser de l’assertion, 
«ou plutôt de l'opinion de cet homme, nos neveux, 


(4) Radulphi Coggeshalæ Chronicon, dans le Lccueil cité. 

(2) Voir la notice sur Jean de Parme de M. Daunou, Histoire 
littér. de la France, t, XX, p. 24 et suiv., et l’article de M. E. 
Renan, inséré dans la Revue des Deux-Mondes, t. LXV, p. 94, 
sous le titre de Joachim de Fiore et l'Évangile élernel. 


ADAM DE PERSEIGNE. 39 


«dit-il, le sauront mieux que nous. » Or, il vécut au 
moins jusqu'à l’année 1227, les persécutions prédites 
n'étant pas venues ; et l’on doit voir jusque vers la fin 
du xur° siècle, dans le plus remuant des ordres nou- 
veaux, l'ordre de Saint-François, un très-grand nombre 
de joachimites déclarés. In°y a pas d’autres prophètes 
que de faux prophètes; cependant on croira toujours 
aux prophéties. Qu'elles annoncent l'avenir heureux 
ou malheureux, on aime à s’y confier : ce qui Faso le 
plus l'âme humaine c'est l'inconnu. 

Adam était de retour en France au mois de mars de 
l'année 1198, quand Marie, comtesse de Champagne, 
fille du roi Louis VIT, le fit appeler, sentant les appro- 
ches de la mort, pour lui demander des prières. Adam 
s'empressa d'obéir à cette pieuse requête ; mais quand 
il arriva près de la comtesse, elle venait de mourir, et 
les gens qui gardaient sa maison lui en refusèrent 
l'entrée. Il y avait alors, dans l'intérieur de cette 
maison, selon le récit d'un contemporain, un grand 
tumulte, les serviteurs de la comtesse se disputant non- 
seulement ses habits précieux, sa vaisselle d'or et 
d'argent, mais encore les draps et les oreillers de sa 
couche mortuaire. Quand enfin Adam fut introduit, 
un de ces gens venait de renverser sur un tas de 
paille son cadavre dépouillé de tout ce qui n'avait pu 
tenter leur convoitise. C’est pourquoi l'abbé de Per- 
seigne put, sans trop d'emphase, faire en ces termes 
l'oraison funèbre de cette fille des rois : « Venez tous, 


34 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« venez ct voyez en quel pompeux appareil git ici la 
«très-noble comtesse Marie! Voyez son corps délicat 
« ignominicusement roulé sur cette paille au mépris 
«de toute pudeur! Voyez l'honneur et le glorieux 
« hommage qu'elle a finalement reçu du monde (4)! » 
Thomas de Cantimpré, de qui nous tenons ces détails, 
neles a certes pas tous inventés. Depuis longtemps 
veuve, Marie venait de perdre à la fois sa sœur et son 
fils aîné, le comte Henri, et si le jeune Thibauld, son 
second fils, le dernier de ses protecteurs, était absent 
lorsqu'elle mourut, ses gens ont bien pu livrer sa 
maison au pillage : il n'y a dans ce fait rien de con- 
traire aux mœurs du temps. 

Le roi d'Angleterre, Richard Cœur-de-Lion, voulut 
aussi, vers ce temps, se confesser à l'abbé de Persei- 
gne. Ce fut sans doute au commencement de l'an- 
née 1198, quand, ayant battu les Picards, il revint en 
Normandie et leva des troupes pour envahir le Vexin. 
Nous trouvons, en effet, la mention de cette pieuse 
entrevue d'Adam et du roi dans une charte de l'an- 
née 1198. 

Par cette charte, le roi confirme les possessions de 
l'abbaye et les augmente de quelques revenus. Cet 
accroissement venait à propos : de l'année 1193 à 
l'année 1197, la France presque entière avait été 
désolée par une famine sans trêve. C'est à ces 


(1) Thomas Cantipratanus, De Apibus, lib. 1, cap. vu, num. 7. 


re €, 


dl EE 


ADAM DE PERSEIGNE. 39 


désastreuses années que l'on rapporte une lettre d'Adam 
à l'évêque de Paris, Eudes de Sully, où, s'excusant de 
ne pas lui aller rendre visite, il lui dit qu’il est retenu 
par ses devoirs au milieu d'un peuple qui meurt 
affamé (1). | 

C'est sans doute à la même date qu’Adam écrivait 
à un de ses amis, qui l'avait prié d'accueillir un 
novice : « La stérilité vraiment extraordinaire de la 
« présente année m'oblige à sevrer mes nourrissons et 
« à les faire émigrer vers des maisons mieux pourvues. 
« Je ne puis donc maintenant recevoir personne (2). » 
Cependant la mention d'une famine n'est pas, à cette 
époque, l'indication précise d'une année; le même 
fléau sévit encore en 1201, en 12092, en 1203 : les 
guerres publiques entre les rois, les guerres privées 
entre les possesseurs des moindres fiefs, la mauvaise 
administration des terres, des chemins, ainsi que 
l'imprévoyance, l'incurie d'un colonat servile rame- 
naient constamment la famine et dépeuplaient des 
pays entiers. 

L'année 1199 s'annonce sous de meilleurs auspices. 
Adam peut donc quelquefois quitter Perseigne et aller 
voir ses nombreux amis. Il était absent le mardi qui 
suivit la fête de Pâques et dut regretter cette absence. 
Ce jour, en effet, vint à l'abbaye un puissant évêque, 
Hugues d'Avallon, évêque de Lincoln, mis par l'Église 


(4) Martène, Thes. nov. Anecd., t. I, col. 672. 
(2) 1d., tbid., t. I, col. 696. 


36 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


au nombre des saints, qui, se rendant en la ville de 
Séez, se détourna de sa route dans l'unique dessein de 
converser quelques heures avec l'illustre abbé. Un 
voyage à l’abbaye de Perseigne était alors une entre- 
prise pleine de difficultés : l'auteur de la vie de saint 
Hugues le fait errer longtemps à travers des plaines 
et des monts, des monts inconnus, ignotos omnibus 
colles, loin des routes frayées (1); et toute cette peine 
fut perdue. En l'absence de l'abbé, saint Hugues se 
fit conduire à la chapelle des moines, entendit la messe 
et se retira. 

En l'année 1201, une nouvelle croisade est prêchée 
par Foulques de Neuilly. Toute la noblesse de France 
s'étant donné rendez-vous pour un tournoi sur les 
bords de la Somme, non loin de Corbie, Foulques 
arrive au lieu désigné, monte sur un échafaud et 
raconte avec tant d'éloquence les douleurs des chré- 
tiens d'Orient, que le plus grand nombre des seigneurs 
conviés à la fête prend la croix offerte par le fervent 
missionnaire. Aussitôt on forme une armée, on s’ap- 
prête à partir, ct, sans plus de retard, le chef de 
l'expédition, Boniface, marquis de Montferrat, se rend 
à Citeaux pour demander au chapitre de l’ordre la 
permission d'emmener en sa compagnie un des abbés 
de son pays. Foulques, qui l'est venu rejoindre, 
désigne au nom du pape, comme devant aussi l’ac- 


(4) Gall, Christ., t, XIV, col, 520. 


ADAM DE PERSEIGNE. ._. 31 


compagner, les abbés cirsterciens de Cercanceau, des 
Vaux de Cernaiï et de Perseigne (4). Cette expédition, 
on le sait, eut pour résultat non pas la délivrance de 
Jérusalem, mais la ruine de Constantinople. Il y a lieu 
de croire qu'Adam de Perseigne, comme un des repré- 
sentants de l'Église dans cette prétendue croisade, se 
retira, même avant qu'on mit à la voile, d'une entre- 
prise qui parut dès l'abord devoir être conduite au 
plus grand profit de quelques marchands vénitiens ; 
en effet, au moment où s'opère le partage de l'empire 
de Constantin entre Beaudouin de Flandres et la répu- 
blique de Venise, Adam, de retour à Perscigne, cst 
nommé dans une lettre d'Innocent INT, qui lui donne 
pour mandat de travailler au rétablissement de l’ordre 
dans l’église de Reims. 

Après la mort du cardinal Guillaume, les chanoines 
de Reims avaient choisi pour archevêque Philippe de 
Dreux, évêque de Beauvais. Mais contre ce choix 
s'était prononcé le grand archidiacre, Théobald du 
Perche, homme remuant, ambitieux, qui, disait-on, 
avait lui-même ardemment convoité la succession de 
Guillaume. Théobald ayant donc appelé, selon la 
coutume, devant le pape, accusa Philippe, qui était de 
noble race, d'avoir porté les armes ct d'en avoir fait 
usage. L'élection de Philippe fut cassée pour vice de 


(1) Radulphi Coggeshalæ Chronicon, dans le Recueil cité, 
p. 93. — Martine, Thes, nov., t. IV, col. 1296. 


38 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


forme, et le pape écrivit aux chanoines de Reims qu'il 
avait chargé l'évêque d'Auxerre, l'abbé de Perseigne, 


ainsi que Robert de Corson, chanoine de Noyon, de 


désigner eux-mêmes le successeur de Guillaume, s'ils 
n'avaient pu, dans le délai d'un mois, se mettre d'ac- 
cord et faire plus régulièrement un meilleur choix (1). 
Ils portèrent alors leurs suffrages sur un certain 
Beaudouin, leur confrère; ce qui dispensa l'abbé de 
Perseigne et les autres commissaires de se concerter 
et d'intervenir. Cependant cette nouvelle élection 
n'eut elle-même aucun résultat ; Théobald l'ayant 
attaquée comme la première, la vacance du siége dura 
deux années, pendant lesquelles le parti de l’archi- 
diacre et celui du chapitre se firent une guerre 
acharnée. Enfin, désespérant de jamais les réconcilier, 
Innocent III remit la crosse archiépiscopale à Guy, son 
légat, évêque de Préneste. 

La lettre d'Innocent III aux chanoines de Reims est 
du 10 janvier 14204. En la même année, le même 
pape envoya l’évêque du Mans Hamelin et Adam de 
Perseigne à l'abbaye de Marmoutiers. Les mœurs 
commençant, partout à se relâcher, on avait signalé, 
même en cette abbaye, d'assez graves désordres. Les 
commissaires du pape y remédièrent en imposant aux 
moines de nouveaux statuts, qui furent approuvés en 


(4) Epistolæ Innoc. III, dans le Recueil des Histor. de Fr., 
t. XIX, p. 447. | 


ADAM DE PERSEIGNE. 39 


1208 par le cardinal Paul, un des légats du Saint- 
Siége (1). — 

Une commission encore plus difficile lui fut donnée 
par le souverain pontife en l'année 1208. La secte des 
Albigeois avait fait au midi de la France des progrès 
considérables. Les catholiques du nord s'excitant à 
venir exterminer ces hérétiques, un prince doué d'une 
_ grande énergie, Raymond VI, comte de Toulouse, 
avait pris l'engagement de les défendre, et, avant même 
que la lutte fût engagée, ses troupes mercenaires in- 
spiraient aux seigneurs catholiques un tel effroi qu'ils 
fatiguaient Rome de leurs plaintes, réclamant son 
aide secourable contre cet autre fléau de Dieu. Inno- 
cent lui fit d'abord parvenir des remontrances, puis 
des menaces ; enfin il l'excommunia. Sur ces entre- 
faites, un moine de Citeaux, légat du pape, Pierre de 
Castelnau, ayant tenu devant ce chef d'infidèles des 
propos outrageants, fut, quelques jours après, massacré 
par un de ses chevaliers. Ce meurtre odieux entraina 
le pape à des excès de colère : n'espérant plus rien 
de ses menaces, il fit aussitôt prêcher une croisade : 
dans le nord contre les hérétiques du Languedoc et 
leur chef redouté. Mais afin que cette croisade eût 
le résultat qu'il se proposait, l'anéantissement de 
l'hérésie, Innocent devait d’abord rendre disponibles 
toutes les forces du roi de France employées à sur- 


(1) Gallia Christ, 1, XIV, col, 196. 
I à 


40 HISTOIRE LILTÉRAIRE DU MAINE. 


veiller ou à combattre Jean d'Angleterre. Il envoya 
donc vers les deux rois ennemis les abbés de Perseigne 
et du Pin, les suppliant d'unir leurs armes contre 
l'ennemi commun, le tyran de l'Église, le meurtrier de 
ses ministres (4). Philippe-Auguste accepta la propo- 
sition de trêve, et, s'il ne voulut pas aller lui-même à 
cette croisade, il envoya du moins contre Raymond de 
Toulouse un grand nombre de ses chevaliers, sous les 
ordres du farouche Simon de Montfort. Quand on 
connait ce qui suivit, tant de combats livrés avec tant 
de rage, tant d'incendies et de massacres, la dépopu- 
lation de la plus florissante contrée de la France exé- 
cutée sans remords, au nom de Dieu, on regrette la 
part prise par Adam de Perseigne aux négociations 
qui précédèrent une si lamentable tragédie. 

Une des missions qui paraissent avoir causé le plus 
d'embarras à notre abbé de Perseigne, eut un beau- 
coup moindre théâtre que les cours de France et d'An- 
gleterre. Il s'agissait de rétablir la discipline dans 
l'abbaye du Mont-Saint-Michel. L'abbé Jordan du 
Mont était en guerre ouverte avec ses moines, qui 
avaient rédigé contre leur supérieur un acte d'accusa- 
tion où étaient signalés les plus graves délits, comme 
le pillage du trésor abbatial, la vente des bois de la 
communauté, la dévastation des manoirs, la confisca- 

ion des revenus attribués au prieur, au chantre, au 


(1) Recueil des Histor. de France, t. XIX, p. 500. 


ADAM DE PERSFIGNE. Al 


sacristain, etc., etc. Qu'y avait-il de fondé dans ces 
griefs ? Nous l'ignorons. Dès l'année 1207, Adam avait 
reçu d'Innocent II l'ordre de se rendre au Mont-Saint- 
Michel et d'y calmer les esprits. Il fit, en 1210, avec 
l'évêque de Coutances et l'abbé de Savigny, une nou- 
velle enquête sur les faits imputés à Jordan du Mont ; 
mais on ne nous apprend pas quel en fut le résultat. 
La mort de Jordan ne mit-elle pas fin aux poursuites 
dirigées contre son administration ? C'est ce que l'on 
suppose (4). | 

En 1211, Adam était de retour à Marmoutiers, oùil 
siégeait parmi les juges d'un procès pendant entre le 
comte Robert et le prieur de Bellesme. La même année 
il faisait présent aux moines de Silly de quelques 
dimes accordées à ceux de Perseigne par Roger de 
Courtemblay. Nous le trouvons enfin en 1212 chargé 
par le souverain pontife de vérifier plusieurs accusa- 
tions portées contre l'évêque de Séez (2). C'est le der- 
nier acte de sa vie dont on ait conservé le souvenir. 
S'il vécut, comme on le suppose, jusqu'en l'année 
4221, il est probable qu'il acheva sa vicillesse dans la 
retraite et le repos, au milieu de ses moines. Il avait 
assurément acquis le droit de ne les plus quitter. 

S'il a beaucoup écrit etsur des sujets divers, notam- 
ment, comme le rapporte Jean de Trittenhcim, sur 


(1) Dom Bessin, Concil. Normann., part. IT, p. 369 et 370. 
(2) Gall, Christ, t. XIV, col. 21. 


49 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


l'Écriture sainte, les seuls ouvrages qu’on ait conservés 
de cet abbé sont des sermons et des lettres. 

Il avait de son temps la réputation d'un très-habile 
sermonnaire. Jacques de Vitry nous le représente 
comme un digne émule de l'impétueux Foulques de 
Neuilly : « Quand, dit-il, la mort eut enlevé cet 
« athlète du Christ, qui avait en quelque sorte réveillé 
« le monde par ses saintes clameurs, latratibus 
« sanctis, et avait fait pénétrer au sein des ténèbres 
« la lumière de la vérité, on en vit beaucoup, à son 
« exemple, qui, enflammés du zèle de la charité, 
« commencèrent à prêcher et à enseigner... Parmi 
« ceux auxquels il fut donné d'acquérir le plus grand 
« renom, nous citerons d'abord l'abbé de Perseigne, 
« de l'ordre de Citeaux, avec plusieurs autres dont 
« les noms sont inscrits au livre de vie... (4). » C'est 
une réputation quil a longtemps conservée, du 
moins dans son ordre. Jean de Trittenheim place 
avant ses autres titres celui d'excellent prédica- 
teur (2). 

Selon cet historien, les sermons d'Adam se divisaient 
en deux livres, l'un à l'adresse de ses religieux, ad 
fratres, l’autre à la louange des saints. Sur les mêmes 
sermons voici d'autres renseignements. Charles de 
Visch décrit un volume que montrait de son temps le 


en 


(4) Hist. Occident., c. 1x. 
(2) Liber de Script. eccl., num. 343. 


ADAM DE PERSEIGNE. 43 


docte Hilarion Rancati, abbé de Sainte-Croix en Jéru- 
salem, et procureur général de Citeaux en cour de 
Rome, où on lisait, dit-il, plus de deux cents homélies 
d'Adam de Perseigne, sur toute matière, les fêtes, les 
saints, les vertus et les vices (1). Si ce volume est 
perdu, tout ce qu'il contenait a peut-être été sauvé. 
Théophile Raynaud assure qu'étant à Rome il a vu le 
manuscrit d'Hilarion Rancati, et y a retrouvé la plu- 
part des sermons faussement attribués à saint Ber- 
nard (2). Il serait bien téméraire de se fier à tous les 
dires de Théophile Raynaud. Quoi qu'il en soit, Hippo- 
lyte Maracci, prêtre de Lucques, a, du moins, tiré de 
ce volume toutes les homélies qui concernent la Vierge 
et les a publiées sous le titre suivant : Adæ, abbatis 
Perseniæ, ord. Cisterciensis, Mariale, sive de beatæ 
Mariæ laudibus Sermones aurei et fragmenta nunc 
primum edita; Rome, 1652, in-16 ; et ce n'est pas 
là tout ce qui nous reste des sermons d'Adam : nous en 
désignerons d'autres. 

Non pas, il est vrai, à la bibliothèque du Mans: il 
faut, en effet, regretter un volume entier de ces ser- 
mons, autrefois conservé, selon Casimir Oudin, dans 
l'abbaye de Perseigne ; ce volume n'est pas au nombre 
de ceux que la bibliothèque du Mans a reçus de 
l'abbaye supprimée. Mais la Bibliothèque impériale 


(1) De Visch, Biblioth. scriptor. ord. Cisterc., p. 4. 
(2) Th. Raynaud, Opera, t. U, p. 275. 


44 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


possède en divers recueils plusieurs scrmons de notre 
abondant prédicateur : quatre dans le numéro 10,634 
du fonds latin, sur la fête de Pâques, sur la fête de 
saint Benoit, sur les liens de saint Pierre, sur la Nati- 
vité de la Vierge (1), ct trois dans le numéro 58 du 
fonds de Navarre (aujourd'hui 47,282 du fonds latin), 
dont le premier est sur la Pentecôte. On nous en 


(4) Ce manuscrit du xive siècle, qui, tout entier, est composé 
d'écrits d'Adam de Perseigne, ne faisait pas partie de l'ancien 
fonds du roi. Introduit à la Bibliothèque sous le rêgne de 
Napoléon ler, et alors revêtu de l’estampille impériale, il a plus 
tard été détourné de cette Bibliothèque, pour y être réintégré, 
le 20 mars 1861, par M. Bellender Ker, avocat anglais. M. Bel- 
lender Ker remettait en même temps aux conservateurs de la 


Biblio‘hèque une lettre singulière, écrite à un de ses parents, 


dont un passage expliquait ainsi le détournement du volume : 
s..... € On m'a dit que vous éliez amateur de manuscrits 
« antiques. En voici un que, je ne sais par quel motif, l'empereur 
« Napoléon avait tiré de sa bibliothèque et emporté avec lui. Il 
« me le donna, avec quelques autres, le 14 juin 1815; veuillez 
« me faire le plaisir de l’accepter. » Cette lettre est signée Dra- 
piez. Le témoignage de ce M. Drapiez, qui rédigea plus tard, 
à Bruxelles, avec M. Bory de Saint-Vincent les Annales géné- 
rales des sciences physiques, ne doit inspirer aucune défiance. 
Cependant on s'explique mal l'empereur Napoléon Ier, le 
44 juin 1815, la veille de la bataille de Ligny, le jour même où 
il rédigeait et publiait à Avesnes une proclamation devenue 
célèbre, ayant l'esprit assez tranquille, assez inoccupé, pour 
recevoir en son quarticr-général un citoyen belge, qui n'était 
pas un personnage, et lui faire don de quelques manuscrits. 
Pourquoi, d’ailleurs, Napoléon avait-il distrait, non pas de 
sa bibliothèque, qui était au Louvre, mais de la Bibliothèque 
impériale, ce manuscrit des œuvres d'Adam de Perseigne, un 
manuscrit du xive siècle, dont il ne pouvait rien lire et où rien 
ne pouvait l'intéresser ? 


ee nn + Me 


ADAM DE PERSEIGNE. A5 


signale d’autres dans le numéro 312 de la bibliothèque 
de l'École de médecine de Montpellier, provenant de 
Ciîteaux (1). Le numéro 757 de la bibliothèque de 
Troyes, qui provient de Clairvaux, en renferme aussi 
quelques-uns (2). N'’nésitons pas, d’ailleurs, à croire 
qu'avec le temps on en découvrira d’autres encore en 
diverses bibliothèques dont nous n'avons pas les cata- 
logues : on a dû souvent copier des sermons autrefois 
si goûtés. a 

Ce n'est pas qu'à notre avis ils méritent autant d’es- 
time. Un religieux cistercien du xvu® siècle, Charles- 
Emmanuel de Maldura, les admirait encore, et tousles 
jours il les lisait. C'est ce qu'il écrit à son confrère 
Charles de Visch. Nous n'aurions pas un si grand 
courage. Les sermons sont, on l'a fait judicieusement 
observer, un genre faux, et les meilleurs n’échappent 
pas à cette critique. Or, ceux d'Adam de Perseigne 
nous offrent l'exagération même de ce faux genre. Que 
d'antithèses et de comparaisons! que de jeux d'es- 
prit et de subtiles facéties! Voici, par exemple, quel- 
ques lignes du sermon sur les liens de saint Pierre : 
« Dans ce que rapporte l'Écriture touchant les liens 
« de saint Pierre est notre pain. Je ne dis pas toute 
« espèce de pain, comme un croûton qui n’a que de 
« la croûte, ou un gâteau mollet qui n’a que de la 


(1) Catalog. génér. des man. des départ. 1. I, p. 415. 
(2) Ibid., t. IIL, p. 313. 


46 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« mie, cest un pain solide, ayant croûte et mie, qui 
« joint, en d'autres termes, à la superficie de l’his- 
« toire la substance de l'intelligence spirituelle, et 
« qui nous nourrit avec ce double aliment (1). » En 
latin comme en français, ce passage est incontesta- 
blement du plus mauvais style: nous le citons pour- 
tant presque sans faire un choix. Tous les sermons 
d'Adam sont la paraphrase verbeuse d'un texte 
quelconque : où ‘les pensées manquent les pointes 
abondent ; ce ne sont que festons travaillés avec un 
soin puéril. Mais ce genre de travail était alors à la 
mode, et, en récitant les impertinences que nous 
venons de traduire, Adam se faisait applaudir par ses 
moines. C'est son excuse. Et ses moines aussi ne 
seront-il pas excusés? Ils n'étaient pas, en effet, 
comme Charles Emmanuel de Maldura, presque con- 
temporains de Bossuet. 

Les lettres conservées d'Adam de Perseigne forme- 
raient, si elles étaient réunies, un recueil assez impor- 
tant. Martène en a publié vingt-trois dans le tome I de 

son Thesaurus Novus, d'après un manuscrit de Clair- 
_ vaux (2), et une vingt-quatrième dans le tome I de son 


(1) «In scriptura vinculorum Petri panis noster est. Nec est 
quilibet panis; nec crustulum quod tantum crusta est; nec 
est laganum quod tantum est mica; sed est solidus panis crus- 
tam habens et micam, id est historiæ superticiem et intelligen- 
tiam spiritualem, et cibat nos utroque. » Sermo de Vinculis 
S. Pelri. Man. de la Bibl. imp., n. 10,634, fol. 48. 

_ (2) Col. 669 et suiv. Une de ces lettres, la dix-neuvième, se 


ADAM DE PERSEIGNE. 47 


Amplissima collectio (1). On lit, en outre, six autres 
lettres d'Adam à Osmond, abbé de Mortemer, dans le 
premier volume des Miscellanées de Baluze (2). Nous 
avons à désigner aussi quelques lettres inédites : trente 
et une dans le numéro 987 de la bibliothèque de 
Troyes, une dans le numéro 312 de la bibliothèque de 
l'École de médecine de Montpellier, et deux, à l'adresse 
d'un prélat nommé Simon, dans le numéro 10,634 de 
la Bibliothèque impériale. 

Ces lettres sont d’autres sermons. Aussi des copistes, 
chargés de nous transmettre les œuvres d'Adam de 
Perseigne, ont-ils pu confondre sous le même titre ses 
sermons et ses lettres (3). 

Il n'eût pas lui-même désapprouvé cette confusion. 
Écrivant, en effet, une lettre très-tendre à un de ses 


trouve dans la grande collection de Desponts, Bibliothecha Max. 
Patrum, t. XVII, p. 257, et dans le recueil de dom Marrier, 
Bibliotheca Cluniacensis, p. 127, où elle est faussement attri- 
buée à Odon de Cluny. Le manuscrit de Citeaux, déja désigné, 
que possède aujourd'hui la bibliothèque de l’École de médecine 
de Montpellier, num. 312, renferme les vingt-trois lettres impri- 
mées dans le Thesaurus Novus. Plusieurs des mêmes lettres se 
trouvent encore en d’autres dépôts de manuscrits : à la Biblio- 
thèque Impériale, num. 10,634 du fonds latin, et num. 58 de 
Navarre, fol. 101, ainsi que dans les num. 757 et 987 de la biblio- 
thèque de Troyes. 

(1) Col. 1095. 

(2) Les quatre premières de ces lettres sont dans le num. 1,998 
du fonds latin à la Bibliothèque impériale, la cinquième dans 
le num. 2,905 du même fonds. 

(3) Comme, par exemple, le copiste à qui nous devons le 
num. 58 de Navarre. 


S 4 


48 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


amis nommé Nicolas, ille prie de substituer lui-même, 
dans le préambule, le nom d'Evrard à celui de Nicolas 
et d'envoyer la même lettre à cet Evrard, leur ami 
commun (1). Quelquefois même il reproduit dans une 
lettre nouvelle de longs fragments d’une lettre précé- 
dente, dont il avait soigneusement gardé copie. On ne 
trouvera donc rien d'intime dans sa correspondance ; 
elle ne contient que des thèses, des sentences de 
morale ascétique, paraphrasées avec l'abondance, ou, 
pour micux dire, le défaut de mesure qui est le propre 
des prédicateurs. L'imagination, naturellement vive, 
de l'écrivain est quelquefois heureusement inspirée ; 
mais jamais elle ne se produit simplement. Adam a 
peut-être lu quelque part que le style simple convient 
aux lettres : «Reçois, dit-il à un ami, ce petit pré- 
« sent, excuse la rusticité de ce discours, écrit à 
« l'adresse des gens dont le langage affecte le ton 
« sublime, sachant sans aucun doute que je me 
« suis moins inquiété de polir des mots et de subti- 
« liser des idées, que de remplir d'une façon quel- 
« conque un engagement pris (2).» Eh bien! dans 
la lettre même que cette déclaration accompagne, il 
prodigue les mots trop polis, les idées trop subtiles : 
soit pour dire des riens, soit pour exprimer de fortes 
pensées, il faut qu'il fabrique à grand effort des 


(1) Martène, Thes. nov., t. I, col. 696. 
(2) Martène, Thes. nov. t. I, col. 733. 


ADAM DE PERSEIGNE. 49 


périodes pleines de figures. On a déjà cité quelques 
phrases de son homélic épistolaire sur les vices et le 
luxe des femmes. Pour donner un échantillon de son 
style, et faire connaître à la fois les qualités qui le 
recommandent aussi bien que les défauts qui le 
déparent, nous allons traduire un fragment de la lettre 
qui contient cette amplification. Elle est adressée à la 
comtesse du Perche. Cette princesse ayant eu limpru- 
dence de demander un règlement de vie à notre 
ascète morose ct déclamateur, il lui répond : 


À 


« Vous devez rejeter la vanité de ce monde périssa- 
ble, vous devez mortifier cette chair amie des voluptés, 
vous devez vous retrancher tout ce qui est de trop, 
afin que la sainte frugalité vous adopte comme fille de 
Dieu. L'esprit de vie est sobre, il est pur de toute 
intempérance. Îl ne vient pas habiter le cœur dont il 
a vu que la frugalité s’est éloignée. Il ne s'intéresse 
pas aux jeux de hasard, il n’observe pas les évolutions 
des échecs avec une oisive sollicitude ; les grossières 
facéties des histrions outrageraient sa chasteté. Sa 
pureté divine dédaigne l’usage de ces robes longues 
qui ne servent qu’à soulever la poussière et à retarder 
la marche. Vanité du superflu ! Ostentation frivole ! Il 
ne suffit pas d’orner ce corps immonde (sterquilinium 
corporis) d'un vêtement précieux ; il faut encore atti- 
rer après soi une longue traînée de poussière. Voilà 
ce qu'a inventé la dépravation des cœurs pour offenser 
les yeux et les narines : car ne devons-nous pas fer- 
mer nos yeux, boucher nos narines et détourner notre 
face, quand nous nous trouvons au milieu de ce nuage 


50 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« poudreux? Triste invention, heureusement ignorée de 
« nos ancêtres, qui empêche de marcher et blesse la 
« vue. Elle empêche, dis-je, de marcher, car l’ostenta- 
« tion de ces frivolités détourne le cœur de la recherche 
a de la vérité; elle trouble la vue, car, tandis que le 
a goûtde celte mode efféminée pénètre par le regard dans 
« l’esprit des gens, elle détourneles yeux de la raisonde la 
a contemplation des beautés célestes. Mode cruelle, qui 
« rassemble, qui amasse la poussière des places publi- 
« ques, avec un superflu de vêtement qui devrait 
« couvrir la nudité des pauvres! Les femmes de notre 
« temps n’ont pas honte de ressembler à des renards : 
« de même qu'une longue queue est l’ornement de ces 
« ignobles bêtes, ainsi nos femmes mettent leur gloire à 
« dérouler après elles les longs replis d’une robe trat- 
« nante. O combien souvent, ce qui est plus grave 
« encore, n’a-t-on pas pillé la maison du pauvre, dévasté 
« le patrimoine des veuves ou des pupilles, pour payer 
« ces vêtements! Car c’est ainsi que l’on pourvoit à la 
« dépense des somptueux bénéfices, c’est ainsi que l’on 
« engraisse les ventres (saginantur ventres) en de ma- 
« gnifiques festins. Qui fournit à la noblesse de notre 
siècle ses mets les plus recherchés et ses meubles 
de prix ? Ce sont des gens qui vivent toujours dans la 
dernière pauvreté. Méditez sur ces choses, Ô me 
fille, etc., etc. (1). » 


RAR MR AR A 


Il y a évidemment beaucoup trop d'affectation dans 
ce langage : cette série de périodes sur le luxe des 
femmes n'est pas moins prétentieuse et moins trai- 


(4) Martène, Thes. nov., 1. FE, col 678. 


ADELHELME. 51 


nante que la queue de leurs robes. Quant aux jeux de 
mots sur l'outrage fait aux narines et aux yeux, ils 
peuvent assurément passer pour un ornement superflu. 
Mais telle est la rhétorique d'Adam de Perseigne. 


ADELHELNME. 


ADELHELME, Adalhelme, Adahelin, ou Adelin, est 
compté par quelques hagiographes parmi les saints du 
martyrologe gallican. Quand et à quel titre fut-il admis 
par l’église dans ses fastes liturgiques? nous l'igno- 
rons. Il importerait aussi de connaître exactement le 
lieu de sa naissance, et je regrette de n'être pas plus 
éclairé sur ce point. On paraît croire qu'il était du 

N Maine. C'est une opinion que je serais fort empé- 
ché de contredire, mais encore ne peut-on rien 
affirmer sur les premières années de sa vie, jusqu’à 
son admission dans l’abbaye de Saint-Calais. Il en 
sortit pour aller occuper le siége épiscopal de Séez, où 
il fut appelé par Charles le Chauve, en 876. Telle est 
du moins, suivant les auteurs de l'Histoire littéraire 


592 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de la France (1), la date à laquelle il faut rapporter la 
promotion d'Adelhelme à l'évêché de Séez. Les conti- 
nuateurs de Bollandus veulent qu'il ait été consacré en 
811 (2), par Charlemagne, mais évidemment ils com- 
mettent une erreur : Adelhelme parle, en effet, d'un 
empereur Charles, auquel il témoigne une vive recon- 
naissance, mais il indique clairement que cet empe- 
reur est Charles le Chauve, puisqu'il lui donne pour 
frère Louis le Germanique. C'est donc au temps de 
Charles le Chauve qu'Adelhelme gouvernait l'évêché 
de Séez. Mais le règne de ce prince fut long et la date 
assignée par l'Histoire littéraire à la promotion 
d'Adelhelme est fort incertaine, comme nous allons le 
faire voir. 

À peine Adelhelme est-il mis en possession de ce 
diocèse, suivant les auteurs de l'Histoire littéraire, 
que les Normands descendent dans le pays, le rava- 
gent, en massacrent les habitants, et emmènent 
l'évêque captif pour le vendre au delà des mers. Entre 
les mains de ces barbares il souffrit, comme il nous 
l'apprend, toutes sortes d'outrages ; rien ne lui fut 
épargné, ni les injures, ni les coups, ni le froid, ni 
la faim (3). Après tant de disgrâces, il fut enfin rendu 
à son diocèse, qu'il gouverna, dit-on, jusqu en 910. 
C'est à cette année 910 que l’'AÆistoire littéraire fixe 


(1) T. VI, p. 130. 
(2) Acta Sanctorum, 22 aprilis. 
(3) Miracula sanclæ Opportunæ, ch. 4. 


ADELHELME. 53 


la date de sa mort. Mais rien n’est encore moins fondé 
que cette conjecture. En effet, l'abbé Lebcuf nous 
fournit un document qui la contredit (1). Ce docu- 
ment est un manuscrit, qui contient un recucil de 
bénédictions à l'usage des évêques, dont voici le titre: 
Benedictio Dominicæ primæ post natale Domini: ct 
à la suite : Jubente gloriosissimo archiepiscopo 
domno Francone, has benedictiones Adelhelmus cap- 
tivus episcopus studuit componere. On ne doute pas 
que l'auteur de ce Bénédictionnaire, cet évêque captif du 
nom d'Adelhelme, ne soit notre évêque de Séez ; et 
l'on explique bien que Francon, archevêque de Rouen, 
son métropolitain, pouvait lui commander (jubente 
Francone) un ouvrage de ce genre. Mais, au témoi- 
gnage de Mabillon (2), Francon fut appelé sur le siége 
de Rouen vers l’année 910, et c’est durant sa captivité 
(captivus) qu'Adelhelme rédigea le recueil dont le 
manuscrit nous est signalé par l'abbé Lebeuf. D'où il 
faut conclure que si la promotion du moine de Saint- 
Calais au gouvernement du diocèse de Séez eut lieu 
en 876, les auteurs de l'Histoire littéraire se trompent 
d'abord en le faisant enlever par les Normands dans 
les premières années de son épiscopat, ensuite en le 
faisant mourir dans le cours de l'année 910. 

Ils motivent, il est vrai, leur opinion en ce qui con- 


(1) Dissertations de l'abbé Lebeuf, t. I, p. 115.. 
(2) Acta SS. ord. S. Bened., t. IV, p. 221. 


Le 


54 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


cerne l'époque de sa captivité, par une interprétation 
libre de ce terme captivus. Il ne faut pas entendre, 
disent-ils, qu'Adeclhelme füt prisonnier des Normands 
au temps même où il composa son Bénédictionnaire ; il 
l'avait été sans doute, mais il ne l’était plus. Et voici 
comment ils justifient cette assertion : « Il n'était non 
« plus captif lorsqu'il travaillait à ses bénédictions, 
« qu'il était captif ou moine de Saint-Calais lorsqu'il 
« mit la main à la Vie de sainte Opportune, dans 
« laquelle il prend ces deux qualités. » Malheureuse- 
ment cette unique preuve est fondée sur un contre- 
sens. Nous voyons bien, en effet, dans le prologue des 
Miracles de sainte Opportune, légende composée par 
Adelhelme après son retour d'Angleterre, que cet 
évêque se qualifie : Beati Karilefi monachus et 
servus. Mais ce mot servus n'est pas ici le synonyme 
de captivus, et l'on ne saurait exactement traduire 
la phrase que nous venons de citer, autrement que 
par « moine et serviteur de Saint-Calais. » Il serait 
manifeste que les auteurs de l'Histoire litiéraire ont, 
en cet endroit, commis une impardonnable erreur, 
quand nous ne lirions pas dans le même prologue (1), 
quelques lignes plus loin: Sancta Opportuna el 
beate Karilefi (2), liberate pereuntem servum ves- 
trum!— « Sainte Opportune et saint Calais, sauvez 


(1) Dans l'édition des Acta. 
(2) 11 faut lire Karilefe. 


ADELHELME. 55 


votre serviteur qui va périr ! » Si donc il n’y a aucune 
induction à tirer de ce terme servus à l'appui de la 
fable inventée par les auteurs de l'Histoire littéraire, 
s’il n'est en rien démontré que, pour avoir toujours 
présent le souvenir de ses infortunes, notre évêque se 
soit lui-même surnommé le Captif, il reste établi qu'il 
a mis la main à son Bénédictionnaire durant sacaptivité, 
et que la dévastation de son diocèse par les Normands 
est un événement postérieur à l’année 910. À moins 
toutefois que cette année 910 ne soit pas la date exacte 
de la promotion de l’évêque Francon sur le siége mé- 
tropolitain de Rouen. Or, on prouverait qu'il faut 
antidater cette promotion avec un passage de la Vie 
de sainte Opportune, écrite par Adelhelme, comme 
nous le savons de lui-même, après sa captivité. En 
effet, en cet endroit, l'auteur parle de Charles le 
Chauve comme s'il vivait encore, et les historiens 
s'accordent à faire mourir Charles le Chauve en 877. 
Voilà donc tout notre échafaudage qui s'écroule : cette 
date admise, les autres doivent être rejetées ; il faut 
faire monter Francon sur le siége de Rouen et faire 
trainer l’évêque de Séez au delà de l'Océan, dans 
la seconde moitié du 1x° siècle. Une plus longue 
collation de textes serait inutile et fastidieuse. Qu'a- 
vons-nous voulu démontrer ? Rien autre chose que la 
contradiction de la plupart des documents qui nous 
sont fournis par les anciens annalistes sur les origines 
de notre histoire ecclésiastique. Nous ne hasarderons, 


56 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


pour notre part, aucune hypothèse téméraire ni sur le 
jour natal, ni sur le jour funèbre d'Adelhelme: ceci 
seulement nous semble incontestable, c’est qu'il occu- 
pait le siége de Séez dans les dernières années du 
ixe siècle, ou dans les premières du x°. 

Le recueil manuscrit (4) de Bénédictions qui porte 
le nom d'Adclhelme est un supplément aux anciens 
formulaires, qui paraissent avoir été tous incomplets. 
Les additions de l'évêque de Séez furent adoptées par 
l'église de Paris. L'abbé Lebeuf parle assez au long 
de ce recueil : mais ce qu'il en dit n'a pas beau- 
coup d'intérêt. 

Nous connaissons encore deux autres écrits d'Adel- 
helme: la Vie et les Miracles de sainte Opportune. 
Adelhelme ne doutait pas d'attribuer l'insigne bien- 
veillance que lui avait témoignée Charles le Chauve 
à une secrète influence exercée sur l'esprit de ce prince 
par sainte Opportune. Durant ses jours d'épreuve il 
avait plus d'une fois invoqué cette vierge bienheu- 
reuse, et sa protection l'avait, pensait-il, affranchi 
de la servitude. Quand il fut rétabli sur son siége, il 
se hâta d'accomplir un engagement qu'il avait pris 
plusieurs fois : celui d'écrire l'histoire édifiante de 
sainte Opportune. Get écrit est divisé en deux parties: 
dans la première, l'auteur raconte la vie de la 


(1) Ce manuscrit avait été vu par Mabillon dans la biblio- 
thèque de de Thou : il passa plus tard dans celle de Colbert et 
ensuite dans celle du Roi, où il fut consulté par l'abbé Lebeuf. 


ADELHELME. 57 


sainte, sœur de Godegrand ou Chrodegang, évêque 
de Séez, abbesse de Montreuil (Monasteriolum) (1) : 
dans la seconde, il parle des miracles opérés par son 
intercession. Surius a mis en lumière cette légende (2). 
L'édition qu'en ont donné Luc Dachery et Mabillon (3), 
d'après un manuscrit de l'église collégiale de Sainte- 
Opportune, est plus exacte et plus complète; elle a 
été aussi publiée, avec quelques variantes, par les 
continuateurs de Bollandus (4). Il y en a une autre 
édition, avec une traduction française, de Nicolas 
Gosset, curé de Sainte-Opportune à Paris; Paris, 
1654, 1655, in-8° (5). Voici l'éloge que les auteurs 
de l'Histoire littéraire font de la légende de sainte 
Opportune : « On doit dire, à la louange d'Adelhelme, 
« qu'il ne nous reste point d'ouvrage de ce temps-là 
« qui soit mieux écrit en tout genre. Il ne s’y est point 
« livré, comme tant d’autres écrivains, à l’extraordi- 
« naire et au merveilleux. Il ne s'arrête, surtout dans 
« son premier livre, qu'à des faits aussi édifiants 
« qu'instructifs, et les rapporte avec une piété capable 
« de faire impression sur le cœur. Tout ce qu'on peut 


(4) « Sagiensi urbi vicinum, quod est in saltu Algiæ situm. » 
Vita S. Opport., ch. 1. 

(2) A la date du 22 avril. 

(3) Acta sanct. ord. S. Bened., t. IV, 

(4) 22 aprilis, 

(3) Vie de sainte Opportune, enrichie des antiquilés de Paris 
et de l'abbaye d'Almenesche, par Nic. Gosset. Voir Biblioth. 
Historique de Fevret de Fontette, t. 1, num. 14,854. 


58 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« lui reprocher, c'est que son style est un peu diffus. 
« Du reste, il est clair, agréable, aisé, naturel et assez 
« pur pour le temps (1). » 


ALLARD (cLauDE). 


Claude AzLarp, né à Laval, élève des écoles de La 
Flèche et de Paris, fut ensuite précepteur du prince 
de Talmont, et, pendant quelque temps, on le croit 
du moins, directeur des religieuses de Sainte-Croix de 
Poitiers (2). Il revint ensuite dans sa ville natale, où 
il obtint en 1634 la charge de chantre de Saint-Tugal. 
Il mourut en 1672 (3). Claude Allard est auteur d'un 
onvrage d'une importance médiocre, qui a pour titre : 
Le miroir des âmes religieuses, ou la vie de très-haute 
et très-religieuse princesse madame Charlotte-Flan- 
drine de Nassau, très-digne abbesse du monastère de 
Sainte-Croix de Poitiers; Poitiers, Thoreau, 1653, 
in-4, C’est une oraison funèbre, divisée en six livres, 


(1) Histoire littéraire de la-France, t. VE, p. 132. 
(2) Ansart, Biblioth. litlér., p. 29. 
(3) I. Boullier, Recherches hist. sur l'égl. dé la Trinité, p. 349. 


CLAUDE ALLARD. 59 


sur les mérites divers de la prince#%e Charlotte de 
Nassau, née, le 48 août 1578, de Guillaume de Nassau, 
prince d'Orange, et de Charlotte de Bourbon, morte 
et ensevelie à Poitiers, le 10 avril 4640. Claude 
Allard a rédigé ce livre sur des notes qui lui avaient 
été transmises par les religieuses de Sainte-Croix. 

Fevret de Fontette attribue au même auteur l'ou- 
vragesuivant : Crayon des grandeurs de Saint-Antoine 
de Viennois ; Paris, 1653, in-12. Le titre de ce livre 
porte, il est vrai, le nom de Claude Allard ; mais ce 
Claude Allard n'est pas notre chantre de Saint-Tugal, 
qui mourut en 1672 ; c'est un religieux Antonin, dont 
Fevret de Fontette inscrit la mort à l'année 1658 (1). 
Ainsi deux écrivains différents ont vécu dans le même 
temps, qui avaient le même nom, le même surnom, et 
qui étaient aussi pauvres l'un que l'autre de talent et 
d'esprit. 


ALTON (GERvAIS). 


Ansart inscrit au nombre des écrivains nés dans le 
Maine Gervais Aron, curé de Coulongé et doyen rural 
d'Oisé, auteur d’un petit livre français, publié sous ce 


(1) Biblioth. hist. de la Franre, 1. I, p. 828. 


60 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


titre latin: Enchiridion, seu Manuale ad usum paro- 
chorum pro visitatione et cura infirmorum; Le Mans, 
Olivier, 1654, in-16. Ce livre, qui est un commentaire 
du Rituel d'Emeric de La Ferté, est dédié par Gervais 
Alton à Philibert-Emmanuel de Beaumanoir. Il était 
resté dans beaucoup de mains, quand le style en avait 
vieilli. L'abbé Ceboy, curé de Milesse, en faisait 
encore, au xvi° siècle, le plus grand cas (1). 


AMELLON (mari). 


Les Amellon étaient scigneurs de Fatines, de Saint- 
Cher et de Chastillé. S'ils n'avaient pas encore au 
xvi® siècle une noblesse très-ancienne, on les tenait 
pour nobles. La branche principale de cette famille 
était du Mans. Il y avait une seconde branche à Sablé. 
À cette branche de Sablé appartenait Denis Amellon, 
lequel prit pour femme Marguerite Ménage, et eut d'elle 
Pierre Amellon, né à Sablé en 1549, cordelier obser- 
vantin, tour à tour gardien des couvents de Précigné 


(1) Mélanges manuscrits des Bénédictins, à l'Institut de 
France, t. IE, fol. 61. 


MARIN AMELLON. Gi 


et de Cholet en Anjou, d’Ancenis en Bretagne, d'OI- 
lonne en Poitou et de Cluis en Berry, qui fut, au rap- 
port de Gilles Ménage (1), un prédicateur fameux et 
un des religieux les plus considérés de son ordre. La 
branche du Mans fournit plusieurs conseillers au pré- 
sidial, entre autres Jacques Amellon, qui, le 16 avril 
1655, prêta serment en cette qualité devant le parle- 
ment de Paris (2). De la même branche était un 
autre Amellon, conseiller à la cour des aides en l'an- 
née 1683 (3). | 

Marin AMELLON, né au Mans, selon M. Desportes, 
fut élu premier échevin de cette ville en l'année 
1578 (4). Il était avocat. Plus tard, en 1607, au déclin 
de sa vie, il avait le titre de syndic des avocats et pro- 
cureurs au siége présidial du Mans. 

On lui doit une table alphabétique des matières con- 
tenues dans la Coutume du Maine. Cette table a été 
publiée dans l'édition des Coutumes du Maine de 1607 ; 
le Mans, veuve H. Olivier, in-8. Elle a été repro- 
duite dans l'édition des Coutumes d'Anjou conférées 
avec celles du Maine, par Michel de La Roche-Maillet, 
1633 ; dans les Coutumes du pays et comté du Maine 
de Julien Bodreau, 1645, et, avec quelques additions, 


(1) Hist. de Sablé, deuxième partie, p. 86. 

(2) fegistres du conseil du parlement, à la bibliothèque des 
avocats à la cour de Paris, t. LXXV, fol. 44, verso. 

(à) Remarques sur la vie de Guill. Ménage, p. 273. 

(4) Cauvin, De l'Administration municipale dans la province 
du Maine, p. 47. 


62 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


dans les Remarques de Louis des Malicottes, 1657. 
Boucher d'Argis s'est trompé quand il a supposé que 
cette table avait été publiée pour la première fois en 
1693 (1). Ansart a commis d’autres erreurs. N'ayant 
pas, il paraît, entre les mains l'édition des Coutumes 
annotée par Marin Amellon, il fait d'abord sur la date 
de cette édition une fausse conjecture; ensuite il 
dit mal à propos qu'outre sa table alphabétique 
Amellon a composé « un excellent commentaire » sur 
la Coutume du Maine (2). Ce commentaire excellent 
est imaginaire. Des trois opuscules attribués à Marin 
Amellon dans la Biographie annexée au Dictionnaire 
Statistique de la Sarthe, il y en a deux qui n'ont 
jamais existé, et le titre du troisième n’est pas exacte- 
ment rapporté. Ce n'est pas, en effet, Marin Amellon 
qui a fait la concordance alphabétique des Coutumes 
d'Anjou, de Paris et du Maine. Dans l'édition de 1607, 
il est dit expressément: « Ami lecteur, nous avons 
« ajouté à la table que maître Marin Amellon.… te 
« donne, les articles des Coutumes d'Anjou et de Paris 
« qui se trouvent semblables à la nôtre... » Cette 
addition, ou, pour mieux dire, cette conférence n'est 
donc pas l'ouvrage de Marin Amellon; elle est de 
quelque autre jurisconsulte dont le nom nous est 
inconnu. 


(4) Dictionn. Hist. de Morcri,édit, de 1759. 
(2) Biblioth. litt. du Maine, p. 32. 


PIERRE AMY. 63 


Il nous reste à dire sur Marin Amellon, que certains 
articles de procédure furent réformés à sa requête, le 
16 mars 1606, par le lieutenant-général François 
Levayer. 

De son mariage avec Marie Marais, de Laval, il avait 
eu au moins un fils et une fille. Son fils, Pierre 
Amellon, fut chanoine du Mans, promoteur de l'offi- 
cialité de cette ville et archidiacre de Sablé (4). Sa 
fille, Renée Amellon, épousa Guillaume Rivière, asses- 
seur au présidial du Mans (2). 


AMY (PIERRE). 


Nous lisons dans la Bibliothèque Française de La 
Croix du Maine : « Pierre Any, dit Amius, sieur du 
« Pont, natif de la ville du Mans, conseiller du roi au 
« siége présidial et sénéchaussée du Maine, très-docte et 
«très-excellent poëte latin. Il n’a encore fait imprimer 
«ses poëmes latins, non plus que ses autres composi- 
« tions françaises. Il florit au Mans, cette année 1584.» 


(1) Gilles Ménage, Hist. de Sablé, sec. part., p. 212. — Louis 
des Malicottes, Remarques, p. 145. : 
(2) Gilles Ménage, Hist. de Sablé, sec. part., p. 180. 


st 


64 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Ce Pierre Amy, que La Monnoye nous avertit de ne 
confondre avec un autre Pierre Amy, confrère de 
Rabelais au couvent des Cordeliers de Fontenay-le- 
Comte, en latin Amicus, ne paraît pas avoir été un 
écrivain très-fécond. Hardouin Lebourdays, son neveu, 
qui a fait le plus grand éloge de ses vertus privées, 
affirme positivement qu'il ne rechercha pas la gloire 
des lettres. Voici dans quels termes il s'exprime, au 
sujet du Libre Discours de l'origine des procès, que 
certaines personnes attribuaient à Pierre Amy: « Je 
«ne puis porter le tort que les envieux font à la 
« mémoire de défunt M. Amy, consciller à ce siége, 
« mon oncle, que je nomme par honneur pour avoir 
« été doué de toutes les belles qualités requises en un 
« homme de sa condition, en ce qu'ils le font auteur 
« de ce mauvais ouvrage... MM. ses confrères, qui 
« l'ont connu plus qu'homme du monde, jugent bien 
« le contraire. C'était corvée à lui que d'écrire... 
« Plût à Dieu avoir quelqu'un de ses traits et de son 
« air de parler, plein d'une véhémente éloquence (1).» 
Lebourdays publiait son Libre Discours deux ans 
après la mort de Pierre Amy. Soyons persuadés, sur 
la parole du neveu, que l'oncle parlait bien, mais 
qu'il écrivait peu. La Croix du Maine attribuait volon- 
tiers aux lettrés de sa province des ouvrages imagi- 
naires. Etienne Pasquier n'avait pu le dissuader de 


(1) Libre discours de l’origine des procès, par lardouin 
Lebourdays. 


PIERRE AMY. 65 


mentionner au même titre, dans sa Bibliothèque, les 
auteurs « en herbe» et les auteurs « en gerbe. » Il 
parait, du moins, certain que Pierre Amy n'avait 
transmis en mourant à ses héritiers, aucune « compo- 
«sition française » jugée par eux digne d'être mise au 
jour. Cependant Hardouin Lebourdays ne pouvait 
contester qu'il eût quelquefois écrit en latin. En effet, 
l'année même qui suivit la publication de la Biblio- 
thèque française, Pierre Amy faisait ou laissait impri- 
mer quelques-uns de ses poëmes latins par son ami 
Robert Garnier. Ce sont des épiîtres adressées à l’il- 
lustre tragique. Elles se trouvent devant les tragédies 
de Cornélie, de Marc-Antoine, d'Hippolyte, de La 
Troade et des J'uives. Nous citerons, pour donner 
une idée de la manière de P. Amy, les vers qui pré- 
cèdent La Troade : le tour en est poétique, et l'on n’y 
trouvera pas trop de gallicismes. Les voici : 


Qualis virentis valle sub humida 
Apis Matini (1), cum Zephyri novos 
Soles recludunt, et malignis 
Sidera frigoribus solula 


Almam repenti rore beant humum, 
Egressa lectis, gramina plurimo 
Distincta flore urgetque odoros 
Suave croco violaque saltus ; 


(ss Calidi lucentbuxeta Matini. Lucain, Phars., liv. IX, 


HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Hine melle pinnas perlita roscido, 
Iine recenti crura thymo gravis 
Decedit agris, elaboratum 
Artifici ore ferens liquorem : 


Talis, novenis care sororibus, 
Vatique sacram qui Pataram colit, 
Garnieri, opimos per recessus, 
Quotquot amœænæ habuere Musæ, 


Incedis, et qua rura Aganippides 
Actæa Iymphæ flumina dividunt, 
Et qua arduis occurrit astris 
Mons bifida celebratus arce ; 


Hic æmulatus quæque tibi suas 
Pimpleis artes muneraque explicat, 
Hinc te Attico reples lepore, 

Hinc Latiæ gravitate scenæ. 


Utroque solers dicere pectine, 
Utroque concinne agglomerans modo 
Cœleste opus, stipas superbæ 
Spem reliquam Astyanacta Trojæ. 


Quid impotentinon facile est lyræ, 
Quid-ve insolens? En te duce, te tuo 
Dicere plectro ecce opacum 
Tempe nemus trepidant ciere ; 


Et quo canenles sedulo in otio 
Tenes Camœnas, puniceis tui 
Sartæ sub antris hospitales 
Perpetuum meditantur umbras. 


PIERRE AMYS. .. 67 


Sic de nivosis Sithonii (4) jugis 
Hæmi expeditas reddidit æsculos 
Errare quocumque indicasset 
Threiciæ fidicen Thaliæ. 


P. Amy est mort en 1608. 


AMYS (PIERRE). 


Nous ignorons le lieu natal de Pierre Auvs, sieur 
du Ponceau. Son grand-père, Guillaume Amys, possé- 
dait et habitait la terre d'Olivet, près de Château-Gon- 
tier. Les gens de la Ligue ayant brûlé ce domaine, 
Zacharie et Salomon Amys, fils de Guillaume, se reti- 
rèrent en Bretagne, et furent l'un et l'autre conseillers 
au parlement de Rennes. On peut donc supposer que 
le fils de Salomon, Pierre Amys, naquit dans la ville 
où son père occupait cet emploi. Cependant nous lui 
consacrerons une courte notice, à cause de son origine 
et à cause du long séjour qu'il fit à Sablé. 

Il fit d'abord profession des armes, et fut cadet au 


(1) Le Mont Sithon, en Thrace. Sithoniasque nives; Virgile, 
Egl. X. 
2° 


68 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


régiment des gardes. Mais laissons-le parler de lui- 
même: «Je fus d'abord cadet au régiment des gardes, 


A À A 


et en cette qualité je me suis trouvé à plusieurs 
siéges et à plusieurs combats. Je fus ensuite volon- 
taire en l’armée qui passa en l'ile de Ré pour en 
chasser les Anglais. Quelques années après, M. le 
cardinal de Richelieu m'ayant fait l'honneur de me 
donner un drapeau dans le régiment de la marine, 
qui était en ce temps-là un des meilleurs régiments 
du royaume, j'y devins lieutenant. Ensuite de cet 
emploi, par le désir que j'avais de voir l'Italie, 
m'étant offert à M. de Servien, nommé ambassadeur 
pour Rome, il me reçut si bien et me témoigna tant 
de bonne volonté que son emploi d'ambassadeur de 
Rome ayant été changé en celui de plénipotentiaire 
à Munster pour la paix générale, je ne pus me 
défendre de le suivre en Hollande et en Allemagne. 


« Ilme fit paraitre sur le grand théâtre de Munster 


au delà de mon mérite, et, de mon côté, j'eus le 
bonheur de réussir au delà de ce qu'on attendait 
de moi... Au retour de cette longue journée de 
Munster (c'est ainsi que les Allemands appellent la 
négociation de Munster), je demeurai à Paris auprès 


« de la personne de M. de Servien, et y demeurai jus- 


« 
«C 


qu'en 1652, que je fus envoyé à Sablé pour y com- 
mander et comme capitaine du château et comme 


« lieutenant de M. de Servien, afin de maintenir, pen- 


« 


dant les troubles, cette place dans le service du roi. 


PIERRE AMYS. 69 


« Mais, en 4660, le fonds de la garnison ayant été 
« retranché, il ne me resta que la seule qualité de 
« capitaine du château (1). » C'est ainsi qu'en 1667 
Pierre Amys racontait au public les détails de sa vie si 
bien employée au service de l'État. Mais il s'exprimait 
en d’autres termes quand il faisait de plus discrètes 
confidences : alors il parlait avec moins de respect de 
M. de Scrvien ets'applaudissait moins de l'avoir accom- 
pagné dans ses ambassades. C’est ce que nous apprend 
une lettre au chancelier Séguier. Nous publierons cette 
lettre, qui est encore inédite: 


Monseigneur, 


Quoique le silence soit une marque de respect, il est 
quelquefois soupçonné d’ingratitude, et je craindrais que 
le mien fût mal expliqué, s’il m'empêchait de vous ren- 
dre mille très-humbles grâces des appointements qu’il 
vous a plu de m’ordonner dans la charge de capitaine 
de ce château. C’est un effet de votre justice, Monsei- 
gneur, et de la plus noble partie de cette vertu, puis- 
qu'il est vrai que du zèle et de la fidélité que j'ai tou- 
jours eus pour feu Monseigneur le surintendant et que 
j'aurai toute ma vie pour Messieurs ses enfants, que de la 
bienveillance qu’il eût pour moi et du choix qu’il en fit, 
que du long temps que je l’ai servi, que des importants 
services que je lui ai rendus dans ses négociations, dans 
les intrigues de la cour en un temps assez fàcheux, 


(1) Discours de la noblesse qui s'acquiert par la pourpre des 
Parlements de ce Royaume. — G. Ménage, Hist. de Sablé, 
deuxième partie, p. 117. 


70 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


dans ses disgrâces et dans ses affaires domestiques, il 
résulte un certain mérite, qui peut en quelque façon 
être le sujet de celte distributive laquelle ordonne des 
récompenses. Mais, Monseigneur, faudra-t-il que sa 
sœur (1) ne me soit pas si favorable, et que j’obtienne 
moins de celle qui doit que de celle qui donne? Les 
gages des neuf premières années que j’ai servi feu Mon- 
seigneur le surintendant me sont düûs; il fut dit qu’on 
les règlerait après dix ans de service. Ce terme est 
passé, Monseigneur, mais il n’est pas prescrit. C’est une 
vérité connue à toute sa maison que je ne les ai point 
reçus; et, si Je n’en étais pas payé, il se trouverait 
qu’au lieu d’avoir avancé à son service, pendant ces 
neuf années, la meilleure partie de mon temps et du peu 
de bien que j'avais, j'aurais perdu l’un et l’autre. On ne 
peutpas dire que ses gratifications l’aient acquitté de 
cette dette, puisqu’à l’exception de mille livres qu’il 
m'ordonna en son ambassade de Hollande, je n’en 
ai reçu aucune. C’est ce qui m'oblige, Monseigneur, 
d’avoir recours à Vôtre Grandeur et d’implorer votre 
bonté. Ma demande, considérée en elle-même, est 
peu de chose; à mon regard, c’est tout : mais, de 
quelque façon qu’on la considère, 1l me semble, Mon- 
seigneur, qu’elle est très-juste et très-raisonnable, et, 
si vous avez agréable de me l’accorder, ce me sera 
un nouveau moyen pour mieux servir Monseigneur le 
marquis de Sablé et Monsieur son frère, en quelque 
emploi qu’il vous plaise de me donner, soit ici, soit 
ailleurs, pour leur service et pour le bien de leurs 
affaires. Je vous supplie donc, Monseigneur, d’agréer la 
très-humble prière que je vous en fais; mais je vous 


(1) Isabeau Servien, mariée à Arthus de Lionne. 


AMYS PIERRE 71 


supplie aussi de me faire l’honneur de croire que, quoi 
que vous ordonniez, je serai toujours, avec un très- 
profond respect et une parfaite soumission. 
« De votre grandeur, 
« Monseigneur, 
« Le très-humble et très-obéissant serviteur, 
« Du Ponceau. 


« Au château de Sablé, le 24 mai 4659 (1). » 


Pierre Amys eut d’autres occasions d'adresser à Ser- 
vien, à sa sœur et à ses fils le reproche d’ingratitude. 
Ïl nous dit bien, en effet, dans un mémoire écrit pour 
le public, qu'il fut, en 4660, après de si longs services, 
dépouillé de sa capitainerie; mais il omet de raconter 
que cette dépossession fut opérée avec beaucoup 
d'éclat, après une vaine résistance. Nous avons des 
renseignements à ce sujet dans une autre lettre écrite 
au chancelier Séguicr (2). 


(1) Bibl. Nation. manuscrits de Saint-Germain-des-Prés, 709 
t. XXIX, p. 45. (Corresp. de Séguier.) Une autre lettre du sieur 
Du Ponceau, écrite à peu près dans les mêmes termes, se trouve 
dans le tome 34 de la même collection, page 11. 


(@) Voici cette lettre : 
Sablé, le {décembre 1639. 


Monseigneur, 

Si j'avais prévu que la jalousie et l'inimitié du sieur Du Pon- 
ceau, capitaine au château de cette ville, l'eût porté jusques à 
rechercher tous ses amis et les forcer à vous écrire des supposi- 
tions, je vous aurais informé de son procédé; mais, l'ayant jugé 
indigne de votre entretien, je me suis tenu dans le silence, sur 
l'espérance de vous en dire quelque chose de vive voix au voyage 


12 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Gilles Ménage l’a connu, dit-il, très-particulièrement, 
et voici le portrait qu'il fait de lui: « C'était un homme 
« qui avait beaucoup de savoir, beaucoup d'esprit, 
« beaucoup de courage et beaucoup d'honneur. » Il 
n'en faudrait pas tant pour faire un homme accompli: 
il y a donc lieu de croire que l'historien ajoute « beau- 
coup » à la vérité. «Il mourut à Paris, poursuit Ménage, 


que J'ai résolu pour vous rendre compte de mes actions et vous 
informer de l'état des choses qu'il vous a plu me commettre. 
J'espère partir à cet effet samedi prochain. | 
Cependant, Monseigneur, en crainte que mon silence vous 
donne quelques impressions des choses qui ont été écrites, je 
vous supplie me permettre de vous dire ce qui est passé entre 
le sieur Du Ponceau et moi. Sa jalousie de me voir honorer de 
la bienveillance de feu Monseigneur Servien lui avait fait tenter 
toutes choses pour y prendre ma place; mais la connaissance 
qu'avait Monseigneur de son mérite lui continua seulement sa 
commission de capitaine. Le congé que j'ai donné à sa garnison 
par vos ordres, Monseigneur, lui ayant ôté la moitié de ses reve- 
pus et la crainte de se voir congédié lui-même comme personne 
très-inutile, l’a rendu mon ennemi déclaré ; joint quelque res- 
sentiment de se voir privé de l’usage des meubles de la maison, 
dont il a disposé depuis longtemps : lesquels ayant fait invento- 
rier et apprécier, j'ai changé Modiène, concierge, aussi, 
Monseigneur, par votre ordre. Depuis il a été l'asile de tous 
ceux avec lesquels j'ai des différends pour les intérêts de la 
succession et blämant en tous lieux contre toutes les apparen- 
ces mon ministère, a fait soulever des gens qui n’y auraient pas 
pensé ou qui guraient eu assez de respect pour ne pas me faire 
des injustices et des procès, comme Messieurs de Piedufour, de 
La... (nomillisible), de La Guindonière ct autres, dont j'aurai: 
s'il vous plait, l'honneur de vous entretenir. L'inventaire des 
meubles a été fait sans lui et sans contestation ; mais celui des 
titres, dont il a une des clefs, n’a pu se parachever, et, au lieu de 
* Se trouver au dernier jour de la remise, il s'absenta. J'allai au 
château avec le sieur Bailly, procureur fiscal et gretlier ; l’on 


PIERRE AMYS. 13 


«en 1667, à la sollicitation d’un procès pour sa 
« noblesse, dans lequel j'ose dire que le parlement de 
« Paris, ou le privé conseil du roi fit à sa famille une 
«extrême injustice; le parlement de Paris ayant 
« ordonné que la succession de Salomon Amys, con- 
« seiller en parlement de Bretagne, son père, serait 
« partagée noblement, et le conseil du roi ayant déclaré 
« les enfants de ce conseiller de Bretagne usurpateurs 
« de noblesse pour avoir pris la qualité d'écuyer. 
« Notre Pierre Amys fit imprimer à Angers, en 4667, 
« au sujet de ce procès, un petit traité intitulé : Dis- 
« cours de la noblesse qui s’acquiert par la pourpre 
« des parlements de ce royaume, adressé à M. Voisin 
« de La Noiraye, maitre des requêtes, intendant de la 
« généralité de Touraine (1). » Cet écrit est devenu 
rare, et il n'est pas intéressant. 


PR 


demanda la clef dudit sieur Du Ponceau, qui fut refusée par 
sa femme audit... (illisible). Vous savez, Monseigneur, ce que 
je pouvais faire, mais je me contentai de lui écrire par experts 
etattendis la réponse jusques au quatrième jour, que je retou- 
nai avec les mêmes officiers, auxquels je demandai acte de la 
sommation que je réitérai à cette femme de délivrer la clef de 
Son mari : sur quoi elle s'écria comme si nous eussions été des 
voleurs, et nous dit toutes les injures que l'on peut s’imaginer 
d'une femme emportée, avec des menaces que je ne saurais 
écrire, jusques aux coups de bâton qu'elle me promit de la part 
de Messieurs Boislève, ses parents. Ainsi le château, qui devrait 
servir d'appui et protection pour le maintien des sujets et droits 
de Îa seigneurie, est l'asile des ennemis de ja maison. 


DESGRASSIÈRES, 
Mss. de Saint-Germain, num. 7109, t. XXIX. 


(1) Hist. de Sablé, deux. part., p. 176. 


. 14 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


ANGER (yacQuEs). 


Jacques ANGEr, né à Château-du-Loir en 1605, 
fit de brillantes études au collége de La Flèche, et 
obtint la cure de Chargé, ou Sargé, près le Mans, 
aussitôt qu'il eut achevé son séminaire. Nous ne con- 
naissons de lui qu'une épigramme latine à la louange 
de Jean Maan et de Victor Le Bouthillier, archevêque 
de Tours, qui se trouve en tête du livre de Maan inti- 
tulé: Sancta et metropolitana ecclesia Turonensis. 
Ce livre n'eut qu'une édition, en 4667. Jacques Anger 
vivait donc encore en 4667, et il était encore curé de 
Sargé, car c'est le titre qu'il joint à son nom. Ses vers 
sont, d'ailleurs, médiocres. 


ARCHAMPAULT (.....) 


Nous trouvons dans la Bibliothèque d'Ansart une 
courte notice sur la demoiselle AncnamBauLr, de Laval, 
auteur d'un écrit qui porte ce titre: Dissertation: 

. lequel de l’homme ou de la femme est le plus capable 


NICOLAS ARCHANGE. 7 


de constance, ou la cause des dames soutenue contre 
MM. L. L. R.; Paris, Pissot, 1750, in-12. Suivant 
M. Desportes, cette dissertation avait été publiée 
d'abord dans le Mercure de France. Nous ne la 
rechercherons pas : il suffit de signaler l'existence de 
ces déclamations fades, où l'on ne peut rien remarquer 
que les écarts du mauvais goût. 


ARCHANGE (nicoras). 


Nicolas ARCHANGE, religieux capucin de Laval, n'a 
pas trouvé place dans la Bibliothèque des écrivains de 
son ordre, bien qu'il soit auteur de l’opuscule suivant: 
Oraison funèbre de la marquise de Thianges, pro- 
noncée dans l'église de Vieillevigne, le 4 septembre 
1686 ; Tours, 1686, in-4°. C'est un ouvrage qu'on ne 
retrouve plus. 


6 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE, 


ARTICUS ALBULEI (1.). 


Nous lisons dans la Bibliothèque littéraire d'An- 


sart : 


CS 


« 


« 


« Aucun historien ne parle de cet auteur, qui nous 
a procuré une nouvelle édition latine des œuvres de 
saint Athanase. L'épître, adressée à M. Guillaume 
de Marillac, chevalier, conseiller d'État, contrôleur 
général et surintendant des finances, est ainsi sous- 
crite : J. ArTicus ALBULEI, Cenomanus. Ce Manceau 
nous apprend, dans sa préface, qu'après avoir lu et 
corrigé exactement les divers traités de ce saint 
Père, il mit en marge ses remarques et les citations 
de l'Écriture, qu'il ajouta à ce recueil tout ce qui 
compose le cinquième tome, et que Michel Sonnius, 
ayant eu avis de ces changements et additions, lui 
proposa d'imprimer cette nouvelle édition : à quoi il 
consentit d'autant plus volontiers, qu'il y trouvait 
l'occasion de servir les lettres et d'offrir un hom- 
mage public à M. de Marillac. L'épitre est du 4° 
octobre 14571 ; mais l'ouvrage ne parut que l'année 
suivante. Outre les additions dont nous avons parlé, 
l'édition d'Artic est augmentée de la vie de saint 
Athanase par Rufin, Socrate, Sozomène et Théo- 
doret, de celle de saint Antoine par saint Athanase, 


11 


J. ARTICUS ALBULEI. 


« de la lettre de ce docteur à Ammon, traduite par 
« Jean Coutrier et de cinq dialogues sur la Tri- 
« nité (4). » Tels sont les termes d'Ansart. Nous 
ajouterons à cette notice quelques observations. 

Dom Liron, pour donner un nom français à l’édi- 
teur des Œuvres d'Athanase, l'appelle Artice d’Au- 
boul (2). Nous ne pouvons nous y opposer ; nous fai- 
sons, toutefois, remarquer qu'on ne connaît aucun saint 
du nom d’Artice, et nous n'apprenons pas, d'ailleurs, 
qu'aucune famille, aucun lieu du Maine, ait jamais 
porté le nom d'Auboul. Il s'agit peut-être ici d'avoir 
recours à une interprétation anagrammatique. 

L'édition des OŒEuvres d'Athanasc, publiée par 
Sonnius en 4572, suivant Ansart, ne se rencontre 
dans aucune des bibliothèques où nous l'avons recher- 
chée ; mais nous en pouvons signaler une autre qui, 
publiée par le même libraire en 1581, est tout à fait 
semblable à celle dont Ansart nous donne la descrip- 
tion. On y trouve et l'épitre de l'éditeur à Guillaume 
de Marillac, et les additions qui composent la cin- 
quième partie, ou le cinquième tome de l'ouvrage (3), 
et les versions de Jean Coutrier. Or, il n'y a pas lieu 
de supposer que cette édition est celle de 1572 avec 


(1) Ansart, Bibl. lilt. du Maine, page 46. 

(2) Bibl. Imp. Cartons de dom Housseau; carton xxx. 

(3) M. Desportes suppose à tort que ces éditions des Œuvres 
d’Athanase forment cinq volumes; elles ne forment qu'un 
volume, divisé en cinq tomes. 


18 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


un nouveau titre, car on lit à la fin du volume : « Zypis 
cudrbat J. Charron, calcographus, anno Dom. 1581, 
calendis Januaru. » 


 ASSELINE (nicoLas). 


L'abbé Nicolas AssELINE, curé d'Evron, est auteur 
d'une Table géographique et topographique des noms 
latins et français des provinces, villes, bourgs, men- 
tionnes dans le Bréviaire du Mans ; Le Mans, 1773, 
in-12. Cet ouvrage n'a pas été inutile à Lepaige. 
Ansart devait nous faire connaître l'abbé Asseline, qui 
était un de ses contemporains ; mais il a négligé de 
lui consacrer une notice. 


AUBERT (san). 


On lit dans La Croix du Maine : « Jean AUBERT, 
« sieur de La Morelière, natif du pays et comté du 


JEAN AUBERT. 19 


Maine. Ce scigneur de La Morclière est l’un des 
plus renommés avocats de tout le siége présidial du 
Mans ; et quand je dirai de tout le Maine, je n'avan- 
cerai rien en cela pour sa gloire qu'il nen mérite 
encore plus : car, si l'on veut regarder combien il 
est docte et profond en la jurisprudence, et surtout 
bien façonné et appris aux consultations, l'on me 
confessera que même les voisins du Maine, soit 
d'Anjou, Touraine et autres lieux, s'adressent à lui 
en ce Cas, pour recevoir son avis avant qu entre- 
prendre des procès et autres affaires de semblable 
conséquence. Il n'a encore fait imprimer aucune de 
ses œuvres, et, toutefois, j'ai bonne connaissance 
qu'il a fait plusieurs doctes et bien curieuses Obser- 
vations sur le droit et encore sur les Coutumes du 
Maine. Il florit au Mans, cette année 1584, âgé de 
plus de cinquante ans. » 


Sur la foi de cette indication, Ansart (1) a placé le 


sieur de La Morelière parmi les écrivains du Maine. 
Elle nous est suspecte; il ne nous est pas bien 
prouvé que Jean Aubert ait jamais écrit quoi que 
ce soit sur le droit ou les Coutumes du Maine. Une 
note de Menage, recueillie par Ansart, nous apprend 
qu'il avait épousé Anne Le Peletier, fille de Victeur 
Le Peletier. 


(4) Biblioth. litt., au mot Aubert. 


80 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


AUBERT (rcqurs), poëte. 


Jacques AUBErRT, né à Saint-Calais, mourut au 
Mans, au témoignage d'Ansart, dans les dernières 
années du xvu* siècle. Il devait être alors fort avancé 
en âge, car il avait étudié, au collége du Mans, sous 
Jean Portier de Nevers, et dans l'édition des tragédies 
latines de cet illustre professeur, publiée au Mans, 
chez François Olivier, en l'année 1619, nous trou- | 
vons une ode latine qui lui est adressée par ce Jacques 
Aubert (Jacobus Aubert Charilephiensis). C'est, d'ail- 
leurs, tout ce que nous connaissons de lui. Nous 
ignorons même quelle fut sa profession. 


AUBERT (N0EL). 


Esprit original, mais léger, téméraire, incapable de 
repos, Noël Augerr, sieur de Versé, prit une part très- 
active aux controverses religieuses du xvu° siècle, et 


NOEL AUBERT. 81 


ses brusques changements d'opinion ne causèrent pas 
moins de scandale que la violence de ses discours. 

Il était du Mans et fit ses premières études dans 
cette ville, chez les pères de l'Oratoire. Ayant ensuite 
fréquenté l'Université de Paris, il y fut reçu docteur en 
la Faculté de médecine. Mais il ne devait pas exercer 
longtemps l'art d'Esculape. Né dans la religion catho- 
lique, Noël Aubert en observa les pratiques jusqu’à 
l'âge où il crut entendre cette voix intérieure qui pro- 
pose des doutes à la conseience et l'invite à délibérer. 
Conduit alors à l'examen du principal mystère de la 
théologie chrétienne, la consubstantialité des trois 
personnes divines, il ne tarda pas, dit-il, à conclure 
que trois personnes sont nécessairement trois sub- 
stances: conclusion déjà formulée par Sabellius et 
reproduite par Socin. Ce fut là, comme il nous l'ap- 
prend lui-même (1), ce qui le détourna de la voie fré- 
quentée par les docteurs orthodoxes. Logicien exercé, 
et, par tempérament, libre penseur, il trouva sans 
difficulté de nombreux arguments contre la thèse 
traditionnelle, et dès lors il n'hésita pas à la rejeter. 

En ce temps-là c'était une affaire très-grave que 
de se trouver en désaccord avec l'Église sur quelque 
point du dogme, et l'on se croyait obligé de déclarer 
tout haut ces sentiments particuliers que, de nos 
jours, on garde pour soi-même, sans éprouver le besoin 


(1) L'Anti-Socinien, p. 11. 


82 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de les soumettre à l'épreuve du jugement public. Il 
fallait être d’une religion quelconque, et contracter un 
engagement solennel avec telle ou telle des sectes bel- 
ligérantes. Or, il ne semblait plus possible à Noël 
Aubert de demeurer parmi les catholiques, dès qu'il 
se sentait complice des opinions de Socin sur le mys- 
tère de la Trinité : il abjura donc le catholicisme, et, 
comme un acte de cette nature pouvait avoir pour lui 
de fâcheuses conséquences (1), il passa la frontière et 
choisit pour retraite la ville d'Amsterdam. Il y 
demeura longtemps chez les Elzevir, avec Christophe 
Sand, le fils, alors correcteur d'imprimerie, qui l'en- 
gagea plus avant dans le parti de Socin. 

Aubert publia d'abord une traduction latine de 
l'Histoire critique de l'Ancien Testament. Elle parut 
à Amsterdam, en 1683, in-4°. Il voulut ensuite tirer 
quelque chose de son propre fonds et se faire compter 
au nombre des docteurs. Dans ce dessein, il rédigea 
son manifeste sous ce titre: Reponse au traité de 
M. Bossuet touchant la communion sous les deux 
espèces; Cologne, P. Marteau, 1683, in-12. C'est un 
livre écrit avec peu de mesure, mais qui se recom- 
mande par certaines qualités littéraires: la phrase 
d'Aubert n'est pas moins correcte qu'animée ; elle 
exprime facilement, avec énergie et précision, tout ce 
qu'elle doit exprimer. La Réponse au traité de 


(4) On voulut, dit-il, attenter à sa liberté et même à sa vie. 
Avertissement en tête de L’Avocat des Protestanis. 


NOEL AUBERT. 83 


M. Bossuet fut bien accueillie dans quelques églises 
réformées, et l’auteur dut sans doute au succès de son 
ouvrage l'honneur d'être admis au nombre des minis- 
tres de la nouvelle religion. Cependant les gens de 
goût, qui sont toujours modérés et politiques, furent 
loin d'approuver le ton de cette controverse. Dans sa 
réponse à Juricu sur la question des espèces, Bossuet 
s'était montré « fort délicat, fort adroit, et, en même 
«temps, fort honnête {1):» pourquoi done un homme 
sans titres et sans autorité, un prosélyte de la veille, 
venait-il, n'y ayant pas été convié, prendre part à de 
si graves débats et les troubler par l'emportement de 
ses discours ? Le conseil suprême de la secte avait 
chargé Daniel de Larroque de répliquer à l'évêque de 
Meaux, et cette réplique venait de paraître : la pré- 
somptueuse ardeur du socinien d'Amsterdam allait 
tout compromettre. Telle fut l'opinion de Jurieu et 
celle de Bayle, alors ami de Jurieu, qui s'exprimèrent 
très-librement sur le compte d'Aubert. Bayle alla 
jusqu'à le dénoncer à ses correspondants de Genève 
comme un auteur famélique, n'ayant « aucune reli- 
« gion, » eten conséquence « écrivant aussi bien le 
« pour que le contre (2). » C'est une accusation qui 
ne sera jamais complétement justifiée, et, quoi qu'il 
advienne, à la date du 9 janvier 1684 Aubert n'avait 
encore offert aucun prétexte à des imputations de cette 


(4) Bayle, Lettres à sa famille; Lettre 89. 
(2) Id., . Ibid. ; ‘ Lettre 96. 


4° 


84 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


nature. C'était un homme indocile, turbulent, mais 
de bonne foi. 

Nous venons de le voir, aussitôt qu'Aubert ne s'était 
plus trouvé d'accord avec des théologiens catholiques, 
il s'était empressé de déclarer son hétérodoxie : il ne 
tarda pas à témoigner, au sein même de l'église calvi- 
niste, que son esprit naturellement rebelle ne pouvait 
accepter aucune règle, aucune contrainte. A la fin du 
xvu' siècle, il yavait, chez les protestants, une grande 
tolérance; ils répudiaient, d'un commun accord, 
les maximes et les pratiques terroristes de leurs pre- 
miers docteurs, et laissaient presque un libre cours aux 
opinions individuelles. Cependant quelques hommes, 
qui avaient une supériorité reconnue de savoir ou 
de talent, n’aimaient pas la contradiction. De ce 
nombre était le dictateur de l’église de Rotterdam, le 
fier et véhément Juricu. Il avait écrit contre les écarts 
de la liberté quelques pages, où certains hérétiques 
n'étaient guère mieux traités que dans les libelles des 
inquisiteurs romains. C'était Gracchus déclamant 
contre la sédition ! Aubert, nullement effrayé par les 
menaces de Juricu, entreprit de le réfuter. Cette réfu- 
tation a pour titre : Le protestant pacifique, ou Traité 
de la paix de l'Église, contre M. Jurieu, par Léon 
de La Guitonière ; Amsterdam, G. Taxor, 1684, in-12. 
Quelle est, suivant Aubert de Versé, la première con- 
dition de la paix? C'est la tolérance absolue. Entre 
toutes les opinions nées et à naiître le choix appartient 


NOEL AUBERT. 85 


aux consciences, et aucun pouvoir, ecclésiastique ou 
civil, n'a le droit d'imposer aux consciences ce qu'elles 
ne veulent pas accepter. Voici comment l'adversaire 
de Jurieu montre que le gouvernement civil doit être 
indifférent en matière de religion : 

« Je ne ferai pas de longs discours pour prouver 
« qu'on doit tolérer dans la société civile toutes sortes 
« d’hérétiques. Cela est trop clair par la raison et par 
« la foi. Par la raison, car chacun est libre et maître 
« de ses propres sentiments. Il n'y a que Dieu seul qui 
« puisse régner sur les esprits. Comme je n'ai aucun 
« droit de forcer les autres à avoir mes sentiments, 
« personne n'a aussi le droit de me forcer à prendre 
« les siens. La religion est une obéissance volontaire 
« et un sacrifice du cœur: les hommes n'y peuvent 
« rien prétendre ; autrement la société ne deviendra 
« qu'une multitude d'ennemis armés, toujours aux 
« mains et aux couteaux les uns contre les autres. A 
« la vérité, les princes et les magistrats sont les pro- 
« tecteurs des sociétés ; Dieu leur a donné l'épée pour 
« les défendre: mais toute leur autorité ne va que 
« jusques à faire observer les lois qui les soutiennent 
« et punir les crimes qui les violent. » 

Ce sont là de bonnes sentences. Elles ont pour com- 
mentaire un volume écrit avec beaucoup de verve, qui 
dut causer à Jurieu d'assez grands déplaisirs. Bayle, 
qui était alors dans les meilleurs termes avec Jurieu, 
ne put se défendre d'approuver au moins quelques par- 


86 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


ties de ce volume : «Il faut avouer, » écrivit-il à L'En- 
fant, qu'il y a de «l'esprit en bien des endroits {1). » 
Quant à Jurieu, « le plus emporté de tous les 
«hommes (2), » qu'avaient pu mettre en feu les objec- 
tions graves et mesurées du tendre Nicole, un homme 
de ce caractère n'était pas fait pour endurer patiem- 
ment les réprimandes acerbes et parfois arrogantes 
d'un libelliste de son parti. Avant, toutefois, de des- 
cendre jusqu'à lui, Jurieu se contenta d'exercer une 
plus facile vengeance. Comme il avait la haute influence 
dans tous les consistoires calvinistes de la Hollande, et 
tenait presque asservis à sa ferme volonté les nou- 
veaux, les anciens et les diacres de toutes les compa- 
gnies, 


Du tyran soupçonneux pâles adulateurs (3), 


il fit déposer une plainte au consistoire d'Amsterdam 
contre le ministre socinien, et celui-ci fut suspendu de 
ses fonctions. 

Jusqu'alors Aubert vivait assez misérablement du 
produit de son ministère : dès qu'ilen fut dépouillé, il 
se fit recevoir bourgeois d'Amsterdam et obtint un 
diplôme d'agrégation au collége de médecine de cette 
ville. En même temps, il fut employé par l'éditeur 
des Vouvelles solides et choisies, et concourut à la 


(4) Bayle, Lettres choisies ; Lettre 42. 
(2) Id, Lettres à sa famille ; Lettre 127. 
(3) Id., Ibid. ; Lettre 114. 


NOEL AUBERT. 87 


rédaction de cette feuille. Mais ces occupations pai- 
sibles ne pouvaient satisfaire un esprit ardent et 
tumultueux comme le sien. Après avoir eu la gloire 
d'offenser Bossuet et Juricu, il entreprit de renverser 
une autre idole, René Descartes. 

On avait dit avant lui, mais sans justifier ce propos, 
que Spinosa ne devait pas être distingué des autres 
cartésiens, et que, nonobstanttoutes les dissimulations, 
tous les subterfuges, partant les uns et les autres d'un 
principe commun, ils étaient condamnés les uns et les 
autres par l'inflexible logique à l'aveu des mêmes 
conclusions. Aubert trouva dans ce propos mal fondé 
la matière de deux réquisitoires, et les publia dans un 
même volume, à Amsterdam, chez Jean Crelle, en 
4684 (1), in-8°. L'un est en français sous ce titre: 
L'impie convaincu, ou dissertation contre Spinosa ; 
l'autre, en latin, est intitulé: Authoris Epistola ad 
amicum N. de Spinosianæ impietatis origine. L'en- 
semble de ces deux pièces est un recueil d'apostrophes 
injuricuses à l'adresse des nouveaux philosophes. La 
thèse de Spinosa est, on le sait, que la définition de la 
substance équivaut à celle de l'étendue, et que, l'éten- 
due sans limites étant la substance infinie, cette sub- 
stance est l'universel par excellence qui seul doit rece- 
voir le nom de Dieu. On peut lui répondre, avec les 
théologiens, qu'il n'est pas permis de confondre en 


(1) Quelques exemplaires portent la date de 1685. 


88 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


nature l'éternel Créateur avec les êtres créés dans le 
temps, produits de rien, et nés pour mourir : avec les 
philosophes, que la substance est le nom commun, 
sans être l'essence commune de toutes les choses sub- 
sistantes, et que, pour être régies par une même loi, 
ces choses n’en sont pas moins des existences indivi- 
duellement déterminées. Eh bien ! ni l’une ni l’autre 
de ces réponses n'est celle d'Aubert. Quand il prétend 
donner à d'autres une leçon de logique, il ne tire de 
son esprit mal réglé que des hypothèses discordantes. 
Ainsi, d’une part, il admet une matière éternelle, de 
l'autre un Dieu matériel, et suppose ensuite que ces 
deux substances se partagent l'étendue. Telle est son 
étrange doctrine, et il la développe, sans épargner les 
gros mots à ses adversaires, avec une assurance que 
rien ne semble pouvoir troubler. Bayle, qui a critiqué 
ce livre d'Aubert, l'a fort maltraité. Assurément il en 
avait le droit: mais il n'a pas fait remarquer que la 
doctrine de ce livre est un manichéisme grossier. 
Aubert ne dut pas en recueillir d'abondants profits. 
C'est pour cela sans doute qu'il prit le parti de faire 
des traductions. Il traduisit en français les Acta eru- 
ditorum, publiés à Leipsig en 4682. Cette version 
française parut à La Haye, en 1685, en 2 vol. in-12. 
Dans le même temps il traduisit du latin, avec un 
collaborateur dont le nom nous est inconnu, l'Histoire 
du Papisme de Jean-Henri Heiddeger, professeur à 
Zurich : Histoire du Papisme, ou Abrégé de l'histoire 


NOEL AUBERT. 89 


de l'Église romaine depuis sa naissance jusqu'à Inno- 
cent XT; Amsterdam, Westein, 1685, 2 vol. in-192. 
Mais si grandes que fussent les difficultés de sa vie, 
Aubert ne pouvait longtemps se consacrer tout entier à 
ces travaux modestes, et il eut bientôt repris son 
essor. 

L'humeur despotique de Jurieu et ses doctrines peu 
libérales avaient offensé beaucoup deses anciens amis: 
même parmi les pasteurs de l'église de Hollande, 
quelques-uns s'étaient déjà décidés à secouer le joug 
de cet homme superbe. Ainsi, jugeant les circonstances 
favorables pour une nouvelle agression, Aubert s'em- 
pressa d'en profiter et publia : le Nouveau Visionnaire 
de Rotterdam, ou examen des paralleles mystiques 
de M. J'urieu, sous le pseudonyme de Théognoste de 
Bérée; Cologne, 1686, in-12. On sait qu'Aubert 
était incapable d'observer ce qu'on appelle les conve- 
nances littéraires : on suppose donc qu'il ne traita 
pas Jurieu, dans ce nouvel écrit, avec beaucoup de 
ménagements. 

En effet il y fut à ce point ironique et offensant, 
que Bayle, qui connaissait assurément les mauvais 
côtés de Jurieu, fut indigné de le voir attaqué de telle 
sorte. Or nous avons lieu de croire que l'opinion de 
Bayle sur le Nouveau Visionnaire fut, même à Rot- 
terdam, presque l'opinion publique. Ce qui nous le 
prouve, c'est qu'ayant fait cet éclat le fécond libelliste 
changea lui-même presque aussitôt de langage. S'é- 


90 IISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


tant en effet retourné vers les catholiques, il publia, 
vers le même temps, contre Nicole : L'avocat des pro- 
testants, ou Traite du schisme, par le sieur A. D. V.; 
Amsterdam, Mortier, 1686, in-12 ; pamphlet écrit 
avec plus de mesure, où, pour désavouer, comme il sem- 
ble, Théognoste de Bérée et Léon de La Guitonière, 
Aubert de Versé rend un hommage tardif au savoir, au 
talent de Jurieu. I ne paraît pas, toutefois, qu'il se fût 
personnellement rapproché de lui. Dans les sectes, 
comme dans tous les partis, l'adversaire dont on 
s'éloigne le plus est ordinairement celui avec lequel on 
est le moins en désaccord. C'est pourquoi nous suppo- 
sons qu'Aubert modifia, quant à Juricu, le ton de ses 
discours par condescendance pour le public offensé. 
Les choses en étaient là, semblant s'apaiser, quand 
parut un Factum anonyme, où Noël Aubert, sieur de 
Versé, était dénoncé à tous les rois, à tous les peuples 
de l’Europe, comme un abominable fauteur de dis- 
cordes civiles, un professeur de scandaleuses impiétés, 
un homme qui, par ses livres et ses mœurs, avait 
mérité d'être mis aux mains du bourreau, ou, pour le 
moins, chassé de toutes les terres habitées. Quel était 
l'auteur, ou, du moins, l'éditeur de ce factum violent, 
déraisonnable et même obscène? On l'apprit bientôt : 
c'était Jurieu lui-même. Aubert ne pouvait manquer 
de lui répondre. Cette réponse, qui porte la date du 
3 janvier 4687, nese fit pasattendre. Ellea pour titre: 
Manifeste contre l'auteur anonyme d’un libelle inti- 


NOEL AUBERT. 91 


tulé: Factum pour demander justice aux puissances 
contre Noël Aubert, dit de Versé ; 14687, in-4°. Il faut 
bien le dire, Jurieu ne retira pas grand honneur de 
cette affaire : signalé comme un monstre de perver- 
sité, Aubert se justifia devant le public, ou à peu 
près, et, d'autre part, il traita son dénonciateur de 
manière à le faire repentir de son entreprise. Quand 
.Bayle, qui trop longtemps avait été le défenseur et 
l'ami de Jurieu, fut à son tour obligé de se défendre 
contre ses calomnies, il justifia même le sieur de Versé, 
cet ardent libelliste qu'il avait autrefois si durement 
condamné (1). Il dit, en effet, de Jurieu dans sa Cabale 
chimerique: « On le fera souvenir du factum qu'il a 
« publié contre Aubert de Versé, si plein de saletés 
« qu’à peine y a-t-il de prostituée qui pût les lire sans 
« rougir. Tout le monde a été scandalisé qu'un 
« ministre, en cela moins scrupuleux qu'un orateur 
« païen, ait voulu fouiller dans de telles ordures, les 
« faire venir de France à grands frais, les copier, les 
« mettre en ordre, les corriger sur l'épreuve de l'im- 
« primeur et les distribuer partout. On en était d'au- 
« tant plus scandalisé qu'on savait bien qu'il n'était 
« poussé à cela que par un ressentiment personnel, à 
« cause que cet homme médisait de lui, mais principa- 
« lement à cause qu'il avait été le premier qui avait 
« relevé dans un écrit public l’absurdité et pitoyable 


(1) Lettres choisies de M. Bayle, lettre 67. 


92 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« contradiction où M. Jurieu était tombé, en se mé- 
« lant d'écrire sur les persécutions de religion, et que 
« tout fraîchement il avait publié un livre sous le 
« titre de Nouveau Visionnaire de Rotterdam, où il 
« l'avait désolé. Cette connaissance du vrai motif et 
« l'horreur publique contre ce factum furent cause 
« qu'on n'eut point de pitié de le voir échouer miséra- 
« blement dans cette entreprise. De Versé le foudroya 
« par un autre factum où il mit son nom, se montrant 
« plus assuré que son délateur, qui avait caché le 
« sien (4). » C'est un témoignage considérable en 
faveur de Noël Aubert. Il importe d'autant plus de le 
recueillir et de le mettre en pleine lumière que peu de 
gens ont témoigné pour lui. Aux uns son ennemi 
redoutable inspirait trop de terreur ; aux autres il 
inspirait lui-même trop peu d'estime. 

À la même date, Aubert publia: Le Tombeau du 
Socinianisme,ou Nouvelle methode d'expliquer le mys- 
tère de la trinite ; Francfort, 4687, in-12 ; une réim- 
pression du Vouveau Visionnaire est jointe à cet 
ouvrage. La même année vit encore paraître: Traité 
de la liberté de conscience, ou De l'autorité des sou- 
verains sur la religion des peuples, par L. D. L. G. 
(Léon de la Guitonnière, c'est-à-dire Noël Aubert de 
Versé); Cologne, P. Marteau, 1687, in-12. Aubert 
triomphait, et abusait même un peu de son triomphe. 


(1) La Cabale chimérique, ch. 4. 


NOEL AUBERT. 93 


Tandis que Jurieu rassemblait ses fidèles et cherchait à 
se consoler dans leur compagnie de l'échec que venait 
de subir son orgueil, Aubert quittait Amsterdam, arri- 
vait, la tête haute, dans les quartiers de son adver- 
saire, se faisait admettre dans les meilleures compa- 
gnies de la ville et défait insolemment la persécution. 
C'est ce que Bayle raconte en des termes plus pitto- 

resques, lorsqu'il dit : « Ilest ensuite venu le braver 
_« jusques sur son fumier, à Rotterdam, passant et 
« repassant, y séjournant et se produisant par- 
« tout (4). » 

Il en était là, quand tout à coup on le vit changer 
de langage cet de tenue. Quel événement était venu 
l'attcindre au milieu de son succès et porter le 
trouble dans ses résolutions ? on l'ignore. Nous soup- 
çonnons qu'après s'être engagé fort loin, il redouta 
les ressentiments qu’il avait provoqués, et crut devoir 
prendre la retraite tandis que les voies étaient 
encore libres. Il n’y avait pas, en effet, beaucoup de 
sûreté dans les villes de la Hollande pour un ennemi 
déclaré de Jurieu. Celui-ci ne manquait pas de parti- 
sans fanatiques et l’un d'eux pouvait le venger. Cepen- 
dant la malveillance ne manqua pas d'attribuer à 
d'autres causes le changement qu'elle remarqua bien- 
tôt dans la conduite d'Aubert. M. Weiss (2) et après 


(1) Bayle, La Cabale, ibid. 
(2) Biographie universelle. 


94 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


lui M. Desportes (1), attribuent à Noël Aubert Les 
Trophées de Port-Royal renverses; Amsterdam, 
1688, in-12. Cette attribution est crronée. L'auteur 
des Trophées s'exprime ainsi dans la préface de ce 
livre : « Il y a quatre ou cinq ans que l’auteur ano- 
« nyme qui répondit en Hollande au traité de M. Bos- 
« suct... touchant la communion sous une seule 
« espèce, promit dans sa préface de nous faire part 
« bientôt d'un ouvrage de sa façon, contenant la 
« réfutation des preuves que MM. Arnauld et Nicole 
« ont apportées, pour justifier que l'Église des six 
« premicrs siècles a cru la présence réelle et la trans- 
« substantiation.. Cependant le public ne voit pas 
« encore l'exécution d'une si belle promesse, quelque 
« impatience qu'il ait de la voir. C'est là ce qui me 
« fait croire qu'il y a quelques raisons fortes qui 
« arrêtent cet auteur au milieu de sa course, et c'est 
« ce qui m'oblige aussi à hasarder l'édition des 
« remarques que j ai faites 1l y a près de douze ans. » 
C'est bien Noël Aubert qui répondait en 1683 au 
Traité de Bossuet; c'est bien lui qui, dans la préface 
de cette réponse, prenait l'engagement de renverser 
bientôt les « trophées imaginaires» de Port-Royal ; 
mais, en l'année 1688, il avait d’autres soins: il 
négociait son retour en France, et préparait sa con- 


version. 


(1) Bibliographie du Maine. 


NOEL AURERT. 95 


L'occasion était favorable. Le ministre Chateauneuf 
et le P. de La Chaise lui-même firent bon accueil aux 
ouvertures d'Aubert, et il obtint bientôt une lettre de 
cachet qui lui permit de rentrer dans sa patrie. Il n’en 
profita pas sur-le-champ. Il fit d'abord un voyage en 
Angleterre, au mois de juillet de l'année 1688, pour 
aller terminer quelques démêlés avec une réfugiée 
protestante, Mademoiselle Cabaret, mère de sa femme. 
Cette affaire, qu'il ne termina pas heureusement, le 
retint un an encore sur la terre infidèle (4). Enfin, 
vers le milieu de l’année 14689, Aubert vint à Paris, et 
n'eut rien de plus pressé que de solliciter son admis- 
sion au sein de l'Église catholique. 

Comme il s'était signalé chez les protestants par 
l'intempérance de ses déclamations, et qu'il avait été, 
dans ce parti, l'un des chefs de la plus turbulente 
milice, on mit quelques difficultés à recevoir sa rétrac- 
tation pour lui donner plus d'éclat. L'abbé d'Aquin, 
agent général du clergé de France, l'archevêque de 
Paris, et l'évêque d'Agen, Mascaron, qui avait autre- 
fois compté Noël Aubert parmi ses élèves, lorsqu'il 
professait la rhétorique au collége du Mans, s'em- 
ployèrent en sa faveur et firent d'actives démarches 
pour obtenir sa réintégration. Elle lui fut accordée 
avant la fin de l'année 1689 (2), avec une pension 
modique ; mais il lui fut imposé, comme pénitence, 


(1) L'Anti-Socinien, p. 322 etsuiv. 
(2) Ellies Dupin, Auleurs ecclésiastiques du xvne siècle, t, II. 


96 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


d'écrire et de publier un ouvrage qui devait contenir 
le désaveu de ses anciennes erreurs. C'est pour obéir 
à cet ordre qu'il publia d'abord : La veritable clef de 
l’Apocolypse, ouvrage où, en réfutant les systèmes 
qu'on a bâtis dessus jusqu'ici, l'on indique la veri- 
table, et où l’on découvre en particulier l'illusion des 
prédictions de J. F. P. D. R. (Jurieu, faux prophète 
de Rotterdam); Cologne, 1690, in-12. Quelques 
années après parut: L’Anti-Socinien, ou Nouvelle 
apologie de la foi catholique contre les Sociniens et 
les Calvinistes, Paris, Mazuel, 1699, in-12. Ce livre 
est un acte de pénitence fait à deux genoux : de l’an- 
cien homme il ne reste qu'une chose, cette violence 
de langage que n'avaient pas toujours approuvée les 
calvinistes les plus résolus. Enfin il offrit un dernier 
gage de sa soumission dans l'ouvrage suivant : La clef 
de l’Apocalypse de saint Jean, ou Histoire de l'Eglise 
chrétienne sous la quatrième monarchie; ouvrage 
dédié au pape, qui fut publié à Paris, en 1703, chez 
Daniel Hortemels, en 2 vol. in-8. 

Noël Aubert, sieur de Versé, mourut à Paris en 
4741, sur la paroisse de Saint-Benoît. Il menait gncore 
la vie la plus agitée, et, comme il s’exprimait sur 
toutes choses avec beaucoup trop de liberté, bien des 
gens refusaient de croire à la sincérité de son retour 
parmi les catholiques. À notre avis sa conversion 
était sincère, sans être complète. Telles sont presque 
toutes les conversions. Les hommes que les circons- 


NOEL AUBERT. 97 


tances ne font jamais varier sont rares. Il faut 
donc toujours exprimer avec modération l'opinion 
que l'on a, puisqu'on n'est pas certain de l'avoir 
toujours. Quant aux gens qui n'observent pas cette 
règle, il yen a de deux espèces. Les uns sont par 
nature indociles, querelleurs, et se précipitent d'un 
extrême à l’autre par goût pour l'éclat et le scan- 
dale; leur intempérance est de la maladie : les autres 
sont tout simplement des misérables, qui, scep- 
tiques et riant de tout dans le particulier, poussent en 
public des clameurs pour satisfaire les rancunes de qui 
les paye. Noël Aubert n’était pas de ces derniers, puis- 
qu'il a toujours vécu dans l’indigence. Nous n’excusons 
pas sa conduite ; nous avons trop de raisons pour ne 
pas l'excuser: nous l’expliquons comme elle nous 
semble devoir être expliquée. 

M. Weiss a mentionné, dans la Biographie uni- 
verselle, les titres de quelques ouvrages qui sont im- 
proprement attribués à Noël Aubert de Versé : à cette 
liste nous ajouterons: Histoire abrégée de la naissance 
et des progrès du Kouakerisme; Cologne, 1692, 
in-12. 


98 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


AUBERT (Jacques), médecin. 


On lit dans la Bibliothèque française de La Croix 
du Maine, à la lettre À : « AuBERT, natif du pays 
« du Maine, médecin à Lausanne, l'an 1570. Il a écrit 
« quelques traités de médecine, imprimés à Lausanne, 
« chez François Le Preux. » Plus loin, à la lettre J, 
La Croix du Maine publie la notice suivante : «Jacques 
« Aubert, médecin vendômois. Il a écrit des Natures 
« et Complexions des hommes et d’une chacune partie 
« d'iceux et aussi des signes par lesquels on peut 
« discerner la diversité d'icelles, imprimé à Paris, 
« chez la veuve de Pierre Du Pré, l'an 14572. » La 
Croix du Maine n'a-t-il pas consacré deux articles au 
même auteur? On le suppose dès l'abord. A l'appui de . 
cette supposition vient ce qu'on lit dans la Bibliothè- 
que de Du Verdier : « Jacques Aubert, Vendômois, a 
« écrit en 814 chapitres un livre Des Natures et Com- 
« plexions des hommes et de chacune partie d'iceux, 
« et aussi des signes par lesquels, etc., etc., imprimé 
« à Lausanne, in-8°, par François Le Preux, 1571, 
«_et à Paris, in-16, par la veuve Pierre Du Pré, 1572.» 
Voici ce que nous avons dit ailleurs à ce sujet : « C'est 
« à Lausanne que, suivant La Croix du Maine, furent 


JACQUES AUBERT, 99 


imprimés les traités d'Aubert, médecin manceau; 
c'est à Lausanne que, suivant Du Verdier, eut lieu 
la première impression du traité Des Natures et 
Complexions de Jacques Aubert, médecin ven- 
dômois. En outre, ce traité Des Natures et Com- 
plexions, imprimé, suivant La Croix du Maine, à 
Paris, chez la veuve Picrre Du Pré, avait été déjà 
publié, suivant Du Verdier, chez Le Preux, à Lau- 
sanne, et ce Le Preux est désigné par La Croix du 
Maine comme l'éditeur des œuvres médicales du 
médecin manceau. Il est donc évident qu'il s’agit 
ici d’un seul auteur, que La Croix du Maine a porté 
d'abord à la lettre À de sa Bibliothèque, ignorant 
son prénom, et qu'ensuite il a, mieux informé, 
inscrit à la lettre J. Cependant toute difficulté n'est 
pas résolue. L'un des deux auteurs est dit « natif du 
pays du Maine, » et l'autre Vendômois. La Monnoye 
ayant rencontré sur un traité latin du médecin de 
Lausanne cette désignation : Jacobi Auberti, Vin- 
donis, à traduit le mot Vindonis par « de Laval, 
au Maine (4).» La Croix du Maine et Du Verdier 
auraient donc lu Vindocinensis, de Vendôme, pour 
Vindonis, et à ce compte le Vendômois Aubert 
serait Aubert natif du Maine. Mais cette explication 
ne peut être reçue. En effet la ville de Laval a été 
désignée en latin sous les noms divers de Laval- 


(t) Notes sur Aubert, à la lettre A. édit. de La Croix du Maine ; 


par Rigolez de Juvigny. 


4 Li 


100 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« 


lum, Lavalleum, Lavallis, Vallis, Vallis Gui- 
donis (1), mais jamais sous celui de Vindonis. C'est 
une erreur de La Monnoye : Vindonis, Vin- 
donensis, Vindocinensis pagus, c’est le Vendômois. 
Et, d'ailleurs, il existe plus d'un traité latin de 
J. Aubert; nous en connaissons plusieurs, dont les 
uns portent au titre Vindonis, les autres Vindoci- 
nensis medici. Jacques Aubert, médecin à Lausanne, 
était donc incontestablement originaire du Vendô- 
mois. Mais tout le bas Vendômois, où se trouvaient 
les bourgs, les villes considérables de Lavardin, 
Montoire, Roches-Lévesque, Savigny, Troo, etc., 
appartenait alors au diocèse du Mans. D'où 1l suit 
que Jacques Aubert pouvait être à la fois du Ven- 
dômois et du Maine : du Vendômois au temporel, 
du Maine au spirituel. C'est là ce qui nous paraît 
démontrer l'identité des deux auteurs. Il n’en faut 
donc reconnaitre qu'un : Vendômois, selon Du Ver- 
dicr; Vendômois et Manceau, selon La Croix du 
Maine, né sans doute à Montoire, patrie de Phi- 
lippe de Montoire, de Bouvard et de Chartier. 
MM. Chaussier et Adelon (2) ne désignent, il est 
vrai, qu'un seul Jacques Aubert, médecin à Lau- 
sanne, auteur du livre Des Natures et Complexions 
et du traité de Metallorum Ortu, mentionné par 
La Monnoye; mais ils le font naître à Vendôme et 


(1) M. Cauvin, Géogr. anc. 
(2) Biographie universelle de Michaud, 


JACQUES AUBERT. 401 


« mourir à Lausanne en 1586. Il est né dans le bas 
« Vendômois et non pas à Vendôme, Vendôme étant, 
« comme capitale du haut Vendômois, du diocèse de 
« Chartres (1). » 

Ces explications données, nous allons faire connai- 
tre les ouvrages de Jacques Aubert, dont la liste n’est 
complète ni chez La Croix du Maine, ni chez Du Ver- 
dier. | 

Il s'agit d'abord d'un Libellus de Peste; Lausanne, 
14571, in-8. Nous ne trouvons que le titre de cet 
ouvrage: il parait que les exemplaires en sont rares. 
Il faut citer ensuite : Des Natures et Complexions des 
hommes et d’une chacune partie d'iceux, etc., etc. ; 
Lausanne, Le Preux, 1571, petit in-8° de 202 pages, 
et Paris, veuve Du Pré, 14572, in-16 (2). Dans la 
dédicace de ce livre, adressée à l'avoyer de Berne, 
J. Aubert dit qu'il l'a traduit en français d'un ouvrage 
latin. 

Le traité de J. Aubert qui fit le plus de bruit a pour 

(4) Bibliographie universelle, publiée par M. Jannet, p. 32 de 
de la première partie, t. [. Ajoutons que Le Corvaisier est tout 
à fait de notre avis. Nous publicrons ici un passage de Le Cor- 
vaisier qui n'était pas encore tombé sous nos yeux au moment 
où nous avons communiqué la note que l’on vient de lire à 
l'éditeur de la Bibliogr. univers. En parlant d'Ambroise Paré, Le 
Corvaisier s'exprime ainsi : « Il avait pour contemporains et 
compalrioles plusieurs excellents médecins, tels qu'étaient 
Jacques Aubert, qui exerçuit avec réputation la médecine à 
Lausanne, etc.,etc. » (list. des év. du Mans, p. 854.) 


(2) Il y a des exemplaires de l'édition de 1572 au nom du 
libraire Nicolas Bonfons. 


102 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


titre : De Metallorum ortu et causis contre chemistas 
brevis et dilucida Explicatio ; Lyon, J. Berion, 4575, 
in-8°, de 70 pages. C'est un pamphlet véhément contre 
les chimistes : chimistes ou alchimistes, qu'il appelle 
des charbonniers et des fumivores, sans mettre à cou- 
vert de ces injures leur vénéré maître Albert le Grand. 
Ils s'empressèrent derépondre à cette provocation. Un 
d’entre eux, Joseph Du Chesne, sieur de La Violette, 
publia contre Aubert: Ad Jacobi Auberti, Vindonis, 
de ortu et causis Metallorum Josephi Quercetani, 
Armeniaci, Responsio; Lyon, Lertot, 1575, in-8°. 
En tête de ce volume se trouvent diverses épigrammes 
latines et françaises contre le médecin vendômois. Nous 
citerons celle-ci : 


Aubert, de ce tien petit livre, 
De ce tien nain, ton nourrisson, 
Gardé dix ans en ta maison, 

La presse ne fut si tôt libre, 


Qu'il voulut les géants ensuivre 
Echelant les cieux sans raison, 
Et faisant du mauvais garçon ; 
— Là haut, dit-il, 1 me faut vivre, 


Pour moi seul est cette ambroisie! — 
Lors Jupin, qui vit la folie 
De ce galant, lui dit : — Tout beau! 


A tort j'employerais mon foudre; 
Mais vous serez dans un tombeau 
En un moment réduit en poudre. 


JACQUES AUBERT. 103 


Le traité de Jacques Du Chesne est, en effet, une 
victorieuse défense de la chimie. Mais Aubert aimait 
trop la dispute pour ne pas répliquer. Comme on avait 
mal apprécié, disait-il, [a portée de ses arguments 
contre l'usage des poisons métalliques, il publia 
d'abord pour s'expliquer : De Calcinatis cancrorum 
oculis, et chemiam non esse vanam; Lyon, 1576, 
in-12. Ensuite parut, à l'adresse de Jacques Du 
Chesne, un petit volume intitulé : Jacobi Auberti, 
Vindonis medici, duæ apologeticæ Responsiones ad 
Josephum Quercetanum; Lyon, 1576, in-8°. Cette 
réponse est, selon l'usage, précédée de quelques vers 
adressés par un anonyme aux détracteurs d'Aubert : 


Alqui non puduit juvenes, implumibus alis, 
Aspersisse senem probris et pure maligno. 

Quæ tamen in tenues vanescunt haud secus auras 
Quam chemicum toties ex follibus evolat aurum..…. 


Un certain Jean-Antoine Fenot, de Bâle, prit aussi 
la défense d'Aubert dans le pamphlet suivant : Alexi- 
pharmacum, sive Antidotus apologelica ad virulen- 
has Josephi cujusdam Quercetanievomitas in librum 
J, Auberti de Ortu, etc., etc.; Bäle, in-8°. 

Les chimistes à leur tour répliquèrent: Prisciani, 
Cœsariensis, adversus Jac. Aubertum, pseudo-medi- 
cum, Grammaltica expostulatio; Lyon, in-8°, sans 
autre indication. On suppose que Priscien s'adresse 

gr 


FA 


404 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


au public, pour lui dénoncer un certain nombre d'in- 
corrections grammaticales commises par Jac. Aubert. 
Au préambule se trouvent encore des épigrammes, 
qui ne sont pas du meilleur goût. Qu'on en juge : 


Priscian à ses compagnons les grammairiens. 


Vous, Valle et Calepin, Donat et Despautaire, 
Vous, dis-je, qui hantez avec moi les régents 
Qui se peinent d'apprendre aux plus petits enfants 
Du collége les lois qui sont en la grammaire, 


Donnez commun secours à un commun affaire ; 
Accourez, mes amis, ou tous vos rudiments 

Sont du tout renversés par Jaquet courbé d’ans, 
Qui se montre à ce coup notre grand adversaire. 


Toi, Valle, garde bien, je te pry’, d’une part 
Que le galant n’échappe. — Or sus ! brayes à part ! 
Puisque nous te tenons, nous te ferons dédire! 


Jaquet criait merci; il ruisselait de sang : 
Quand le bon Calepin, qui fessait en son rang, 
Le lâcha. Mais pourquoi? Fi! je ne l’ose dire, 


Ce gros mot acheva le débat. Aubert ne voulut pas 
sans doute répondre sur ce ton. Il publia dans la 
suite : Progymnasmala in Joan. Fernelti, med., 
librum de abditis rerum naturalium et medicamen- 
torum causis; Bâle, Henricpetrus, 1579, in-8°. A 
cette date J. Aubert habitait Neufchâtel et son livre 
est dédié aux magistrats de Berne. On a encore du 
même auteur : Jacobi Auberti, Vindocinensis medici, 


FRANÇOIS AUBERT. 105 


Instlilutiones physicæ in quatuor partes distributæ, 
quæ adeo perspicuæ sunt ut in libros Aristotelis qui 
ITect ouoixñs axpodosws inscribuntur instar commenta- 
riorum ainscribi possint; Lyon, Ant. de Harsy, 
14584, in-8°. Enfin nous connaissons encore de Jac- 
ques Aubert un opuscule de 72 pages, sous ce titre : 
Semeiotice, sive ratio dignoscendarum sedium male 
affectarum est affectuum præter naturam; Lausanne, 
1587, et Lyon, J. Chouet, 1596, in-8°. 


AUBERT (François). 


François AuBEerT, né à Saint-Calais, entra jeune 
encore chez les religieux bénédictins de cette ville. 
Nous le voyons ensuite, à l’âge de vingt-cinq ans, se 
soumettre à la réforme monastique, et faire profession 
à Vendôme, le 16 juin 1644. En 1660, il était nommé 
prieur de Saint-Faron de Meaux. Il fut envoyé de [à 
prieur à Vendôme. Plus tard, jouissant dans son ordre 
de la meilleure renommée, il fut élu successivement 
abbé de Saint-Allyre de Clermont et de Saint-Augus- 
tin de Limoges. Nous empruntons ces détails à l'Æis- 
toire littéraire de la congrégation de Saint-Maur : 


406 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


les abbayes de Saint-Allyre et de Saint-Augustin, 
comme appartenant à la congrégation de Saint-Vanne, 
avaient alors des abbés triennaux qui ne sont pas 
mentionnés dans le Gallia Christiana. On cite, en 
outre, plusieurs traits de la vie de François Aubert, 
qui prouvent son désintéressement et sa charité. 

Au retour du chapitre général de 1681, où il avait 
été appelé comme un des représentants de la province 
de Normandie, étant alors prieur de Bonne-Nouvelle 
de Rouen, il fut atteint par une maladie qui l'emporta. 
Nous lisons dans l'Histoire littéraire de la congréga- 
hon de Saint-Maur : « I] possédait parfaitement les 
« ouvrages de saint Augustin, dont il avait fait une 
« lecture assidue. Il avait commencé un commentaire 
« sur l’Ecriture Sainte, tiré principalement des écrits 
« de cet incomparable docteur de l'Église. » Il mourut 
le 24 juin 1681. 


AUBERT (CHARLES). 


Il reste de Charles AuBerT un assez grand nom- 
bre d’écrits, mais on connaît mal l'histoire de sa vie. 
Ansart nous dit, en peu de mots, qu'il était du Mans, 


_ 


CIIARLES AUBERT. 107 


et qu'il publia le dernier de ses ouvrages en 1653, 
âgé de quatre-vingt-six ans. Ainsi la date de sa nais- 
sance est l'année 14567. Ansart ajoute qu'il fut long- 
temps irrésolu quant au choix de sa profession, et 
qu'enfin, s'étant déterminé pour l'Église, il fut ordonné 
par l'évêque Charles de Beaumanoir. Ansart, qui était 
religieux, n'aimait peut-être pas les vocations tardi- 
ves. C’est pour cela sans doute qu'il enveloppe ici 
de quelques nuages la portion la plus considérable de 
la vie de Charles Aubert. Ces nuages dissipés, on 
saura du moins qu'avant d'être prêtre Aubert était 
avocat. 

Le dernier ouvrage dont parle Ansart a pour titre: 
De la vie unitive de l'âme du serviteur fidèle avec 
son Dieu. Or, dans l'épitre qui le précède, on lit que 
l'évêque Charles de Bcaumanoir eut recours à la 
médiation de l’auteur pour instituer une maison de 
religieuses Ursulines dans la ville du Mans, et, 
en 1622, un Charles Aubert, avocat, publiait au 
Mans, chez Gervais Olivier, le récit des démarches 
par lui faites soit auprès de l'évêque, soit auprès de la 
supéricure des Ursulines de Laval, au sujet de cet 
établissement. Ainsi, quelle que soit la diversité des 
conditions, nous avons sous le même nom une même 
personne, Charles Aubert né en 1567, avocat en 1622, 
ordonné prêtre avant 1629. 

Si Charles Aubert se sentit porté vers le ministère 
ecclésiastique par une irrésistible vocation à un âge 


108 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


où bien rarement on change de carrière, on peut dire, 
pour expliquer sa conduite, que, même sous la robe 
de l'avocat, il s'était toujours montré fort ardent pour 
les intérêts de l'Église. Son écrit en faveur des Ursuli- 
nes, intitulé Établissement des religieuses de Sainte- 
Ursule en la ville du Mans, est d'un dévot passionné. 
Peut-être, d'ailleurs, cet avocat dévot prit-il tardi- 
vement en dégoût une profession où il ne brillait pas 
autant qu'il l'aurait voulu. Quoi qu'il en soit, il n'ins- 
pira pas le même éloignement pour le barreau à tous 
les membres de sa famille, puisque nous trouvons un 
Nicolas Aubert parmi les anciens avocats et procu- 
reurs assemblés dans la ville du Mans en l’année 14639, 
pour être interrogés « en turbe » sur un point obscur 
de la Coutume (1). 

Les Ursulines, établies à Laval en 1616, avaient été 
introduites au Mans en 1621. Le but de leur institu- 
tion était d'instruire les jeunes filles ; pour les pauvres 
elles avaient une école gratuite. Comme elles rendirent 
des services qui ne peuvent être contestés, on doit 
être curieux de connaître tout ce qui se rapporte à la 
fondation de leur utile maison. Mais nous trouvons 
encore d’autres renseignements dans l'écrit de Charles 
Aubert : un passage de cet opuscule nous apprend 
qu'il appartenait à la même famille que Noël Aubert, 
sieur de Versé (2). Nous y trouvons même des 


(1) Bodreau, Les Coutumes, p. 463. 
(2) Page 22. 


CHARLES AUBERT. 409 


facéties. « Le nom de Manceau, dit l'auteur dans 
« une épitre dédicatoire, semble proprement avoir 
« quelque convenance au naturel des personnes, qui 
« sont d'une conversation remplie de douceur et de 
« mansuétude. » C’est précisément le contraire de ce 
qu'on lit dans les vers suivants de Scarron : 


…… Nation qui raille 
Incessamment, vaille que vaille, 
Et qui sur son meilleur ami 
Donne à dos en diable et demi (1). 


Mais Scarron a médit du genre humain tout entier. 
Aubert est plus croyable, quoiqu'il donne, il faut en 
convenir, un tour moins heureux à ses jeux d'esprit. 

Les autres écrits de Charles Aubert sont devenus 
rares. On ne les à pas jugés dignes d’être conservés. En 
1629 il adresse une lettre au clergé régulier, pour lui 
recommander l'observance des vœux monastiques et 
la plus grande réserve dans la fréquentation des 
laïques. Nous n'avons pas le titre exact de ce traité, 
mais il nous est indiqué dans la préface d'une autre 
exhortation, publiée en 1630, sous ce titre : Seconde 
Exhortation de Charles Aubert, prêtre, à ses enfants 
religieux, à la vie spirituelle; au Mans, Gervais 
Olivier, in-8. Ce petit livre est une paraphrase fort 
indigeste de quelques versets de l'Ecriture. Une disser- 
tation dogmatique de Ch. Aubert : Traité du Sacre- 


(4) Scarron, Epître à Mad. de Hautefort, Œuvres, t. VII, p. 135 


- 410 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


ment de Pénitence et de Confession, le Mans, Michel 
Dorizon, 14639, in-19, se trouvait à la bibliothèque de 
Saint-Vincent; elle y manque aujourd hui. 

Dans les dernières années de sa vie, Ch. Aubert 
amplifia diverses thèses de morale. En 1645 il publia 
un Discours consolatif dela vieillesse, le Mans, Dorizon, 
in-12, à l'adresse du P. François Bourgoing, supé- 
rieur général de la congrégation de l'Oratoire. Il avait 
connu le père Bourgoing durant un séjour que celui-ci 
avait fait au Mans. Nous ne savons s’il le flatta beau- 
coup en lui dédiant son petit livre. Ayant à peine 
soixante ans le P. Bourgoing ne se comptait pas encore 
au nombre des vicillards qu'il est besoin de consoler. 
En 1646, Jérôme Olivier éditait un autre petit 
livre du même auteur, sous le titre de: Bref discours 
du respect et honneur des enfants envers leurs pères 
et mères, in-12. Ce discours est édifiant, mais la 
lecture en est peu attrayante. Il est dédié à M. Vin- 
cent, supérieur général des prêtres de la Mission. 
On connait enfin le traité de Ch. Aubert dont nous 
avons parlé plus haut : Vie unitive de l'âme du servi- 
teur fidèle avec son Dieu ; le Mans, Jérôme Olivier, 
4653. Aubert avait le style plus facile que châtié. Il 
y a, même dans les passages les plus graves de ses 
petits livres, des traits burlesques qui sont du plus 
mauvais goût. Le ton jovial ne va pas au mysticisme. 


AUBERT DE LA CHENAYE-DESBOIS. 411 


AUBERT DE LA CHENAYE-DESBOIS 


(FRANÇOIS-ALEXANDRE). 


Avant d'être un des compilateurs les plus féconds 
du xvin® siècle, AUBERT DE LA CHENAYE-DESBOIS était 
simplement capucin. Né dans la ville d'Ernée, Île 
47 juin 14699, il avait fait ses études dans quelque 
maison religieuse, et avait ensuite pris le cordon, 
moins pour suivre les anciennes pratiques, depuis 
longtemps oubliées, de la règle franciscaine, que pour 
vivre au sein d'une facile oisiveté. Il se connaissait 
mal: il n'était pas né pour le repos et le silence, 
mais pour l'agitation et le bruit. Aussi ne tarda-t-il 
pas à quitter le couvent qu'on lui avait assigné comme 
résidence, pour courir librement à travers le monde : 
ce qu'il fit sans plus de cérémonies, car il ne s’inquiéta 
pas même de se faire relever de ses vœux. Il avait pris 
d'ailleurs, dans son couvent, une très-mauvaise opinion 
des religieux de toute robe: « Il y a, dit-il quelque 
« part, des moines véritablement honnêtes gens: 
« j'avoue qu'ils sont fort rares (1): » On ne reste 
jamais longtemps dans une compagnie où l'on se 
trouve si mal entouré. 


(1) Correspondance historique, Lettre 1v, p. 31. 
I s) 


112 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


En désertant son couvent, Aubert de La Chenaye se 
rendit en Hollande. Les Lettres J'uives, par le marquis 
d'Argens, paraissaient et avaient un grand succès dans 
les cercles philosophiques: il entreprit d'y répondre. 
Cette réponse est-elle bien Île premier ouvrage de La 
Chenaye? C'est le premier que nous désignent les 
bibliographes. Il parut par livraisons séparées, durant 
les années 4737 et 4738, sous le titre de: Corres- 
pondance historique, philosophique et critique entre 
Ariste, Lisandre et quelques autres amis, pour servir 
de réponse aux Lettres Juives ; La Haye, A. Van Dole, 
in-12. L'éditeur publiait deux livraisons par semaine, 
et l'ouvrage complet forme trois volumes. Ce n'est 
pas une réfutation des critiques acerbes du marquis 
d'Argens; on les approuve aussi souvent qu'on les 
blàme : c'est une conversation sur les mêmes sujets 
entre d’autres interlocuteurs qui ne manquent ni de 
goût, ni d'esprit. La Correspondance historique est 
assurément un des meilleurs ouvrages de La Chenaye- 
Desbois. 

11 donna l'année suivante: Lettre à Madame la 
comtesse L...., pour servir de supplément a l’'Amuse- 
ment philosophique sur le langage des bêtes, par le 
P. Bougeant; in-12. L'abbé d'Olivet, qui est assez 
mal traité dans cette Lettre, la croyait de son impi- 
toyable adversaire, l'abbé Desfontaines (4). Il ne faut 


(i) Note sur un exemplaire de la Biblioth. imp. : Z. 228,*, J., 
107. 


AUBERT DE LA CHENAYE-DESPOIS. 413 


pas rejeter absolument la thèse du P. Bougeant sur 
le langage des bêtes: mais on doit reconnaitre, d'autre 
part, que la Lettre à Madame la comtesse D... n'est 
pas dépourvue d'enjouement. C'était un mérite assez 
commun au xvuit siècle qu'un style vif, facile, 
dégagé de toutes périphrases ; mais 11 n’y avait pas non 
plus en ce temps-là disctte d'écrits lourds, pédants 
et maussades : il y a donc licu de signaler cet heureux 
tour qui distingue certains libelles de La Chenaye- 
Desbois ; l'abbé Desfontaines, qui l'employait, dit-on, 
dans sa feuille (1), intitulée Observations sur les 
écrits modernes, n'avait pas toujours autant d'esprit 
que lui. 

Nous ne pouvons trouver les mêmes qualités dans 
l'Astrologque dans le Puits, à l'auteur de la Nouvelle 
Astronomie du Parnasse français; (Paris) 1740, in-12. 
C'est un des plus violents et des plus médiocres pam- 
phlets de La Chenaye-Desbois. La Mouvelle Astro- 
momie aval été publiée sans nom d'auteur par Île 
chevalier de Neufville-Montador, très-fécond et très- 
vulgaire écrivain. La Chenaye-Desbois lui fit com- 
prendre qu'il savait son secret, et il le traita de la 
façon la plus incivile. Ces méchants libelles étaient lus 
dans les cafés et avaient un jour de vogue. On en cite 
plusieurs qui ont mérité de survivre. L’Astrologue 
dans le Puits n'est pas de ce nombre. 


(1) Biograph. univers., art. Chenaye-Desbois (La). 


114 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Il faut placer dans un meilleur ordre les Lettres 
amusantes et criliques sur les romans en général, 
anglais et français, tant anciens que modernes; 
Paris, Gissey, 1743, in-12. Nous ne trouvons pas que 
ces Lettres soient précisément « amusantes; » elles 
ont même, à notre avis, peu de gaieté: mais elles sont 
assez correctement écrites et contiennent de bons juge- 
ments. On les a quelquefois attribuées au chevalier 
de Neufville. Elles contiennent, en effet, un fort pom- 
peux éloge de Marivaux. Or, Marivaux, épargné par 
l'auteur de la Nouvelle Astronomie, ne l'avait pas été 
par le critique des Lettres Juives. Mais le registre des 
priviléges de la librairie nous donne sur l'auteur des 
Letires amusantes des renseignements précis, devant 
lesquels s'évanouissent toutes les conjectures. Le pri- 
vilége est accordé nominativement au sieur Aubert, et 
à la suite vient un acte de cession, par lequel ledit 
sieur de La Chenaye-Aubert transporte son privilége 
aux libraires Gissey, Bordelet et David (4). Ainsi, dans 
l'intervalle de quelques années, La Chenaye-Desbois 
avait changé d'opinion sur l’auteur de ariunne. On 
lit encore, dans les Lettres amusantes, tout un cha- 
pitre en l'honneur de la Pamela de Richardson. Or, 
La Chenayc-Desbois passe pour avoir, le premier, tra- 
duit ceroman en français : Pamela, ou la vertu récom- 


(4) MSS de la Biblioth. imp. Le privilége imprimé ne porte 
aucun nom. 


| 


AUBERT DE LA CHENAYE-DESPOIS. 115 


pensée ; Londres, Osborne, 1749, 2 vol. M. Barbier 
ne parle pas de cette traduction anonyme. 

C'est encore à La Chenaye-Desbois qu'on attribue : 
Lettre à M. le marquis de... sur la Mérope de 
M. de Voltaire; 1743, in-8° (4). Il n'y a rien de 
remarquable dans cette lettre: elle n'est pas même 
écrite sur le ton facile et enjoué qui distingue quelques 
autres œuvres de La Chenaye-Desbois. L'auteur estime 
que, dans la Merope de Voltaire, il a plus à loucr qu'à 
blâmer. C'est une opinion désormais généralement 
admise. Mais quand les ennemis de Voltaire blämaient 
tout dans Wérope, ses amis y louaient tout. Vers le 
même temps, La Chenaye-Desbois mit en ordre et 
publia une seconde édition du Parfait cocher, ouvrage 
du duc de Nevers ; Paris, Mérigot, 174%, in-8°. Puis 
il reprit sa polémique contre le marquis d'Argens, et 
donna : Lettres critiques, avec des songes moraux, sur 
les songes philosophiques de l'auteur des Lettres 
Juives; Amsterdam, 1745, in-12. Aucun de ces | 
ouvrages ne mérite qu on s’y arrête. 

La Chenaye-Desbois a plusieurs fois gémi sur la 
triste condition d'un écrivain pauvre et dépourvu de 
riches protecteurs. Il éprouva sans doute les désagré- 
ments de cette situation. Ce qui nous engage à le sup- 
poser, c'est qu'après avoir fait connaître, dans un cer- 
tain nombre d'ouvrages critiques, ses goûts littéraires, 


(1) On la trouve quelquefois avec cet autre titre : Leltre sur la 
Mérope de Voltaire et celle de Muffei. 


416 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


la Libre humeur de son esprit et le genre facile de son 
talent mal réglé, il se mit aux gages des libraires et 
rédigea pour eux, sur Îles matières les plus diverses, 
des abrégés, des compilations. Nous n'avons qu'à 
dresser le catalogue de ces médiocres ouvrages. 
publia d'abord : Dictionnaire militaire, ou Rerueil 
alphabétique de tous les termes propres à la guerre; 
Paris, David et Gissey, 1745-1746, 2 vol. in-12, avec 
un supplément d'un volume. Le même ouvrage parut 
à Dresde, chez Walter, en 4751-1752, en 2 vol. in-8°, 
avec des corrections par un sieur Egger. Nous pouvons 
encore en désigner la quatrième édition, considérable- 
ment augmentée ; Paris, 1738-1759, 3 vol. in-8°. —- 
Lettres Hollandaises, ou les Mœurs des Hollandais à 
Amsterdam, 1747, 9 vol. in-12. — Dictionnaire uni- 
versel d'agriculture et de jardinage; Paris, David, 
4751, 2 vol. in-4°. — Eléments de l’art militaire par 
d'Héricourt: nouvelle édition donnée par La Chenaye- 
Desbois ; Paris, Jombert, 1752-1758, 6 vol. in-192. 
— Almanach des corps de marchands ; 1753 et années 
suivantes. — Ordre naturel des vursins de mer et 
fossiles ; traduction du latin de Théodore Klein, avec 
le texte ; Paris, Bauche, 1754, in-8°. — Doutes ou 
observations de A1. Klein sur la revue des animaux 
faite par le premier homme; traduction de La Che- 
nayc-Desbois; Paris, Bauche, 1754, in-8°. — Système 
naturel du genre animal, par classes, familles, et 
ordres, d'après la méthode de Klein, Artedi et 


AUBERT DE LA CHENAYE-DESBOIS. 417 


Linné: Paris, Bauche, 14754, 2 vol, in-8°. Cet ouvrage 
et la traduction de l'Ordre naturel des Oursins sont 
attribués tour à tour par la Biographie universelle à 
Jacques Brisson (4) et à La Chenaye-Desbois (2) : sui- 
vant M. Barbier, cette dernière attribution est la 
mieux fondée. — Étrennes militaires, 1744-1759, 
in-24, — Dictionnaire généalogique. héraldique, chro- 
nologique et historique des premières maisons de 
France; Paris, Duchesne, 1757-1765, 5 vol. in-8°. 
C'est la première édition d’un ouvrage assez médiocre, 
mais encore très-recherché, qui, seul, a sauvé de 
l'éternel oubli le nom de La Chenave-Desbois. Il fut 
réimprimé par la veuve Duchesne, avec des additions 
considérables sous le titre de Dictionnaire de la 
Noblesse, 1710-1786, en 45 vol. in-4°: Ics trois der- 
niers sont de Badier. La Chenaye laissait en mourant 
des notes qui devaient servir à une troisième édition, 
et l’on assure que ces notcs ont été conservées. Cette 
troisième édition parait en ce moment : elle aura 
47 vol. in-4°. — OŒŒuvres militaires dédiées au prince 
de Bouillon par A1. de Sionville, capitaine d'infan- 
terie; Charleville, Thesin, et Paris, veuve David, 
4757, 4 vol. in-12. Suivant Fréron, ce M. de 
Sionville n'est qu'un pseudonyme, imaginé par La 
Chenaye-Desbois pour dissimuler l'incompétence d'un 
ci-devant capucin en matière de bombardes ct de 


(1) Article de M. Dupetit-Thouars. 
(2) Article de M. Villenave. 


418 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


stratégie militaire. — Dictionnaire raisonne et uni- 
versel des animaux; Paris, Bauche, 1759, 4 vol. 
in-4°, — Calendrier des princes, ou état actuel de la 
noblesse de France et des maisons souveraines de 
l'Europe ; Paris, 1762-4781. C’est une séric de volu- 
mes in-16 et in-Â2, qui parurent successivement dans 
les premiers jours de chaque année nouvelle; les der- 
niers portent le titre de: Etrennes de la Noblesse. — 
Dictionnaire domestique portatif; Paris, 1762-1763, 
3 vol. in-8° : ouvrage fait en commun par Roux, 
Goulin et La Chenaye-Desbois. — Dictionnaire histo- 
rique des mœurs, usages el coulumes des Français; 
Paris, Vincent, 1767, 8 vol. in-8°: manuel qui n'est 
pas encore tout à fait déprécié. — Enfin Dictionnaire 
historique des antiquités, curiosités et singularites 
des villes, bourgs et bourgades de France; Paris, 
4769, 3 vol. in-12. Cette nomenclature rapide fait 
assez connaître des compilations qui, pour la plu- 
part, ne sont plus dans aucune main. 

Aubert La Chenaye-Desbois mourut à Paris, à l'hô- 
pital, le 29 février 4784. On est touché de voir finir 
à l'hôpital une vie laborieuse qui fut, il est vrai, sans 
gloire, mais non pas sans utilité. | 


JACQUES AUBERY 4119 


AUBERY (Jacques). 


Frédéric-Paul Aubery, d'une maison anglaise dont 
les origines nous sont inconnues, vint s'établir en 
France, aux confins du Maine et de l'Anjou, en l'année 
1439, avec sa femme Elisabeth de Harlay et deux 
enfants qu'il avait eus d'elle, Picrre et Jacques. Ni 
l'un ni l'autre de ces deux fils de Fréderic-Paul Aubery 
n'a marqué dans l'histoire. Ils ont vécu sans doute, 
comme tant d'autres, simplement oisifs. Le premier 
de leur race qui s’est fait connaître, Jacques Auger, 
naissait au bourg de Cromières, près de La Flèche, 
vers la fin du xv° siècle. 

Daniel Efcinsius fait de graves reproches à cette 
déesse aveugle qu'on appelle la Renommée, au sujet 
de Jacques Aubery : il l'aceuse avec amertume de 
n'avoir pas assez fait pour un homme « qui fut l'orne- 
« ment de la France, ainsi que la France cst l'orne- 
« ment du monde (4). » Nous voulons bien qu'il y 
ait beaucoup à dire, en général, contre la Renommée; 
mais le docte Heinsius ne va-t-il pas ici trop loin? n'y 
a-t-il pas quelque exagération dans les termes de son 

(t) Daniel Heinsius, Epistola nuncupaloria, en tête de son 


édition du discours d'Aubery pour les gens de Cabrieres et de 
Mérindol. 


t5* 


120 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


apologic? Jacques Aubery fut incontestablement un 
des esprits distingnés de la cour de Henri IT, et, dans 
plusieurs circonstances que nous allons rappeler, il fit 
remarquer sa sagesse, Son courage ct son éloquence. 
Cependant l'histoire ne peut laisser mettre à la 
seconde place Guill. du Bellay, Amyot, Pasquier, 
Michel de l'Hospital et quelques autres encore de 
leurs contemporains, pour donner la première à Jac- 
ques Aubery. Même en parlant au nom de la justice il 
ne faut rien outrer; le défaut de mesure rend injuste. 

Jacques Aubery lit ses premières études, dit Ansart, 
au collège de La Flèche (1). Plus tard il vint à Paris, 
étudia le droit cet se fit recevoir avocat au Parlement. 
Nous n'avons pas la date précise de son admission au 
tableau de l'ordre. Blanchard, qui ne la savait pas, 
dit simplement qu'il plaidait en 4537 (2). Blanchard 
doit avoir trouvé, comme nous, ce renscignement dans 
les OEuvres de René Choppin. Choppin raconte, en 
effet, que, le 4 avril 1537, dans une affaire concernant 
l'évêché d'Angers, Jacques Aubery plaida pour l'évé- 
que et Gilles Le Maistre pour la partie contraire (3). 
Celui-ci, qui devait être nommé trois ans après avocat- 
général, avait dès lors un grand renom: en char- 


(1) Biblioth. lilt. du Maine. 

(2) Blanchard, Notes inédites sur l'histoire des avocats au 
Parlement de Paris. Une copie de ces notes, avec quel- 
ques additions de M. Marnier, exite à la bibl'othèque des 
avocats à la cour impériale de Paris. 

(3) Œuvres de R, Choppin, trad. de J. Tournet, 1. IV, p. 258. 


JACQUES AUBERY. 491 


geant Aubery de défendre ses intérêts contre un tel 
adversaire, l'évêque d'Angers lui faisait donc beaucoup 
d'honneur. Nous voyons ensuite Aubery paraitre 
avec éclat dans les causes les plus importantes, à 
côte des Séguier, des de Thou, des Riant, des Marillac, 
ses rivaux de gloire (1). Dans le procès, qui fit tant 
de bruit, entre le connétable de Montmorency et la 
dame d'Acigné, Anne de Montcjan, il combattit avec 
tant de force les prétentions du connétable, que, par 
sentence de la cour, son mémoire fut lacéré (2). Ce 
qui pourtant ne lui fit aucun tort dans l'esprit des 
juges et même dans l'esprit du roi, puisqu'il fut 
appelé peu de temps après à remplir les fonctions 
d'avocat du roi dans le procès fait aux persécuteurs 
des hérétiques de Cabrières et de Mérindol. 

I faut parler avec plus de détails de cette affaire, où 
la conduite d'Aubery fut si méritoire. 

Cabrières et Mérimdol, bourgs situés en Provence, 
à l'extrême frontière du comtat Venaissin, étaient 
habités par les derniers débris de la grande famille 
des Vaudois. Le souvenir de la persécution cruelle 
qu'avaicnt endurée leurs pères avait à jamais séparé 
de l'Église romaine ces pauvres gens, d’ailleurs peu 
versés dans l'étude des problèmes dogmatiques. Vers 
l'année 1530, ils furent visités par des missionnaires 

(1) Loisel, Dialogue des Avocats. 

2) Registres de la chambre du conseil du Parlement; à la 


bibliothèque des Avocats de Paris; t, XXIV, fol. 167, verso ; 172 
verso, 


199 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE, 


luthériens, qui prêchant et conspirant contre l’auto- 
rité des évêques, contre l'arrogante corruption des 
papes, firent en ce pays autant de prosélytes qu'ils 
eurent d’auditeurs. Pour tout ce peuple d'opprimés la 
venue de Luther est la venue du vengeur trop long- 
temps attendue, et le succès dela Réforme est le succès 
de la tardive justice. On sc presse, on s'agite autour 
des missionnaires luthériens ; on s'entretient avec cux 
des signes des temps et de la ruine prochaine de 
Babylone : les cœurs abattus se relèvent au souffle de 
la liberté. 

Quand la nouvelle de cette agitation religieuse parvint 
à la cour, le roi s'empressa d'ordonner des poursuites. 
Il donna cet ordre à ses gens du parlement de Pro- 
vence, au mois de mai 1540, se défiant des magistrats 
inférieurs, qui, disait-on, avaient encouragé les fau- 
teurs de l'hérésie par une tolérance suspecte de com- 
plicité. Le roi voulait donc une répression prompte, 
efficace. 

Puisqu'il s’agit de François Le, ce n'est pas le fana- 
tisme religieux qui a dicté cet ordre. Non par réflexion, 
car il n'avait pas l'habitude de réfléchir, mais par 
tempérament, par excès de belle humeur, François [°° 
était irréligieux. I] aimait les femmes, les gens d'esprit, 
les gens d'épée, et non les théologiens et les moines ; 
mais, après avoir, dans Îles premières années de son 
règne, donné l'exemple de la tolérance, il avait plus 
tard laissé se former autour de lui un parti de gens 


JACQUES AUBERY. 193 


intéressés à la sécurité de l'Église orthodoxe, qui par- 
venaient trop facilement à lui démontrer que toute 
dissidence, même religieuse, était une mutincrie. 
Quand donc ils lui signalaient quelques agitateurs 
luthériens et lui demandaient contre eux des pour- 
suites, trop souvent il les ordonnait, sans passion, 
mais sans scrupule, et, s’il fallait ensuite sacrifier quel- 
ques victimes au maintien du bon ordre, il ne les 
refusait pas. 

Ayant reçu les lettres du roi, le premier président 
du parlement de Provence, Barthélemi de Chasseneuz, 
cite devant la cour divers habitants de Mérindol dénon- 
cés comme n'allant pas ordinairement à la messe ou 
comme ayant tenu des propos hérétiques. Les inculpés, 
saisis de terreur, prennent la fuite, et au jour dit ils 
ne comparaissent pas. C’est alors qu'est rendu l'arrêt 
du 48 novembre 1540, qui condamne au feu, par 
coutumace, dix-neuf habitants de Mérindol, confisque 
leurs bicns, leurs femmes, leurs enfants, leurs servi- 
teurs, au profit du roi, et de plus ordonne que toutes 
les maisons et bastides dudit lieu seront ruinées et 
rasées, comme ayant toutes été souillées par la pré- 
sence de quelque mécréant. 

L'exécution de cette atroce sentence fut quelque 
temps ajournéc. On venait raconter aux juges que, 
pour défendre leurs personnes, leurs femmes, leurs 
enfants et leurs biens, les habitants de Mérindol se 
concertaient avec ceux des paroisses voisines et qu'on 


124 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


rencontrait dans tout le pays des bandes armées d'ar- 
quebuses. Il s'agissait donc, pour exécuter l'arrêt du 
48 novembre, d'envahir ce pays avec une forte légion 
d'assassins, et d'engager un combat dont l'issue pou- 
vait être incertaine. Vainement les archevêques d'Arles 
et d'Aix excitaicnt les passions avec un zèle farouche, 
et promettaient de contribuer pour une forte part aux 
frais de l'expédition (1); les juges eux-mêmes recu- 
laient avec cffroi devant les suites de l'arrêt qu'ils 
avaient prononcé. C’est alors que Guillaume Du Bellay, 
qui remplissait en Piémont les fonctions de licutenant 
du roi, prit hautement la défense des condamnés, et 
obtint une déclaration royale, datée du 18 févricr 
4541, aux termes de laquelle trois mois étaient donnés 
aux gens de Mérindol pour abjurer leurs erreurs. 
Ceux-ci demandèrent humblement que leur cause fût 
examinée par des Juges ecclésiastiques; ils ne pou- 
vaicnt, disaicent-ils, et à bon droit, se reconnaitre 
coupables d'hérésie et désavouer l'opinion qui leur 
était imputée, tant que cette opinion n'aurait pas été 
soumise à l'épreuve d'une controverse publique. Les 
habitants de Cabrières se joignirent, dans cette 
requête, à ceux de Mérindol. Elle fut bien accueillie, 
et toute l'affaire fut évoquée devant le conseil du roi. 


Tel était l'état des choses, quand les présidents 
Chasseneuz et Garconnet eurent pour successeur 


(4) Fleury, Hist. Ecclés, liv. XIV, p. 141. 


JACQUES AUBERY. 1925 
Jean Meynier, baron d'Oppède. Celui-ci, possesseur 
de quelques biens aux environs de Mérindol, jaloux 
sans doute de Îles agrandir, ou, comme on le prétend, 
de venger une injure personnelle, écrivit en toute hâte 
que la clémence royale avait encouragé dans leur 
rébellion Îles fanatiques de Cabrières et de Mérindol ; 
qu'ils parcouraient les campagnes, brisant les images 
des saints et dévastant les églises; qu'ils venaient de 
faire un rassemblement de seize mille hommes, dansle 
dessein de surprendre la ville de Marseille, et que, si 
l'on différait plus longtemps l'exécution de l'arrêt 
de 1540, il n'y aurait bientôt plus de sûreté pour les 
catholiques dans toute la province. Sur ces renscigne- 
ments, le roi donna pleine licence au baron d'Oppède, 
par lettres-patentes datées du mois de janvier 1545, 
et, vers Îc mois d'avril de cette année, le massacre 
commença. Vingt-deux villages furent cnvahis, sac- 
cagés, livrés aux flammes. Nous trouvons, dans Îles 
histoires de Jacques de Thou, de Sleidan et de Fleury 
le récit de cette croisade: on ne peut le lire sans 
éprouver le frisson de l'horreur. Le baron d'Oppède 
avait lui-même conduit les meurtriers, il avait dirigé 
leurs coups, il leur avait enseigné, par son exemple, à 
n'épargner ni les enfants, ni les vieillards, ni les fem- 
mes, à confondre dans le même incendie les châteaux 
et les chaumières. 

Il y cut à la cour du roi, quand on apprit l'événe- 
ment, une vraie stupeur. Le roi lui-même, qui avait 


126 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 
tout permis, trouva qu'on avait abusé de sa permis- 
sion et montra beaucoup de mécontentement. En ces 
circonstances le baron d'Oppède envoya le président de 
La Fonds plaider sa cause devant le roi; mais ni les 
raisons d'état alléguées par cet ambassadeur, ni 
l'approbation donnée par le cardinal de Tournon aux 
actes des bourreaux de Mérindol, ne tranquillisèrent 
la conscience de Francois FE", qui mourut en chargeant 
son fils, Henri IL, d’instruire de nouveau cette affaire. 

Le baron d'Oppède ct ses complices étant arrêtés, 
l'affaire fut évoquée au parlement de Paris et le roi 
chargea Picrre Seguier d'être son avocat dans le procès 
qui devait s'engager. Mais, le 14 août 1350, d'Oppède 
et de La Fonds récusèrent Seguier, disant qu'au début 
de l'affaire 1l avait été de leur conseil de défense, et, 
faisant droit à leur requête, la cour interdit à Seguier 
de paraître dans l'affaire comme avocat du roi (4). 
Seguicr récusé et Marillac absent, le procureur général 
réclama l'assistance de Jacques Aubery. Aubcry 
s'étant empressé de promettre son concours, le roi lui 
fit tenir une courte lettre pour le remercier et lui 
confier suivant la forme le mandat préalablement 
accepté (2). En même temps il écrivit à ses conscillers 
au parlement de Paris : 

(1) Biblioth. des Avoc. à la Cour impér. de Paris: Registr. 
de la Ch. du Conseil, t. XXIV, fol, 262, 

(2) Cette lettre est imprimée par Louis Aubery en tê:e du 


volume intitulé : Histoire de l'exécution de Cabrières «t de 
Mérindol. Le texte original, avec la signature du roi, a élé con- 


JACQUES AUBERY. 127 


« De par le roi, nos amis et féaux, pour ce que 
« désirons les appellations interjetées par notre pro- 
« cureur général constitué en la chambre de la Reine 
« de notre palais, des exécutions ci-devant faites 
« contre les habitants de Mérindol et autres de notre 
« pays de Provence, qu'on disait être hérétiques, être 
« plaidées durant notre présent parlement et avant 
« la cessation d'icelui, suivant nos lettres-patentes 
« pour ce par nous décernées à notre dit procureur, 
« et que M° Pierre Seguier, notre avocat général, a 
« été récusé en cette matière, aussi que M° Gabriel 
« de Marillac notre second avocat, est allé aux 
« grands-Jours de Moulins, nous voulons et vous 
« mandons que vous receviez à plaider pour nous les 
« dites appellations M° Jacques Auberv, avocat en 
« icelle cour, lequel, à l'occasion de la récusation dudit 
« seigneur et de l'absence dudit de Marillac, nous 
« avons constitué et constituons notre avocat à cet 
« effet. Si n y veuillez faire faute et faire faire ladite 
« plaidoirie avant la cessation de notre dit parlement. 
« Donné à Mantes, le 23° jour d'août 4550 (1). » 

I existe un bref de Jules IT, du 28 juillet 1550, 


servé ; il fait partic d'an volume inscrit sous le num. 36 du 
fonds Dupuy, à la Bibliothèque impériale. On trouve dans le 
même volume deux autres lettres du roi à Jacques Aubery du 
14 novembre 1550 et du 16 juillet 1551. Elles concernent aussi 
l'affaire de MCrindol et ont été imprimées par Louis Aubery ; 
mais elles ont peu d'intérêt. 

(1) Bibl, des Avoc.; Reg. de la ch. du cons., t. XXIV, fol. 267. 


198 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


dans lequel ce pape intervient dans la cause du baron 
d'Oppède, vassal du comté d'Avignon, loue le zèle de 
ce sicaire pour les intérêts de la religion, et réclame 
quil ne soit pas donné suite à l'instruction judiciaire 
commencée contre lui. Henri IT avait sans doute recu 
cette étrange missive, quand, sans attendre l'avocat 
général de Marillac, il fit choix, pour le suppléer, de 
Jacques Aubery et manifesta le désir de voir terminer 
l'affaire avant la cessation du parlement. Mais il était 
sur ce point impossible de le contenter. Ainsi que 
Marillac la plupart des avocats choisis par les accusés 
étaient allés à Moulins figurer en d’autres affaires. Il 
est d'ailleurs selon la nature des choses que plus 
l'accusation est pressée d'agir, plus la défense redoute 
et diffère l'heure de l'engagement. Le procès fut donc 
ajourné au parlement suivant. | 

Les débats commencèrent le 48 septembre 1551 et 
se prolongèrent durant cinquante audiences consécu- 
tives. Sept de ces audiences furent consacrées à enten- 
dre le réquisitoire d'Aubery. Parlant au nom d'un roi 
qui, pour justifier la mémoire de son père, n'avait 
pas craint d'ffenser le souverain pontife, Aubery se 
montra digne de la confiance que ce roi lui avait mon- 
trée. Les forfaits du baron d'Oppède et de ses com- 
plices l'ayant lui-même rempli d'indignation, il en 
raconta le détail avec tant de chaleur ct de vérité que 
ses auditeurs émus pensaient, selon ce que rapporte 
Théodore de Bèze, « plutôt voir qu'ouir parler du 


JACQUES AUBERY 129 


«massacre.» Pour conclure, après un si long discours, 
il exhorta vivement les juges à n'épargner aucun 
des accusés : quant aux hérétiques avérés qui, par 
bonne fortune, vivaient encore, cachant dans les antres 
des bois Icurs têtes proscrites, il demanda, comme 
semblait l'exiger la raison d'état, qu'ils fussent 
« réduits à la vraie doctrine, » après avoir été toute- 
fois entendus dans leur cause, sans avoir égard aux 
arrêts du 48 novembre 14540, du 12 avril, du 5 et du 
20 mai 1545, ni aux lettres-patentes du 4° janvier et 
du 48 août de la même année. 

La défense des accusés fut présentée par M° Laporte, 
pour le parlement de Provence; par M° Picrre Robert, 
pour Jean Meynier, baron d'Oppède; par M° Roche- 
fort, pour Jean de La Fonds; par M° Renard, pour le 
cardinal de Farnèse; par M° Christophe de Thou et 
par M° Cousin, pour Bernard Badet et pour Honoré de 
Tributiis, conseillers au parlement de Provence; par 
Me Millet, pour Guérin, avocat du roi au même par- 
lement; par M° Dumesnil, pour les gens des trois 
états de Provence ; et par M° Danquetin, pour Antoine 
Escalin des Esmars, baron de La Garde, lieutenant 
général du roi sur la mer de ponant. Aubery leur 
répliqua dans les audiences des 19, 20, 21 et 22 
octobre. Quelques-unes de ses imputations avaient- 
elles manqué de preuves? Les juges pouvaient retran- 
cher du nombre des crimes ceux qu'ils n'estimaient 
pas assez prouvés: il y en avait beaucoup trop qu'on 


130 HISTOIRE LiTIÉRAIRE DU MAINE. 


n'avait pas contestés parce qu'on les avait trouvés 
incontestables. 

Cependant ces puissants personnages, les Meynier, 
les La Garde, le président de La Fonds et le cardinal 
de Farnèse, avaient à la cour des parents, des amis. 
Le duc de Guise, suivant de Thou, protégeait ouver- 
tement le principal accusé. C'est pourquoi, malgré 
l'infamie de Ieur conduite, malgré Ie talent de leur 
accusateur, ils furent tous acquittés, à l'exception de 
Guérin, qui, n'ayant pas de patron parmi les courti- 
sans (4), paya de sa tête pour toute la compagnie. Le 
roi lui-même ne persévéra pas jusqu'à la fin du procès 
dans les sentiments qui l'avaient porté d'abord à l'en- 
treprendre; vaincu par les sollicitations de ses meil- 
leurs amis, il prononça, le 23 février 1551, l'absolution 
de La Garde, après avoir évoqué son affaire en son 
conseil privé. Le supplice de Guérin parut lui suffire. 
Il ne suffit pas toutefois au public, qui se déclara pour 
l'accusateur contre les accusés et contre leurs juges (2). 

Le plaidoyer de Jacques Aubery, dont le texte 
manuscrit nous est offert par le numéro 846 du fonds 
Dupuy, à la Bibliothèque impériale (3), fut publié pour 

(1) « Quod aulicorum favore destitueretur, » selon Jacques de 


Thou. 

(2) César de Nostredame, Jisl. de Provence, p.773. Voir, en 
outre, Nolice des procès criminels révisés, par Jules Bonnet, 
p. 63-83. 

(3) Dans le même volume est le plaidoyer de Robert pour le 
baron d'Oppède. On y trouve aussi le texte de la sentence pro- 
noncée contre Guérin. 


JACQUES AURERY. 131 


la première fois à Leyde, par les soins de Daniel 
Heinsius, chez Jacques Marc, 14619, in-fol. Une autre 
édition en fut faite par Louis Aubery du Maurier, et 
parut en 1645 sous ce titre : Histoire de l'exécution 
de Cabrières et de Merindol, et d'autres lieux de Pro- 
vence, parliculièrement deduite dans le plaidoyer qu'en 
fit, l'an 1551, Jacques Aubery, etc., etc.; Paris, 
Sébast. Cramoisy, in-4°. Michel de L’Hospital, alors 
conseiller au parlement de Paris, a vanté l'argumen- 
tation persuasive et la noble vigueur de ce plaidoyer, 
en de beaux vers que nous devons reproduire iei : 


Quid Romana bonus, quid Græca per oppida rhetor 
Éloquio potuit, qud non traducere plebis 

Nutantes animos, quas non aut vincere causas, 
Hæc facile ostendit magnis agitata clientûm 

Et patronorum clamoribus ardua causa. 

Non de re, non de repetundis denique nummis, 
Se de vi potius, de cæde stuproque pudicis 
Matribus oblato et vinctis sine crimine cæsis. 

Nam longam historiam pulchro simul ordine cœpit 
Albricius recitare, viros et morte peremplos 
Indigna, raptasque soluto crine puellas, 

Et late miseris subjecta incendia vicis, 

Ô qui tum gemitus, à quæ suspiria ab imis 
Exaudita fere gradibus portisque Palati! 

Oinnes cxquisita reis et summa precari 

Supplicia, indignos qui lucis honore fruantur ; 
Jpse etiam prætor, vullu satis esse probatum 
Significans, solio jam jamque exsurgere visus 

Et socios quæ sit sententia poscere velle..…. 


139 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Les vers de L'ospital sont à l'adresse du chancelier 
François Olivier. Voulant montrer tout ce que peut 
l'éloquence, combien elle émeut, combien elle entraine, 
L'Hospital choisit précisément l'exemple d'Aubery 
plaidant contre les bourreaux de Mérindol (4). 

En le chargeant de cette affaire Henri IT avait écrit 
à Jacques Aubery qu'il lui scrait plus tard recon- 
naissant de l'avoir acceptée. En eflet il le nommait, 
avant le jugement, son licutenant civil au Châtelet 
de Paris. Quelques années après, en 1555, il lui 
confiait une mission diplomatique dont l'importance 
montre assez l'opinion qu'il avait de son mérite. 
Il s'agissait de déjouer une des plus habiles intrigues 
dé Charles-Quint et d'empêcher que l'Angleterre, 
retournée, comme on dit encore, au giron de l'Eglise, 
ne prit contre la France très-chrétienne le parti de 
l'Espagne très-catholique. Aubery se rendit près du 
fils de Charles-Quint, Philippe d'Autriche, qui avait 
récemment épousé la reine Marie, et, secondé dans 
cette négociation par le cardinal Pool, il obtint d'abord 
la neutralité de l'Angleterre ; ce qui lui servit à ména- 
ger ensuite un rapprochement entre les trois cours. 
La trêve de Vaucelles, signée par Phihppe et par 
Henri, le 5 février 4556, quelques mois après l'abdi- 
cation de Charles-Quint, fut un des résultats de ses 
démarches conciliantes. 


(1) Œuvres de Michel de L’Hospital, édition de Dufey, t. II, 
p. 147. 


JACQUES AUBERY. 133 


En parlant de cette ambassade, Gérard Vossius dit 
qu'Aubcryÿ fut envoyé par le roi de France près du 
« roi d'Angleterre, » ad regem Britanniæ (1). Ces 
termes ayant été vraisemblablement mal compris par 
Louis Aubery, il a fait intervenir son grand oncle dans 
un traité de paix imaginaire, conclu, en 4555, entre 
Henri Il et Edouard VI (2). Edouard VI était mort 
en 4553, à l’âge de scize ans, et, en l’année 1555, la 
couronne d'Angleterre était portée par Marie Tudor. 
Or, bien que, suivant la constitution britannique, le 
mari de la reine, Philippe d'Autriche, ne fût pas roi 
d'Angleterre, ce titre lui était alors donné sur le conti- 
nent, et lui a été conservé par la plupart de nos histo- 
riens, entre lesquels nous citerons l'exact et scrupuleux 
Mézeray. Il est d’ailleurs attesté par divers autres 
documents que l'ambassade de Jacques Aubery est 
de l'année 1555. 

C'est à l'occasion de cette ambassade que Joachim 
Du Bellay a fait en l'honneur d'Aubery lc sonnet sui- 
vant : 

Celle qui est’des quatre l'excellence 

Et qui s’entrène au plus beau des cieux, 


De son bandeau t'a sillé les deux yeux 
Et à {a main a donné la balance : 


(4) Dans la dédicace de son Traité de Rhélorique, adressée, 
en 1621, à Benjamin Aubery. 

(2) Mémoires pour servir à l'Hist. de Hollande, p. 217. 
Ch. Ancillon à reproduit cette erreur dans la notice qu’il a con- 
sacrée à Jacques Aubery, dans ses Mémoires concernant les vies 
de plusieurs modernes. Ansart ne l'a pas corrigée. 


134 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Le Dieu courrier, pour mettre en évidence ‘ 
De ton esprit les trésors précieux, 

À mis entoi son miel délicieux, 

Junon sa grâce et Pallas sa prudence, 


Grand Aubery, qui, dénouant l'erreur 
Dont Ia Discorde et Mars et la Fureur 
Enveloppaient deux voisines provinces, 


Divinement forças le fier Anglois 
A se tenir sous les paisibles lois 
Qui ont uni les cœurs de deux grands princes. 


À son retour d'Angleterre, l'heureux diplomate 
revint modestement remplir sa charge de lieutenant 
civil au Châtelet. C'est alors que Rolland Leprestre 
lui dédia son commentaire sur Île discours de Cicéron 
pour Sextius. Vers la même époque, en l'année 1556, 
Pierre La Rance, l'illustre Ramus, disait de-lui dans 
un de ses écrits intitulé Ciceronianus: « J'ai connu 
« deux orateurs français qui l'emportaient de beau- 
« coup sur tous les autres au barreau de Paris, par l'in- 
« tégrité de leur caractère et la puissance de leur argu- 
« mentation ; Je veux parler de Gabrielde Marillac etde 
« Jacques Aubery, quime semblent presque avoir égalé 
« tout autre oratcur grec ou romain par le ton grave 
«_ et lanoble pompe de leur éloquence. » A la première 
‘ occasion le roi l'eût assurément pourvu d'une plus 
haute dignité; mais il mourut en cette année 1556. 
Son neveu Louis Aubery a donc faussement raconté 
qu'il « exerça longtemps encore, » après son retour 


JACQUES AUBERY. 435 


d'Angleterre, les fonctions de lieutenant civil. Il était 
mort avant le 46 septembre 1556. Nous voyons, en 
effet, à cette date, Gilles Bourdin, avocat général au 
parlement, protester contre la promotion récente de 
Jean Mosnier, autrefois lieutenant criminel, à la charge 
de lieutenant civil ; et la protestation dit expressément 
que ectte charge de lieutenant civil est devenue vacante 
par le décès, non par la démission volontaire de 
Jacques Aubery (1). 

Désire-t-on plus de détails sur cette protestation? Il 
nous plait d'en donner. Gilles Bourdin, avocat général 
du roi, dénonce le roi comme ayant vendu la place 
vacante à Jean Mosnier, au prix de dix nulle écus, et, 
quand il à vivement protesté contre ce marché nouveau, 
scandaleux, la cour, grande chambre et tournelles 
assemblées, décide qu'il sera fait au roi des remon- 
trances verbales par quatre présidents. On s'étonne 
sans doute de voir, sous l'ancien régime, l'une et l’autre 
magistrature se comporter à l'égard de la couronne 
avec cette liberté. Mais un siècle sépare le règne 
d'Henri IT du règne de Louis XIV, il nest pas encore 
admis que le principe d'autorité ne peut jamais faillir, 
et les pouvoirs placés au-dessous du trône n'ont 
pas encore pris ces habitudes de silence ou d'obsé- 
quicuse prostration qu'ils auront ensuite tant de peine 
à quitter. 


(4) Biblioth. des avoc. à la cour de Paris; Registr. de la ch. 
du cons.,t. XXIX, fol, 868, verso. 


130 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


De son mariage avec demoiselle Marie Anthonis, 
Jacques Aubery avait eu une fille, nommée Françoise. 
Cette fille ayant épousé Picrre de Pincé, consciller au 
parlement de Paris et commissaire aux requêtes, mou- 
rut le 3 janvier 1566, et son mari peu de mois après 
elle, le 22 mai. Leur commune épitaphe, qu'on lisait 
autrefois en l'église de Saint-Jean-en-Grève (1\, nous 
apprend que Jacques Aubery possédait, de son vivant, 
la terre de Moncreau, en Anjou. 


AUBERY DU MAURIER (#Exsamix). 


Jacques Aubery, sieur de Moncreau, avait un frère 
ainé, Pierre Aubery, sicur du Maurier, terre noble 
d'Anjou, près la Fontaine-Saint-Martin. Pierre eut de 
son mariage avec Guillelmettede Belin, fille de Jean, 
comte de Belin, Jean Aubery, qui se maria deux fois; 
Ja seconde fois avec Madeleine Froger, de Saumur. 
Jean fut père de cinq enfants, parmi lesquels nous 
avons à désigner N. Aubery, sieur des Barauditres, 
avocat au parlement de Paris, dont le nom est cité dans 


(1) Gelte épitaphe se trouve en tête de l'édition du plaidoyer 
pour les gens de Cabrières et de Mérindol, publiée par Louis 
Aubery. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 137 


les Plaidoyers d'Anne Robert (1), et Benjamin 
AuBery, sieur du Maurier, et de la Fontaine d'Angé 
(près Châtellerault), né au Maurier au mois d'août, 
en 1566, qui s'est élevé par son mérite à de hauts 
emplois, et a laissé d'importants mémoires sur les 
principales affaires de son temps. 

Ainsi que la plupart des gentilshommes angevins 
ou manccaux, Jean Aubery était de la religion réformée. 
On a licu de supposer qu'ils ne s'étaient pas tous ran- 
gés à ce parti par des raisons de conscience ; on les vit 
en effet, pour le plus grand nombre, passer rapidement 
au parti contraire, après le désastre de Jarnac, quand 
eut succombé leur vaillant chef, Louis de Condé. Jean 
Aubery ne fut pas, toutefois, un de ces transfuges : il 
persévéra dans sa religion jusqu'à sa mort, qui eut 
lieu en mai 4584. C'était donc, il nous plait de lui 
rendre cette justice, un calviniste convaincu. 

Ses enfants furent élevés dans secs principes. On 
peut d'ailleurs juger que c'était un homme éclairé par 
les sacrifices qu'il s'imposa, quoique pauvre, pour les 
faire instruire avec soin, quoique gentilshommes. 

Benjamin fut envoyé d'abord à l'école de Pringé (2), 
au doyenné de Clermont; il continua ses études au 


(1) Pag. 482 de la traduction de Tournet. 

(2) Aubery du Maurier, Etude sur l'histoire de la France et 
de la Hoilande, par M. Ouvré, p. 6. M.Cauvin ne mentionne pas 
l'école de Pringé dans ses Recherches sur les établissements de 
charile el d'instruclion publique. 


Li 


4338 HISTOIRE LITIÉPRAIRE DU MAINE. 


collége du Mans, puis à Paris, aux colléges de Lisieux, 
de Boncourt ct de Cambrai. Il se rendit ensuite à 
Genève, où il apprit la philosophie sous la discipline 
de Théodore de Bèze. En 1584, à la nouvelle de la 
mort de son père, il revenait en France pleurer avec 
sa mère. Îl allait ensuite retourner à Paris pour finir 
son cours de philosophie, quand une nouvelle persécu- 
tion contre les gens de son parti changea se$ desseins 
et le fit soldat. 

Encouragés à tout entreprendre par le silence cons- 
terné de leurs ennemis, Îles catholiques avaient 
décrété que, dans l'espace de six mois, tous les calvi- 
nistes français devraient abjurer ou quitter le royaume. 
C'était recommencer la guerre. Tandis que la triste 
veuve de Jean Aubery se rendait secrètement au chà- 
teau de Brouassin, chez le comte de La Suze, son fils 
Benjamin allait combattre à Coutras, à Sarlat. On l'en- 
voyait ensuite à Montauban, à Nérac, à La Rochelle. 

Il avait pris le mousquet pour remplir un devoir ; 
mais il était peu fait pour la guerre. Rien ne lui conve- 
nait moins que de vivre misérablement avec de grossiers 
compagnons, plus avides encore de piller que de com- 
battre. Ayant donc passé deux ans sous les armes, du 
mois de mars 4586 au mois de février 1588, ct croyant 
avoir ainsi payé sa dette, il prit congé de son capitaine 
etrevint en son pays. Il n'y fit pas toutefois un long 
séjour : il apprit, en cffet, en arrivant la mort récente 
de sa mère; ce qui le décida sur-le-champ à repasser 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 139 


* 


la Loire pour aller chercher fortune à la cour du roi 
de Navarre. 

Mais d'autres événements l'arrêtèrent en chemin. 
Après l'assassinat du duc de Guise, Henri HT, jugeant 
à bon droit ses affaires perdues, se retourne vers le roi 
de Navarre, lui propose la paix ct lui livre comme gage 
de confiance la place de Saumur. Benjamin arrivant à 
Saumur, Duplessis-Mornay, qui gouvernait cette ville 
pour le roi de Navarre, voit ce jeune homme, pense 
qu'il pourra l'employer, et le retient près de lui. 

En effet, il l'employa peu de temps après. Henri HI 
mort, il s'agissait pour Îc roi de Navarré de mettre la 
main sur le cardinal de Bourbon, dont les ligueurs 
songeaient à faire un prétendant. Le cardinal était 
alors détenu, par les ordres du-roi défunt, dans le châ- 
teau de Chinon, sous la garde peu sûre du sieur de 
Chavigny. Le roi de Navarre ayant prié Duplessis- 
Mornay de négocier cette affaire très-délicate, Aubery 
fut bientôt chargé par l'habile négociateur d'aller 
porter la nouvelle du succès obtenu (4). Ainsi nous 
voyons Aubery faire son centrée dans le monde par 
une ambassade. C'est un accident digne de remarque, 
car, s'il y a des vocations, la sienne était assurément 
d'être ambassadeur. 

Cette fonction réclamait alors, outre beaucoup de 
prudence, beaucoup de courage. Souvent envoyé par 
Duplessis vers Îe roi, qui tenait toujours la campagne 

(4) M. Ouvré, ouvrage cité, p. 10. 


n° 


140 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


et contre les ligneurs et contre les Anglais, Aubery 
courut maintes fois les plus grands dangers: il fut 
même un Jour fait prisonnier et mené dans la ville de 
Fécamp, Îles jambes garrottées sous le ventre de son 
cheval (4). Mais comme il n'était pas moins courageux 
que prudent, avisé, persuasif, il se tirait de tous les 
mauvais pas. [l avait à peine vingt-cinq ans, lorsque, 
le 22 octobre 1590, le roi, qui lui-même avait conçu 
bonne opinion de son mérite, le nomma secrétaire 
ordinaire en sa maison de Navarre, aux gages de deux 
cents livres, en récompense « de sa loyauté, preud- 
«<hommie, capacité, expérience et bonne diligence(2).» 
C'était à la fois une gratification et un titre; mais ce 
n'était pas un emploi. Aussi le jeune secrétaire du roi 
de Navarre demeura-t-il au service de Duplessis, qui 
l'occupa comme autrefois à porter ses fréquentes 
dépêches à la cour peu sédentaire du hbelliqueux Henri. 

Dans ses ambassades Aubery vit souvent Ilenri de 
La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, nouveau maré- 
chal de France, homme de forte trempe, propre à 
l'action sur les champs de bataille, négociateur habile 
et heureux, zélé royaliste, zélé calviniste, qui pouvait 
tout à la cour et s’y permettait tout, même de blâmer 
le roi. Ayant donc apprécié dans plus d'une affaire le 
mérite précoce d'Aubery, le duc de Bouillon pria 
Duplessis de lui céder ce jeune homme; et, dès le mois 


(1) M. Ouvré, ouvrage cité, p. 19. 
(2)  Id., ibid, p. 19. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER, 141 


de juin 4599, la cession consentie, Aubery demeura 
près du maréchal, à la cour même, au service du roi, 
qui l'envoya quelque temps après en Angleterre vers 
la reine Elisabeth. Henri le chargeait notamment de 
raconter à la reine des démarches faites par la cour 
de Rome pour le convertir et d'ajouter que ces démar- 
ches seraient vaines. Elles ne le furent pas. C'est 
pourquoi l'on se demande si les paroles portées à la 
reine Elisabeth étaient des paroles sincères. Ce soup- 
çon de fourberie nous parait mal fondé. Au mois de 
septembre de l'année 4592, quand Aubery se rendait 
en Angleterre, Henri IV ignorait assurément qu'il 
serait contraint de se convertir l’année suivante ; mais 
il avait trop d'esprit pour n'être pas déjà prêt à subir 
cette contrainte. En matière d'orthodoxie religieuse, 
la dignité des particuliers consiste à se raidir, et à 
tout braver, même la ruine, même les’supplices, plutôt 
que d'abjurer ce qu'ils croient, puisque, dit Alzire, 


… Renoncer aux dieux que l'on croit dans son cœur 
Est le crime d'un lâche et non pas une erreur; 


mais le devoir des rois est de céder à propos sur ces 
questions qui viennent après d'autres, et qu'il leur est 
même permis de juger indifférentes. 

À peine revenu d'Angleterre, Aubery fut dépêché 
par le roi vers le duc de Bouillon, en Lorraine. Le 
voyage fut périlleux; le retour le fut davantage; 
assailli près de Compiègne par des ligueurs embus- 


142 IISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


qués, il devait périr en cette rencontre, mais il n’y 
perdit, par miracle, qu'un cheval {4). Il était à Mantes 
en avril 1593, avec le duc de Bouillon, et de cette 
ville il entretenait avec son ancien protecteur, Duples- 
sis, une correspondance assidue. I y avait à Mantes 
une assemblée d'évêques qui pressait Henri de faire 
sa paix avec Rome, ou, du moins, de se convertir et 
d'institucr dans son royaume une église orthodoxe 
qui n'eût point affaire du pape. Le duc de Bouillon, 
encore obstiné dans son calvinisme, s'était donc 
rendu dans cette ville, pour y combattre l'influence 
des princes et des gentilshommes catholiques qui 
conseillaient aux évêques les résolutions les plus véhé- 
mentes. La première lettre d'Aubery que nous offrent 
les Mémoires de Duplessis (2) est du 8 mai. II y a 
dans cette lettre plusieurs passages écrits en chiffres. 
Ce sont, il n'en faut pas douter, les plus intéressants ; 
mais nous ne les comprenons pas. Cette affaire de 
l'abjuration attristait plus encore Duplessis que le duc 
de Bouillon. If écrivait le 25 mai au sieur du Maurier : 
« Je vois un changemeut qui en peut attirer d'autres. 
« Num fastigium putas ? Gradus est. Certes je suis 
« bienaiseden’avoir point été là ‘à Mantes), carilm'est 
« plus aisé de répondre de mon absence qu'il n'eût 
« été de ma présenee (3. » Mais vainement Duples- 


(1) Ouvré, onvr. cité, p. 22. 

(2) Mémoires ct Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris, 
1824, in-8; t. V, p. 410. 

(3) 1bid., p. 429. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 143 


sis et les siens exhortaient Henri, qui leur souriait 
toujours, à persévérer dans sa religion ; la raison 
d'état parlait plus haut que ces vicux serviteurs, et 
déjà le sourire d'Henri voulait dire qu'il était prêt à 
entendre bien des messes pour régner à Paris. 

Sur ces entrefaites le roi, de plus en plus satisfait 
d'Aubery, le prit à son service comme secrétaire ordi- 
naire, aux appointements de quatre cents livres. Cela, 
toutefois, ne le gagna pas au parti de la conversion. 
Une de ses lettres à Duplessis. qui porte la date du 
mois de juin (1), est pleine d’affligeants détails mys- 
téricusement racontés. Nous ne cherchons pas à péné- 
nétrer dans ce dédale de chiffres, de périphrases 
obscures et d'allusions qui ne le sont pas moins. 
Duplessis répondait plus clairement, le 5 juillet, au 
sicur du Maurier : « Nous sommes jà vaincus et jà 
« rendus... Tandis que la guerre avec la Ligue tient 
« encore nos ennemis cn bride et facilite nos condi- 
« tions, visons que ceux desquels la violence a pu 
« forcer l'âme du roi n'aient nos vies à leur discré- 
« tion (2). » Henri signait l'acte de son abjuration 
le dimanche 95 juillet, à Saint-Denis. Duplessis 
vaincu se soumit, sans condescendre aux désirs du 
roi jusqu'à l’approuver ; le duc de Bouillon, avec 
plus d'aigreur, se contenta de déclarer qu'il resterait 
fidèle. Aubery, son discret confident, qui ne pouvait 


(4) Hlémoires et Corresp. de Duplessis-Mornay, 1. V, p. 469. 
(2) Ibid., p. 485. 


444 HISTOIRE LITIÉRAIRE DU MAINE. 


rien, pas même témoigner sa tristesse, s'inclina silen- 
cieusement devant le fait accompli. 

Duplessis, comme le duc de Bouillon, avait tort 
de supposer le roi capable de les livrer à la discrétion 
de leurs ennemis. Mais leurs ennemis étaient encore 
assez puissants dans le pays pour Icur causer de 
légitimes inquiétudes. Il y avait, en effet, bien des 
gens dans le parti catholique à qui l'abjuration du 
roi ne suffisait pas. Le jour même où s'en faisait la 
cérémonie, on annonçait que le duc de Guise avait été 
proclamé roi de France par les Parisiens, et du Mau- 
rier, consterné de cette nouvelle, s’empressait de la 
transmettre de Tours à Saumur à Duplessis-Mor- 
nay (4). Il ne s'agissait pas seulement de contesta- 
tions religieuses, de prêche ou de messe, de présence 
réelle ou de présence figurée : c'était peut-être Île 
principal souci des prêtres, des ministres et des sim- 
ples gens qu'ils endoctrinaient ; mais ce qui intéres- 
sait bien davantage les gentilshommes de l’une. ou de 
l'autre secte, c'était d'occuper seuls les avenues du 
pouvoir, et de posséder sans partage les grands com- 
mandements, les hauts emplois. La paix partout an- 
noncée était loin de leur sourire. Aussi du Maurier, ne 
croyant pas à une longue suspension d'armes, écrit-il 
de Saint-Denys à Duplessis, le 4 août 4593, pour l'in- 
viter à presser l'achèvement des fortifications de Sau- 


1) Mémoires el Corresp. de Duplessis-Mornay, 1. V, p. 498. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 145 


mur (4). Et, dans la même opinion sur l’état des choses, 
Duplessis lui répond le 40 août : « L’insolence croît 
« d'un côté et la patience échappera en quelque endroit 
« de l'autre. [ci non, où je tiendrai le contre-poids 
« tant que je pourrai. » Cependant la contrariété des 
intrigues les rend impuissantes, et bientôt du Maurier 
écrit de Tours à Duplessis pour l’informer de tout ce 
qui lui semble ajourner une nouvelle crise (2). 

Au sein mème du parti protestant, combien de mé- 
comptes et d'agitations et de murmures! Le roi sait 
que Duplessis n'approuve pas son abjuration et veut 
se justifier devant lui. Pressé de venir à la cour, Du- 
plessis se décide enfin à quitter Saumur; mais, afin 
de se mettre d'accord avec le duc de Bouillon, mandé 
dans le même temps et pour la même cause auprès du 
roi, il charge Aubery de lui communiquer une longue 
lettre qui contient un plan de conduite (3). On doit 
croire que le duc de Bouillon, fougueux et querelleur, 
ne suivit pas les conseils de prudence que Duplessis 
croyait devoir lui donner. Il se rendit, en effet, à la 
cour, mais s’en éloigna sur-le-champ, sans informer 
Duplessis de ce qu’il avait dit. Aussi Duplessis, de 
retour à Saumur, faisait-il parvenir à du Maurier deux 
lettres pressantes, à la date du 27 février et du. 
mars, demandant des nouvelles du duc de Bouillon. 


(1) Mémoires ct Corresp. de Duplessis-Mornay, t. V, p. 504, 
(2) Ibid., p. 526. 
(3) Ibid., t. VI, p. 13 et 17. 


146 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE, 


Mais il ne reçut pas immédiatement ces nouvelles. 
Ou du Maurier n'osa pas lui répondre, ou il ne le put, 
ne sachant pas au juste ce qui s'était passé dans l'en- 
trevue du duc et du roi. 

Vers ce temps la correspondance de Duplessis et de 
du Maurier est tout à coup interrompue. Enfin, le 
février 1595, c'est-à-dire près d'un an après avoir 
reçu la dernière lettre de Duplessis, du Maurier, qui 
dans l'intervalle a voyagé de Tours à Sedan, lui donne 
quelques détails sur le mauvais accucil fait au due 
de Bouillon par le roi mécontent, presque irrité. Nous 
n'avons aucune lettre ni de la fin de cette année, 
ni de l’année suivante. Du Maurier étant allé, sur 
le conseil d'un de ses amis, rechercher l'alliance 
d'une honorable fille dans Ja ville de Metz, est fait 
prisonnier par des maraudeurs, au nom du roi 
d'Espagne, et détenu pendant six semaines dans 
le château de cette ville, à la requête et au profit 
d'un rival. On le conduit ensuite, toujours pri- 
sonnier, à Luxembourg, où le comte de Mansfeld 
l'a mandé, voulant connaitre son affaire. Après six 
autres semaines de captivité dans le château du 
Luxembourg, il est enfin délivré, non sans payer 
quelque rançon, à la prière du duc de Lorraine. 
Il revient alors à Sedan oublier l'honorable fille dont 
les maraudeurs espagnols lui défendent l’approche, 
et, tandis que le duc de Bouillon intrigue ou cons- 
pire, prendre soin de sa maison abandonnte, de 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 447 


ses biens mis au pillage et même de sa réputation 
compromise (4). 

Le duc de Bouillon ayant fait contre les Espagnols, 
en Picardie, une campagne malheureuse, sous le 
commandement du duc de Nevers, celui-ci, pour n’a- 
voir pas la honte de la défaite, avait publié contre 
son lieutenant un mémoire accusateur. Cet écrit par- 
tout répandu, le duc de Nevers mourut, et sa mort 
déplorée donna plus de crédit encore à ses griefs. Le 
roi, ne cachant pas qu'il les trouvait fondés, reçut mal 
le duc de Bouillon lorsqu'il revint à la cour présenter 
ses excuses. C'est en de telles circonstances que du 
Maurier rédigea, pour la défense de son maitre, un 
écrit anonyme dont nous avons sous les yeux quelques 
fragments (2). Cette plaidoirie ne parait avoir con- 
vaincu personne. Les gens aigris, quand même l’ai- 
greur ne les pousse pas à commettre de grandes fautes, 
éloignent d'eux tout le monde et n'ont bientôt plus de 
partisans. On a la preuve que Duplessis ne pouvait se 
défendre d'approuver les sévérités du roi à l'égard du 
duc de Bouillon (3). Qui donc pouvait les condamner? 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 52-54, 

(2) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 54 et suiv. N'est-ce pas cet écrit 
qui est désigné par Fevret de Fontette (Biblioth. hist. de lu 
France, t. II, p. 361) sous le titre suivant : Mémoire dela guerre 
au Luxembourg par le duc de Bouillon? Fevret de Fontette 
menticsnne ce Mémoire comme inédit, et c'est d'après l'exem- 
plaire autographe que M. Ouvré a publié quelques pages de 
l'écrit anonyme composé par du Maurier. 

(3) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 41. 


I 6 


148 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Cet écrit achevé, du Maurier retourna près du roi. 
C'est à propos qu'il revint alors à Paris, où son premier 
protecteur, son plus tendre ami, devait bientôt avoir 
besoin de ses services. S’étant rendu dans la ville 
d'Angers, pour prendre part, avec MM. de Schom- 
berg, de Brissac et de Rochepot, à une conférence 
qui devait avoir lieu sur les affaires de Bretagne, Du- 
plessis a été attaqué en pleine rue, en plein jour, par 
une bande d’assassins, à la tête de laquelle se trou- 
vait un sieur Saint-Phal, beau-frère du duc de Bris- 
sac. C'est au sujet de cet attentat que, le 6 décembre 
4597, Duplessis charge Aubery de voir leurs amis 
communs, de parler au roi, et de réclamer prompte 
et bonne justice (4). Nous avons une lettre d'Aubery 
à Duplessis qui porte la même date que la précé- 
dente (2). I a fait toutes les démarches sur le résultat 
desquelles Duplessis l’interroge : le roi et tous les 
courtisans sont d'autant plus indignés que le duc de 
Brissac est suspect d'avoir armé le bras de l'assassin. 
Mais comment Duplessis obtiendra-t-il une répara- 
tion suffisante ? Son avis est que l'affaire doit être 
portée devant le grand conseil, et il prie du Maurier 
de consulter à ce sujet le célèbre Antoine Arnauld (3). 
Dans une autre lettre, du 25 décembre, Duplessis 


(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris, 
18 septembre 1593, 1. VI, p. 445. 

(2) Ibid., p. 45. 

(3) Ibid., p. 460. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 449 


annonce à son ami qu'il est prêt à employer la force, 
s’il le faut, pour atteindre le meurtrier, que le duc de 
Brissac à, dit-on, mis en liberté (14). Du Maurier écrit, 
le 7 janvier 14598, qu'il a visité de nouveau les per- 
sonnes avec lesquelles il importait de s'entendre; 
qu'elles sont toutes fort animées contre Saint-Phal et 
ses complices ; que les gens du conseil se prononcent 
énergiquement (2). Cependant Duplessis renonce à 
cette poursuite criminelle ; il ne demande plus qu'une 
réparation en présence du roi et des maréchaux de 
France (3). Du Maurier préférerait que cette réparation 
fût refusée, et que Saint-Phal, absent ou présent, fût 
condamné par le grand conseil (4). I] pense, d’ailleurs, 
que Duplessis a le droit de faire arrêter Saint-Phal 
partout où l'on pourra le rencontrer (5). Mais les amis 
du duc de Brissac sont puissants à la cour, et, s'ils 
condamnent la conduite de Saint-Phal, ils s'efforcent 
d’atténuer la gravité de l’offense commise, en don- 
dant l’auteur pour un étourdi, pour un jeune homme 
sans expérience, qu'il ne faut pas flétrir, mais sim- 
plement admonester. C’est pourquoi du Maurier écrit 
bientôt à Duplessis que le roi ne paraît plus si cour- 
roucé contre le coupable (6). 


(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay, 1592, 
t. VII, p. 473. 

(2) Ibid., p. 496. 

(3) Ibid., p. 514. 

(4) Ibid , p. 518. 
) Ibid., p. 521. 
) 


Ë 
(6) Ibid., p. 524 et 558. 


150 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Duplessis ne doit pas tarder à connaître par lur 
même ce que le roi pense de son affaire, puisqu'au mois 
de mars le roi vient le trouver en [a ville d'Angers. 
Les Mémoires de Madame Duplessis-Mornay nous 
apprennent que, durant son séjour au château d'An- 
gers, Henri dit aux maréchaux de France de commen- 
cer la procédure contre Saint-Phal et leur commit le 
soin de décider dans quelle forme une réparation 
serait faite à l'honneur de son vieux camarade (1). 
Le 43 juin, Duplessis étant de retour à Saumur, Aubery 
lui fait savoir que Saint-Phal a juré dese rendre à l’as- 
signation des maréchaux (2). Deux autres lettres d'Au- 
bery, du 2 et du 22 août, aveñtissent Duplessis qu'il 
doit, suivant les ordres du roi, se rendre au château de 
Buhy et y demeurer jusqu’au jour où Saint-Phal sera 
mené devant lui repentant et suppliant (3). Il y de- 
meura quelque temps, dans une vaine attente, et fut 
ensuite prié de venir à Paris. Voici la fin de cette 
longue négociation relative à l'attentat d'Angers. 
Saint-Phal fut conduit à la Bastille le 42 janvier 
4599. Le lendemain il parut devant le roi, sans armes, 
introduit par le capitaine des gardes. Les maréchaux 
ayant déclaré que « la qualité de Poffense avait rendu 
« Saint-Phal incapable de venir en combat avec le 


(1) Mémoires de Madame Duplessis, p. 332. 
(2) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay, t. IX, 
p. 30. 

(3) Ibid., p.126 et 137. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 451 


«sieur Duplessis, » celui-ci ne refusa pas d'accorder un 
pardon qui lui était demandé dans les termes les plus 
respectueux, et le roi fit ensuite au coupable une 
sévère remontrance (1). 

Ainsi du Maurier mène à la cour une vie très-occu- 
pée. [Test le résident du duc de Bouillon, avec lequel 
il entretient une active correspondance ; il y rend à 
Duplessis tous les services que celui-ci peut attendre 
de l'ami le plus zélé ; il y est aux ordres du roi, qui 
le charge de missions ou publiques ou secrètes ; de 
plus il y rédige des écrits en faveur de la cause qui 
lui semble, à bon droit, la meilleure, la cause de la 
paix. Ainsi en l'année 4598 il publie un Discours sur la 
paix accordee par le roi au roi d'Espagne (2), qui 
contient un éloge pompeux d'Henri IV. Cela nous 
prouve qu'il ne négligeait pas non plus de prouver 
son mérite et d'en faire parler. A la cour d'Henri IV 
il n'y avait pas un meilleur moyen de parvenir. 

Son Discours ayant donc été remarqué, du Mau- 
rier supposa que le roi devait en être satisfait, et, 
comme il nese plaisait pas beaucoup au service du 
duc de Bouillon, il sollicita bientôt, quand l'occasion 


(1) Mémoires de Madame Duplessis, p. 340. 

(2) On ne connaissait pas l’auteur de ce discours anonyme, 
inséré dans le tome VI des Mémoires de la Ligue, p. 617. Mais 
Aubery déclare lui-même qu'il est de sa plume. C’est un ren- 
seignement qui nous est fourni par un Journal manuscrit que 


nous avons déjà cité, que nous citerons encorc plus d’une fois 
d'après M. Ouvré. 


152 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


s'en offrit, une charge de finances dans le cabinet du 
roi. Mais Duplessis, qui l'aurait volontiers recom- 
mandé, doutait trop de son crédit pour le faire, et le 
duc de Bouillon, qui ne s'employait jamais pour les 
autres, lui refusa froidement sa protection. L'emploi 
vacant ne lui fut pas donné. Il en eut du ressentiment 
contre le duc. S'il forma déjà le dessein de le quitter, 
il tarda trop à l'exécuter. Quand on aspire aux char- 
ges des cours, on ne doit pas demeurer longtemps 
aux gages d'un maître qui ne veut pas vous être utile ; 
la prudence conseille même de le fuir au plus vite, 
quand on voit ce personnage inofficieux s'engager, pour 
sa part, dans un chemin où l'on estime qu'il se perdra. 
Or, il était déjà facile au courtisan le plus inattentif 
de reconnaître que le duc de Bouillon n’avait plus la 
confiance du roi, el les motifs de sa disgrâce devaient, 
pour le moins, être soupçonnés par un chargé d'affai- 
res qui était presque un confident. 

Du Maurier continue à suivre la cour. Nous le 
retrouvons en l’année 1600 avec le roi qui va guer- 
royer en Savoie. Il assiste, le 16 octobre, ausiége de 
Montmelian; le 26 novembre il est à Lyon, et, au 
mois de décembre, à Chambéri (4). Étant dans cette 
ville, le roi l'avertit à mots couverts que le duc de 
Bouillon conspire avec le duc de Biron et le comte 
d'Auvergne. C'est un roi de belle humeur qui, pour 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 64, 67. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 153 


n'avoir pas à châtier un coupable, le fait prévenir que 
sa conspiration est éventée. Cependant les menées des 
mécontents deviennent plus actives, plus menaçantes. 
Le duc de Biron arrêté, du Maurier écrit à son mai- 
tre, l'entretient des défiances du roi, et lui donne de 
prudents conseils (1). Ces conseils ne sont guère 
écoutés : néanmoins le duc se laisse enfin persuader 
qu'ilne peut se mettre en révolte et engager une lutte 
ouverte; il faut donc qu’il se justifie, ou que, par des 
aveux et des marques de repentir, il mérite son par- 
don. Mais le duc savait bien que sa justification était 
difficile et il avait trop d'orgueil pour solliciter l’ou- 
bli de sa faute ; il était d’ailleurs, par nature, trop 
artificieux, et, dans la circonstance présente, trop 
troublé, trop irrésolu, pour suivre le plus droit che- 
min. Ayant fait promettre au roi, par du Maurier, 
qu'il ne tarderait pas à venir à la cour, il changea 
d'avis, et, quand le roi l’attendait, il écrivit qu'il 
se rendait non pas à Fontainebleau devant le roi, 
mais à Castres devant ses juges, comme étant déjà 
publiquement accusé. Ayant reçu cette dépêche, du 
Maurier se hâta de la porter au roi, qui n’en fut pas 
satisfait. Les secrétaires d'état aussitôt mandés, l’ar- 
restation de du Maurier fut conseillée. Cependant il 
demeura libre : le roi qui, comme s'exprime madame 
Duplessis-Mornay, « le connaissait nourri de la 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 73. 


154 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


«main (4) » d'un de ses plus fidèles serviteurs, Du- 
plessis, le roi garantit lui-même sa loyauté, et non-seu- 
lement il refusa de le laisser mettre au nombre des 
accusés, mais, pour lui donner un témoignage de sa 
confiance, ille chargea, quelques jours après, d'aller 
demander à Duplessis le parti qu'il convenait de 
prendre à l'égard du duc de Bouillon. Il était impos- 
sible de lui confier une mission plus délicate. Du- 
plessis fit au roi, par écrit, une sage réponse. Il lui 
recommanda d'instruire l'affaire, de recueillir des 
preuves, avant d'avoir mauvaise opinion d'un per- 
sonnage aussi considérable, et, en tout cas, de pro- 
céder à son égard avec la réserve commandée par les 
circonstances. Mais cet avis ne fut pas écouté. Henri 
ne savait pas supporter une offense. Sa modération 
l'abandonnait quand 1l voyait quelqu'un se dresser 
devant lui avec l'attitude de la révolte. L'ordre étant 
donné de le poursuivre et de le conduire prisonnier 
devant le roi courroucé, le duc de Bouillon gagna 
prudemment la frontière du royaume et s’exila. 

Au mois d'avril 4603, le duc s'étant retiré chez le 
landgrave de Hesse, du Maurier l'alla trouver, avec la 
permission du roi, pour s'entendre avec lui sur le 
réglement de ses dettes, qui étaient considérables. 
Leur entrevue fut très-froide ; ils se séparèrent mécon- 
tents l’un de l’autre, et, quand ils furent séparés, du 


(1) Mémoires de Mâdame Duplessis, p. 417. 


 — 
ne ne 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 455 


Maurier apprit avec douleur que sur de faux rapports 
le duc l’accusait de trahison, Ils se réconcilièrent à 
peu près au mois de mars 1604, quand Rosny lui- 
même, autrefois adversaire passionné du duc de 
Bouillon, ayant appris qu'il était de retour à Sedan, 
chargea du Maurier d'aller lui faire certaines proposi- 
tions d'accommodement. Cependant celui-ci ne fut 
pas plus heureux dans sa négociation que ne l'avait 
été La Trémouille, précédemment envoyé par le roi. 
On avait de part et d'autre tant d’aigreur et tant de 
méfiance qu'on ne pouvait s'entendre ni par lettres ni 
par ambassadeurs. Un accord ne fut signé que sous les 
murs de Sedan, lorsque le roi vint lui-même assiéger 
cette place, où le duc s'était fortifié. 

Cette grande affaire étant terminée, du Maurier 
vint trouver le duc, pour lui déclarer qu'il ne croyait 
pas devoir plus longtemps rester au service d'un 
maître qui avait douté de sa fidélité. Cette résolution 
prise, au mois de juin 4606 (1), du Maurier revint en 
ses terres d'Anjou. L'année suivante, comme il était à 
Paris et se promenait en oisif dans cette ville embellie, 
observant les constructions nouvelles de la rue Dau- 
phine, le roi, qui venait visiter les mêmes travaux, le 
reconnut, le pria d'approcher et lui fit l'offre d'un 
emploi. Il s'agissait d’être à Paris le correspondant du 
sieur de Buzanval, ambassadeur en Hollande, et de 
présider à l'expédition du subside annuellement fourni 


(4) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 147. 
LG" 


156 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


par la France aux Provinces-Unies. C'était un emploi 
modeste. Du Maurier l'accepta, ne pouvant le refuser 
au roi qui l'offrait. [l trouva dans Buzanval un supé- 
rieur bienveillant. Mais, Buzanval mort, de Russy, 
qui lui succéda, fut d’une humeur contraire. Ayant 
connu du Maurier chez le duc de Bouillon et ne l'ai- 
mant pas, il s’efforça de l'éloigner (4). Il n'y réussit 
pas. La douce gravité de du Maurier plaisait au roi, 
et il était d'ailleurs aimé des ministres parce qu'il était 
laborieux, docile et honnête. Villeroy fit savoir à 
de Russy que, malgré lui, du Maurier serait main- 
tenu dans sa charge. En effet il la conserva, même 
lorsqu'il fut pourvu d’une autre où il rencontra plus 
d'occasions de faire connaître et son mérite et sa 
droiture. 

Il avait, en l’année 1599, écrit en forme de Lettre 
un discours critique sur l'administration de Sully. II 
félicitait ce ministre vigilant de sa fermeté, mais en 
blâmant sa rudesse. I] l'aurait voulu non moins impla- 
cable à l'égard des fripons, mais de plus facile accom- 
modement à l'égard des gens de bien dont on n'avait 
pu régulièrement, au temps passé, compenser les dom- 
mages et rétribuer les services. Cette Lettre avait été 
faite pour être lue par des amis et ne devait pas être 
publiée ; mais les amis auxquels du Maurier l'adressa 
la jugèrent, à bon droit, écrite avec beaucoup de con- 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 148. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 1457 


venance, et ils en firent des copies qui circulèrent (1). 
Une de ces copies vint-elle aux mains de Sully ? C'est 
ce qu'on ignore : quoi qu'il en soit, au mois d'oc- 
tobre 1607, Sully nomma du Maurier contrôleur 
général des comptes, avec trois mille livres de gages. 
Cette fois encore il n'avait rien demandé : le ministre 
l'avait choisi, le roi l'avait sur-le-champ agréé. Il 
arrivait donc enfin à la fortune, et par le chemin qui, 
s'il n'est pas le plus court, est le plus facile. Les gou- 
vernements, même les moins honnêtes, n'ont-ils pas 
besoin des honnêtes gens? 


Le 1% janvier 1608, du Maurier était chargé par 
ses collègues au département des finances de présenter 
à Sully le compliment annuel. On a ce compliment 
qui est, suivant le goût du temps, d'un style très- 
pompeux. 11 plut à l’auteur, puisqu'il le traduisit lu- 
même en vers (2). Il plut assurément à Sully, puisqu'il 
fit cet honneur à du Maurier, le 5 novembre de la 
même année, d'être parrain d'un de ses fils et de lui 
donner son nom de Maximilien. On peut encore 
supposer que si le roi le gratifia, les années suivantes, : 
de sommes considérables et d'un emploi de secré- 
taire dans sa maison, il n'obtint pas coup sur coup 


(1) Nous lisons des fragments étendus de cette lettre inédite 
dans le livre de M. Ouvre, p. 152etsuiv. Le manuscrit original 
est à la bibliothèque de Poitiers. 

(2) Il ga un long extrait du compliment en prose dans le 
livre de M. Ouvré, p. 159 et suiv. 


158 | HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


tant de faveurs sans la recommandation ou l'approba- 
tion de Sully (1). 

Sept lettres de Duplessis à du Maurier, du 22 juin 
#607 au 24 novembre 4609 (2), ne nous font rien 
connaître d'important. Îl faut qu'il y ait eu, vers cette 
époque, quelque refroidissement entre les deux amis, 
ou bien que les fonctions confiées à du Maurier ne lui 
aient pas permis de continuer ses ?ntimes confidences 
avec un homme que tant de gens s’efforçaient de 
perdre dans l'esprit du roi. Ce qui nous ferait admettre 
la supposition d'un désaccord, c'est que la première 
lettre adressée à Duplessis par du Maurier, après un 
silence d'environ trois années, n’est plus écrite sur le. 
même ton que celles d'autrefois. Du Maurier appelle 
Duplessis « Monseigneur ; » il ne lui parle pas avec 
liberté, avec abandon, mais avec une gravité senten- 
tieuse, presque pédante; il ne lui demande plus des 
ordres, mais lui donne presque des conseils. Et com- 
ment ces conseils sont-ils accucillis par Duplessis ? 
Assez mal. Ils ne s'entendent plus, ils usent l'un à 
l'égard de l’autre de réticences calculées, ils dissertent 
longuement sur la situation des esprits, sur les cir- 
constances, sur la conduite qu'il faut tenir, comme 
des gens qui ne marchent plus dans la même voie et 
qui ont besoin de se justifier réciproquement (3). L'un 

(4) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 165. 
(2) Mémoires el Correspondance, t. X, p. 206, 208, 211, 214, 


959, 365, 438. 
(3) Ibid. t. XI, p. 388 et 389. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 159 


des deux, en effet, vit toujours dans son château de 
Saumur, retiré des affaires et ne s'occupant que de 
veiller sur les intérêts de l’église dont il est vraiment 
le tuteur et le chef. L'autre a témoigné moins de ran- 
cune aux vétérans du parti de la ligue, et, sans faire 
le sacrifice de ses croyances, il n’a pas heurté celles de 
la secte dominante; il vit à la cour et c'est un homme 
en crédit, qui a plus de désirs que de regrets. Voilà 
des positions bien différentes. 

La mort tragique d'Henri IV fut une catastrophe 
pour quiconque n'aspirait pas, en France, après de 
nouveaux désordres. Dans une pièce de vers qu'il 
composa sur ce désastreux événement, du Maurier, 
s'adressant à Ravaillac, lui disait : 


Mais tu n’as seul commis cet horrible forfait ; 


et il lui donnait pour complices les dévots, les Jésui- 
tes (4). Cependant la reine laissa les Jésuites en paix et 
n'inquiéta que les plus constants amis du roi. Sully 
fut un des premiers qu'elle priva de sa charge, et du 
Maurier, ne songcant pas même à défendre la sienne 
contre les protégés du tout-puissant Concini, fit avec 
Sully prompte retraite. 

Il revint en Anjou, résolu, dit-il, ayant dès sa jeu- 
nesse aimé la vie des champs (2), à passer désormais 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 166. 
(2) Ibid., p. 169. 


160 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


loin de Paris sept ou huit mois de l’année. S'il prit 
cette résolution, ce qu'il est permis de ne pas croire, 
il rentra facilement aux affaires lorsqu'il y fut rappelé 
par Villeroy. Il est vrai que Villeroy lui proposait 
l'ambassade des Provinces-Unies. Or, quand du Mau- 
rier s’estimait le plus en faveur, son ambition n'allait 
pas au delà de cette ambassade, et on venait le prier 
de l’accepter quand il devait s'estimer en pleine dis- 
grâce ! Il permit donc à Villeroy d'accepter en son 
nom. | 
Alliée du comte Maurice, prince d'Orange, lorsqu'il 
était en guerre avec les Espagnols et les Flamands, la 
cour de France avait entretenu dans son armée plu- 
sieurs corps de troupes et s'était intéressée vivement 
au succès de toutes ses entreprises. Comme on avait 
aussi la paix, au même temps, dans les autres états de 
l'Europe, la noblesse de France, d'Angleterre, d'Alle- 
magne, d'Italie, s'était donné rendez-vous sur ces 
champs de bataille où le prince Maurice et le marquis 
de Spinola, général des armées d'Espagne, se livraient 
de si brillants combats et donnaient de si belles lecons 
de stratégie aux plus habiles capitaines. Mais plus 
nombreux que tous les autres avaient été les gentils- 
hommes français, qui, n'ayant pu s’accoutumer au 
repos des armes, étaient venus prendre du service 
pour leur compte personnel sous les drapeaux de 
Maurice. La France avait donc été, pendant la guerre, 
la nation la plus engagée dans les affaires des Pro- 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 161 


vinces-Unies ; aussi jouissait-elle, depuis la paix, 
d'une prépondérance reconnue et enviée dans le con- 
seil de ces Provinces, où, selon les traités, siégeait 
son ambassadeur. 

Villeroy ne pouvait donc confier ce poste difficile 
qu'à un homme expérimenté. Après Jeannin, qui s'y 
était signalé, Henri IV y avait placé de Buzanval, de 
Russy, dont il avait eu plusieurs fois à se plaindre, et 
la reine Marie le sieur de Reffuge, qui, se défiant de 
lui-même, demandait son rappel. Le choix de son 
successeur était un embarras. Aertsens, qui représen- 
tait à Paris les États confédérés, recommandait vive- 
ment le sieur de Villarnould, gendre de Duplessis- 
Mornay (1). Celui-ci, ne voulant rien solliciter, pour 
n'être, dans une cour ennemie, l'obligé de personne, 
laissait d'autres parents conduire cette intrigue dans 
l'intérêt de son gendre (2). Si Villarnould n'avait 
pas la pratique des affaires, on le disait modéré dans 
son parti ; mais Duplessis, qui ne l'était pas, pouvait 
le dominer ct l'entraîner. Du Maurier convenait mieux 
à Villeroy. Ayant depuis longtemps un commerce de 
lettres avec cette ambassade, il connaissait les secrètes 
menées de son gouvernement dans les assemblées des 
Provinces, dans le conscil général de la confédéra- 
tion, et les encouragements intéressés qu'il avait 


(1) Mémoires et Corespondance de Duplessis-Mornay, t. XIT, 
.p. 123. 
(2) 1bid., p. 139. 


162 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


donnés à l'ambition du comte Maurice et les 
démarches aussi peu sincères qu'il avait faites pour 
calmer l’ombrageuse défiance de Barnevelt. Marie de 
Médicis voulait-elle suivre la politique du règne pré- 
cédent ou ne la pas suivre? Personne n'était plus pré- 
paré que du Maurier à voir les avantages et les incon- 
vénients de l’une et de l’autre conduite. Il s'était 
d'ailleurs toujours signalé dans les contestations reli- 
gieuses par la réserve de son langage, et il n’était pas 
homme à trahir ses devoirs d'ambassadeur pour obéir 
aux injonctions d’un chef de secte. À son grand dépit, 
Aertsens eut le dessous dans cette affaire : Villar- 
nould, son candidat, fut écarté, et du Maurier partit 
pour La Haye au mois de mai de l'année 1613, 
avec le titre de secrétaire. Villeroy n'avait pas osé 
le nommer tout d'abord ambassadeur, quoiqu'il füt. 
suivant Jeannin (1), « bien fort habile homme, » parce 
qu'il était de petite noblesse et n'avait pas encore 
occupé de hauts emplois. 

Aertsens ne tarda pas à l'aller rejoindre. C'était un 
homme plus rusé qu'honnête, qui avait peu de crédit, 
mais dont on redoutait les intrigues. Ayant fait savoir 
à la reine-mère qu'il retournait en Hollande pour 
prendre soin de sa santé et de ses affaires particu- 
lières, il reçut, à son départ, suivant l'usage, un pré- 
sent considérable, un service de vermeil de la valeur 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 203. 


BENJAMIN AURERY BU MAURIER. . 463 


de quinze mille livres. Comme on était fort aise d'être 
délivré d’un tel fourbe, même à ce prix, on écrivit 
aussitôt de Paris à La Haye, pour annoncer son départ 
ét pour inviter les États à lui désigner un successeur. 
Du Maurier fut chargé de faire cette demande. Mais 
Aertsens n'avait pas eu l'intention de quitter son 
emploi ; il avait simplement voulu se faire donner le 
présent d'adieu, et, comme l'audace ne lui manquait 
pas, il jura qu'il avait pris congé de la reine-mère en 
lui annonçant un prochain retour, et prétendit faire 
passer pour des imposteurs et le secrétaire de l'am- 
bassade française et le ministre Villeroy. 11 se pré- 
senta même aux États et y prononça le plus véhément 
discours, disant quil avait pour ennemis, en France et 
ailleurs, tous les traîtres, agents secrets de l'Espagne, 
qui travaillaient à rétablir les Provinces-Unies sous le 
joug du pape, mais qu'il observait leurs pratiques 
et ne tarderait pas à les démasquer. Ces débats 
ne se terminèrent pas à l'avantage d'Aertsens. Une 
lettre de la reine-mère vint confirmer les dires de du 
Maurier, et celui-ci dénonça, le 143 novembre 1613, en 
pleine assemblée des États, les honteuses manœuvres 
de cet agent diplomatique, qui avait poussé le mépris 
des convenances jusqu'à séduire à prix d'argent le 
secrétaire de l'ambassade française, et avait obtenu 
par ce moyen la communication des papiers les plus 
importants. Aertsens, publiquement repoussé par 
Barneveldt, qu'il n'avait pu duper par ses fourberies, 


164 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


fut enfin abandonné par la majorité des votants et il 
eut pour successeur, dans sa charge, le baron de 
Languerach (1). 

Il se promit bien de perdre un homme qui l’avait si 
peu ménagé. Comme il était bien vu du prince Mau- 
rice, dont il avait servi la cause durant les troubles, les 
parents, les amis que ce prince avait à la cour de 
France firent alors courir les plus méchants bruits 
sur le compte de du Mauricr. Pour leur répondre et 
les décourager, Villeroy s'empressa de lui conférer le 
titre d'ambassadeur, le 6 mars 4614 (2). Du Maurier 
parvint même à se réconcilier l'esprit chagrin du 
prince Maurice par l'assiduité de ses bons offices ; à 
quoi l'aida beaucoup la belle-mère de ce prince, 
Louise de Coligny, qui, française d'esprit et de 
mœurs, goûtait particulièrement son caractère aimable 
et loyal. Parmi les témoignages d'estime qu'il reçut 
de cette princesse il en est un que nous ne devons pas 
omettre de rappeler. En l'année 14614 une fille naquit 
à du Maurier ; Louise de Coligny voulut être la mar- 
raine de cet enfant, qui eut pour parrains « MM. les 
« États-Généraux » représentés au baptême par Olden 
de Barneveldt (3). 

Les États avaient fort à cœur d’être en de bons 


(1) Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande, par Louis 
Aubery, p. 380 et suiv. 

(2) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 219. 

(3) 1bid., p. 198. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER, 465 


termes avec l'ambassadeur français. Ce n'était pas 
seulement, à leurs yeux, le représentant d'une puis- 
sance amie ; c'était encore le personnage le plus con- 
sidérable de tous les résidents étrangers. Outre Îles 
gages de sa charge et les pensions qu'il avait de la 
cour, Aubery touchait encore vingt-quatre mille livres 
par an, comme intendant des finances françaises en 
Hollande. On lui faisait de grands honneurs, et les 
princes eux-mêmes n'avaient pas son train : « Les 
«hivers, La Haye était toute pleine de seigneurs et de 
«gentilshommes français, qui ne manquaient pas, pour 
«honorer le roi en la personne de son ministre, de l'ac- 
«compagner à l'audience de MM. les États-Généraux, 
«quand il y allait ; et comme on n’eût pu fournir assez 
«de carrosses pour deux ou trois cents gentilshommes et 
«officiers qui s'y trouvaient quelquefois, l'ambassadeur 
«allait à pied à la tête de cette belle troupe, et son 
«carosse suivait tout vide. Si cette ambassade était 
«honorable, aussi obligeait-elle à de grandes dépenses, 
«car il fallait souvent régaler cette nombreuse noblesse; 
«mais on était bien payé pour cela (1).» Il arriva même 
à du Maurier, en l’année 4615, de traiter plusieurs 
fois Philippe de Nassau, prince d'Orange, et la prin- 
cesse sa femme. Par la réception qu'il leur fit il 
gagna leurs bonnes grâces, et, comme il était mal 
servi près de la reine-mère par ceux des courtisans 


(1) Mém. pour servir à l'Hist. de Hollande, p. 192. 


466 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


qui convoitaient son emploi et par ceux qui poursui- 
vaient en lui l’ancien secrétaire du duc de Bouillon, 
les autres le calviniste refroidi, il lui fut très-utile 
d'avoir mérité l'affection de Philippe de Nassau (1). 

Si, comme on le voit, la maison d’Aubery était fré- 
quentée par les princes, par les plus hauts dignitaires 
des Provinces-Unies, elle était aussi le lieu de rendez- 
vous des plus doctes personnages. Quand Grotius 
venait à La Haye, il n'oubliait pas d'aller saluer l’am- 
bassadeur du roi de France et lui rendre les hon- 
neurs dûs à son rang, tandis que celui-ci se montrait 
fort jaloux d'être compté parmi les familiers de 
l'illustre syndic de Rotterdam. Les relations de Gro- 
tius et d'Aubery commencèrent dès l'année 1614 : 
elles furent bientôt très-intimes. Dans la collection 
des Lettres de Grotius on n'en lit pas moins de 
quatre-vingt-sept qui sont adressées à l’ambassa- 
deur français. La première, qui porte la date du à 
juin 4614, a pour objet la mort d'un des enfants 
de du Maurier ; dans la seconde, qui est extrêmement 
curieuse, Grotius répond longuement à son ami, qui lui 
avait demandé un plan des études que doit faire un 
ambassadeur. Cette correspondance ne peut manquer 
d'avoir pour nous beaucoup d'intérêt. 

Nous y voyons d'abord qu'en l’année 1615 les 
affaires des Provinces-Unies, si graves qu'elles fussent, 


(1) Mémoire pour servir à l'Hisloire de Hollande, p. 208. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 167 


occupaient encore moins du Maurier et Grotius lui- 
même que les tristes nouvelles reçues de France. 
En effet, il y avait alors, en France, de grands 
tumultes. Mécontents de voir la cour incliner vers 
l'Espagne, et d'ailleurs très-jaloux de recouvrer des 
priviléges qu'ils s'étaient laissé ravir sous le règne 


précédent, les princes et les ducs venaient de former 


dans l'état un parti redoutable, et sollicitaient au 
dehors, surtout dans les pays protestants, des troupes 
et des armes. Ayant appris que des officiers français 
au service des Provinces-Unies se disposaient à fran- 
chir la frontière, pour aller se ranger sous les dra- 
peaux des princes confédérés, et que des navires 
chargés d'armes étaient dirigés vers la France, du 
Maurier fit arrêter les officiers et saisir les vaisseaux. 
Du côté des princes étaient ses coreligionnaires, ses 
amis, ses protecteurs; du côté de la reine-mère 
étaient les gens dont il redoutait le crédit, dont il 
condamnait les tendances réactionnaires et desquels 
il ne pouvait attendre aucun service; mais il était 
ambassadeur de la cour de France, et il s'agissait de 
protéger l'état contre des entreprises factieuses : il 
n'hésita pas à remplir son devoir. Les agitateurs lui 
gardèrent rancune de cette conduite : durant les 
troubles ils envoyèrent quelques pillards dans son 
château de la Fontaine-Dangé et ce domaine fut 
dévasté (4). La reine-mère et le roi lui écrivirent à 


(1) Mém, pour servir à l'Hist, de Holl., p. 209. 


LE 


PS DS Ce sn AN 


168 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


ce sujet et eurent à cœur de réparer, autant que faire 
se pouvait, par une compensation pécuniaire, le dom- 
mage qu'il avait éprouvé (1). Philippe d'Orange prit 
sa défense auprès des seigneurs protestants. Le prince 
Maurice lui-même se montra jaloux de témoigner en 
sa faveur, et quand, après la conclusion du traité de 
Loudun, il éerivit à Villeroy pour le féliciter d’avoir 
apaisé les troubles, il s’exprima dans ces termes au 
sujet de du Maurier : 

« Monsieur, à mon retour de Zélande, sur l'invita- 
« tion faite par M. du Maurier, ambassadeur du Roi, 
« pour le rétablissement des officiers des troupes 
« françaises en leurs charges, j'ai tenu la main à ce 
« qu'il y ait été pourvu au contentement de Leurs 
« Majestés, Messieurs les États en ayant pris la réso- 
« lution, dont l'acte sera exécuté. Au reste, je me 
« suis grandement réjoui que les troubles du royaume 
« aient été si heureusement apaisés..…. Quoique le 
« bon soin et devoir que ledit sieur ambassadeur a 
« rendus pour s'acquitter dignement des commande- 
« ments de la Reine parlent assez d'eux-mêmes, si 
« dois-je rendre ce témoignage à ses comportements 
« qu'ils ont été tels que Leurs Majestés en ont été 
« Jloyalement et utilement servies, sans qu'il ait donné 
« aucun juste sujet de plainte à qui que ce soit, ayant 
« conduit avec honneur, modestie et respect, toutes 


(4) Mémoire pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 219 et suiv. 


a 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER: 169 


« ses actions qui nous sont bien connues : ce que je 
« vous dis pour certaines assurances que, s'il avait 
« été fait d'autres rapports pour lui nuire, on y 
« aurait fait grand tort à son intégrité et bonne dis- 
« crétion, Messieurs les États et nous tous étant plei- 
« nement satisfaits de ses procédures en l'égard de 
« tous, et croyant que Leurs Majestés ne pourraient 
« user par deçà du ministère d'aucun autre. qui leur 
« fût plus utile et fidèle, ni plus agréable à cette 
« République (1). » 

Du Maurier s'employa constamment, durant l'an- 
née 4616, à maintenir les bons rapports des États et 
de la France. C'était chose difficile : à combien de 
désaveux était condamné cet ambassadeur, qui devait 
successivement justifier, dans l'assemblée d’un peuple 
libre, toutes les variations d’une politique tour à tour 
pusillanime et téméraire, dont on ne suspectait pas 
moins les concessions que les coups d'état! Mais il 
était aidé par Barneveldt, ami sincère de la France, 
qui, sans excuser la mauvaise conduite d'un gouver- 
nement inhabile et troublé, le défendait comme le seul 
‘allié de son pays qui fût vraiment désintéressé. L'as- 
sassinat du maréchal d’Ancre faisant prévoir un chan- 
gement nouveau dans la politique française, du Mau- 
rier forma le projet de venir à la cour. À l’occasion de 
ce voyage, Grotius lui écrivait, le 24 novembre 1616 : 


(1) Mém. pour servir à l'Hist, de Holl., p. 239. 


470 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« Quoique votre présence à La Haye nous soit bien 
« utile, et me soit particulièrement fort agréable, je 
« ne m'opposerai pas à votre départ : je sais que là-bas 
« vous serez assez Français pour rester l'ami des Hol- 
« landais: bien mieux, que vous y serez d'autant plus 
« Français que vous vous montrerez mieux disposé 
« pour la Hollande. » Il partit pour la France le 
22 juin 1617, fut reçu par le roi qui le remereia de 
ses bons services, et alla faire dans ses terres un séjour 
de quelques semaines. Puis il reprit assez vite le che- 
min de La Haye, en passant par Saumur et par Paris. 
De graves événements le rappelaient à son poste. 
Depuis longtemps les membres les plus considé- 
rables des États et le prince Maurice étaient en 
désaccord et formaient deux partis. Quoique plus zélé 
pour les affaires de sa maison que pour celles de la 
république, Maurice s'était concilié par d'habiles 
intrigues l'affection du menu peuple ; dissimulant les 
visées de son ambition, il s'était fait accepter, en 
armant toujours contre l'Espagne, pour un ardent 
patriote, et, en parlant mal des principaux magistrats 
des Provinces, pour un démocrate convaincu. À Ja 
tête du parti qui se préparait trop mollement à le 
combattre et qui pourtant lui suscitait chaque jour 
quelque obstacle nouveau, se trouvait Jean d'Olden 
Barneveldt, avocat général de la province de Hol- 
lande, vieillard austère, grand citoyen, que recom- 
mandaient à la fois et ses vertus et ses services. Après 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 171 


beaucoup d’escarmouches, de retraites, de brouilles 
et de raccommodements, les deux partis se déclarèrent 
enfin en lutte ouverte à l'occasion de la controverse 
engagée entre Arminius et François Gomar, au sujet 
de la prédestination et de la grâce. Avec Barneveldt 
les plus distingués des membres des États se pronon- 
cèrent pour la doctrine d'Arminius, c'est-à-dire pour 
la plus libre interprétation de la doctrine chrétienne ; 
le prince Maurice et ses partisans firent profession 
d'être gomaristes, c'est-à-dire conservateurs acerbes 
de la tradition calviniste. Leurs débats religieux ayant 
excité dans les sept provinces la plus vive efferves- 
cence, du Maurier fut chargé par la cour de France 
d'intervenir entre les belligérants et d'amortir ces 
dissentiments fâächeux (1). Il ne put y parvenir, et, le 
29 août 1618, le prince Maurice, ne prenant conseil 
que de son ambition et de ses rancunes, fit arrêter 
Barneveldt, Hoogenberts, Leydenberg, Grotius et 
quelques-uns de leurs principaux adhérents. 
Barneveldt et du Maurier s'étaient rendu des ser- 
vices mutuels, et 11 y avait entre eux une conformité 


(1) Mém. pour servir à l’Hist. de Holl., p. 334. Dans un manu- 
scrit de la Bibliothèque impériale, provenant de l’abbaye de 
Saint-Germain-des-Prés (n° 192 de Saint-Germain), on lit un 
Mémoire instructif baillé à M. du Maurier, ambassadeur du 
roi, retournant en Hollande, en octobre 1617. Ces instructions 
portent que le sieur du Maurier s’abstiendra d'intervenir dans 
les affaires intérieures des Etats, si ce n’est pour apaiser les dif- 
férevds survenus. 


6°* 


179 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de caractère qui avait contribué beaucoup à reserrer 
des liens formés par les circonstances. Tous les histo- 
riens ont loué les éminentes qualités de Barneveldt ; 
voici le portrait d'Aubery du Maurier, tracé par 
Charles Ancillon : « Il était ouvert, affable, se com- 
« muniquant à ses amis et surtout à ses enfants, 
« auxquels il rendait tous ses entretiens utiles. Il 
« était sincère, droit, équitable, sur ses gardes pour 
« ne désobliger personne, craignant toujours de pré- 
« judicier à quelqu'un, mais ne se laissant pas sur- 
« prendre, renversant aisément toutes les ruses et 
« tous les artifices dont on voulait se servir contre 
« lui. » Ces deux hommes, dignes l'un de l'autre, 
s'étaient accordé une confiance réciproque, et leurs 
familles étaient unics par la plus étroite familiarité. 
Ainsi, l'ambassadeur de France avait un commerce 
encore plus intime avec les chefs du parti républicain, 
Barneveldt et Grotius, qu'avec les courtisans du prince 
de Nassau. Quand donc il apprit l'arrestation de ses 
amis, il S'empressa de protester, même en public, et 
formula de vives remontrances qui furent lues dans 
l'assemblée des États. Il vit aussi le prince Mau- 
rice et s'efforça de lui faire comprendre qu'il avait 
trop osé. Celui-ci, cachant toujours, comme il disait, 
« le secret de ses affaires, » rejeta sans violence, 
sans aigreur, toute la responsabilité de ce qui s'était 
fait sur les États, sur Barneveldt. Les États ayant voté 
la mesure, son devoir était de l’exécuter, Barneveldt 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 173 


et ses amis avaient soulevé contre eux la majorité de 
leurs collègues par leur mépris obstiné pour le grand 
nom de Calvin et par leurs mauvaises pratiques avec 
l'Espagne ; mais toute cette agitation ne tarderait 
pas à se calmer : on allait prendre, en l'absence de 
quelques hommes mal intentionnés, diverses résolu- 
tions qu'ils auraient combattues, et, cela fait, ils 
seraient mis en liberté. Telle fut la réponse du prince 
Maurice. Du Maurier n'y put voir et n'y vit qu'un 
mensonge. Mais ses instructions ne l'autorisant pas à 
parler sur le ton de la menace, il ne pouvait rien 
auprès de Maurice pour ses amis. : 
Quant aux États ils ne répondirent pas et le procès 
des accusés commença. On s'accorde maintenant à 
reconnaître que le plus grand de leurs crimes était 
imaginaire. [ls avaient désiré traiter avec l'Espagne, 
autant par affection pour la paix que par défiance à 
l'égard du parti de la guerre dont le prince Maurice 
était le chef ; mais assurément ils n'avaient rien tramé 
contre l'indépendance de leur république. Cette répu- 
blique n'avait pas alors un ennemi plus redoutable 
que le prince Maurice. C'était là « le secret de ses 
« affaires, » et les États ne le devinaient pas. 
_ Bien que la cour de France eût intérêt à demeurer 
en de bons termes avec ce prince ambitieux et déjà 
puissant, elle appuya les démarches faites par son 
ambassadeur en faveur de Barneveldt et de Grotius. 
Un conseiller d'État, ancien ambassadeur en Angle- 


. Re de de are en Ne qe 6 ns + 


474 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


terre, de Boissise, et un descendant de Coligny, le 
colonel-général de Chatillon, furent successivement 
chargés par la cour de France d'aller plaider devant 
les États, devant Maurice, la cause des accusés. Mais 
on savait trop que la France devait s’en tenir à la 
plaidoirie : de Boissise et Chatillon retournèrent en 
France dans les premiers mois de l’année 1649, sans 
avoir rien obtenu. De Boissise, demandant son rappel 
le 12 janvier, écrivait : « M. du Maurier est ici : quel 
« besoin que j'y demeure afin que la honte soit 
« double (1)? » A la fin d'avril, le procès des accusés 
touchant à son terme, du Maurier se rendit à l'assem- 
blée des États et fit entendre d'énergiques paroles. On 
n’en tint pas compte, et Barneveldt fut condamné à la 
peine capitale. Avant l'heure fixée pour l'exécution, 
du Maurier voulut encore faire un dernier effort : il 
courut à l'assemblée, et demanda vivement une 
audience : elle lui fut refusée, et il ne put qu'adresser 
aux États une note diplomatique, dans laquelle il 
sollicitait, au nom du roi de France, la grâce de Bar- 
neveldt. Nous la publions comme un des plus beaux 
monuments de la diplomatie française : 

« Messieurs, j'avais désiré parler à vos seigneuries 
« en leur assemblée, de la part du roi mon maître, 
« sur le sujet qui s’y présente, ayant eu commande- 
« ment très-exprès de S. M. de vous continuer jusques 


(1) M. Ouvré, ouvr., cité, p. 298. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 175 


à la fin ses offices sur ces occasions : et pour cet 
effet ai, dès cejourd'hui, avant cinq heures du 
matin, envoyé prier MM. de Brackel et de Dort, 
députés de la province de Gueldres, de vous deman- 
der audience pour moi; mais leur réponse ayant été 
qu’ils ne le pouvaient faire, puisqu'elle m'est déniée, 
si ne veux-je défaillir en mon devoir, et à l'ordre 


qu'il a plu à S. M. me donner sur ce fait. J'ai donc 


recours à ce papier pour vous dire qu'ayant entendu 
cejourd'hui, seulement à quatre heures du matin, 
que les juges par vous nommés aux prisonniers ont 
enfin prononcé contre aucuns d'iceux, nommément 
contre le sieur d'Olden Barneveldt, et même que ce 


» jour est désigné pour lui faire éprouver la rigueur 


de leur jugement, S. M., de longue main, m'a 
chargé, cela arrivant, de vous dire que, pour le 
lieu qu'elle tient entre vos amis et alliés, elle per- 
siste à vous exhorter et convier d'user de clémence 
en cet endroit. À laquelle fin j'emploie les mêmes 
raisons que je vous représentai de sa part le pre- 
mier de ce mois, lesquelles, selon votre désir, je 
vous baïllai par écrit dès le lendemain. Elle ne pré- 
tend point entrer plus avant en connaissance des 
causes motives de ce jugement, puisque vous ne lui 
en avez rien voulu communiquer, mais certaine- 
ment elle estime que, s'il défaut quelque chose à la 
sûreté de cet état, il ne sera pas suppléé par le peu 
de sang restant à un vicillard, qui, par le cours de 


G'‘* 


de Sr 


476 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


nature et sans l'aide d'aucune violence, ne peut 
éviter qu'il ne lui paie bientôt son tribut. 

« Ainsi, pour les raisons que je vous ai représentées 
et que vous pouvez mieux juger, le conseil de S. M. 
tend à épargner la vie du plus ancien officier de 
cette république, à laquelle il convient mieux et se 
trouvera lui être plus salutaire qu’au particulier de 
la personne dont est question; car en un moment 
il peut être délivré de sa misère, qui ne sera plus 
sujette à aucun retour, mais le mal que votre patrie 
en peut recevoir est en danger d’avoir une longue 
suite. Car, outre qu'il serait trouvé étrange que 
vous n'eussiez pas eu de clémence pour celui qui a 
usé sa vie en vous servant, je vous dirai, avec la 
franchise convenable au ministre d’un si grand roi, 
que si vous permettez cette rigoureuse exécution, 
vous vous rechargerez d'une pesante angoisse sur 
tant de magistrats que l'on a déposés en cette pro- 
vince; car, quelque douceur dont on leur veuille 
amoindrir l'amertume de cette médecine, indubita- 
blement ils se réputeront de nouveau flétris en cette 
personne, avec laquelle ils ont eu non-seulement 
communauté d'avis, mais aussi d'afflictions et de 
désétablissement. Ce que S. M. croit et désire que 
par votre sagesse vous devez prévenir, afin qu'au 
lieu de guérir une plaie, elle devienne chancre. A 
laquelle raison, qui vous touche de bien près, elle 
joint d'abondant sa très-affectionnée prière, et 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 477 


« croyez qu'elle gardera un long souvenir de la défé- 
« rence que vous aurez faite à ses bons conseils. 

« Vos seigneuries ont divers moyens, avec leur 
« gloire et sûreté, de commuer la peine que l'on dit 
« lui avoir été imposée, soit en le confinant en l’une 
« de ses maisons aux champs, sous la caution de tous 
« ses proches qu'il n’attentera rien, ni communi- 
« quera avec personne dont vous puissiez avoir 
« jalousie, soit en le reléguant hors de ces provinces 
« où vous trouverez plus à propos. S. M. vous en prie 
« derechef, et vous saura aussi bon gré d’avoir eu 
« égard à son intercession si affectionnée que vous 
« auriez de préjudice et elle de regrets si vous en 
« usiez autrement. | 

« Il ne me reste qu'à prier Dieu qu'il vous inspire 
« un esprit de douceur et de ne refuser la seule prière 
« que S. M. vous a faite ; croyant, s’il vous plait aussi, 
« que je suis, Messieurs, 

« Votre dévoué, etc., etc. 

«A La Haye, le lundi, treizième jour de mai 1619, 

«à 6 heures du matin (1). » 


Cette prière fut encore vaine. Barneveldt était de 
trop dans les rêves du prince Maurice ; il fut exécuté 
le 43 mai 1619. 

Du Maurier demeura quelques années encore en Hol- 
lande. Il perdit, à La Haye, au mois de novembre 1620, 


(1) Biblioth. impériale ; Collection Dupuy, t. XXXIX. 


178 . HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


sa femme, génoise d’origine, qui lui avait donné douze 
enfants, six garçons et six filles (1). Prisonnier dans le 
château de Louvestein, Grotius lui adressa, dès qu'il 
apprit cette nouvelle, une lettre de condoléance. 
C'est vers le même temps, le 15 janvier 1621, que 
le complice de Barneveldt écrivait à son ami du 
Maurier : 


ES 


«a Ma cause étant depuis longtemps plaidée devant 
ma conscience, qui est pour moi le plus saint des 
tribunaux, je ne trouve pas, dans les plus intimes 
replis de mon âme, que nous ayons jamais formé 
un autre dessein que celui de concilier l'unité de 
l'Église avec la liberté des opinions sur les points 
controversés : dessein que me semblent autoriser 
un grand nombre d'exemples anciens et récents. Je 
n'ai jamais prétendu rien changer dans le gouver- 
nement de la république ; j'ai toujours eu à cœur de 
défendre le droit de ceux dont j'étais le sujet, au 
nom desquels j'exerçais un emploi public, et aux- 
quels j'avais engagé ma foi, et, dans ce but, j'ai 
voulu conserver aux États et au prince la part d’au- 
torité qui leur avait été jusqu'alors attribuée par la 
volonté du peuple. Qui a connu nos affaires com- 
prend sans peine que tout notre crime a été de 
vouloir préserver la république des lois nouvelles 
qu'allaient établir d'ambitieux partisans. Si, pour 


(4) Mém. pour servir à l'Hist. de Holl., p. 401. 


 ————— ————— 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 179 


« avoir tenu cette conduite, nous sommes dépouillés 
« de nos biens, de nos charges, de notre considéra- 
« tion, ce n’est pas là non plus un fait sans exemple. 
« Mais, ce qui m'est bien dur, c’est d'être privé, 
« malade et souffrant, de la lumière du soleil, et de 
« ne pouvoir, dans mes chagrins, recevoir les consola- 
« tions de mes amis. Cependant je supporterai cela, et, 
« Dieu aidant, de plus cruels supplices, s'il en est, 
« plutôt que de demander grâce alors que ma con- 
« science ne me reproche rien. » 

Ce sont là de beaux sentiments et de belles paroles. 
On sait que Grotius s’échappa de la prison de Lou- 
vestein au moyen d’un coffre dans lequel sa femme lui 
avait-envoyé des livres. Dès qu'il fut en liberté, du 
Maurier lui donna des lettres pour Paris, lui promct- 
tant que le meilleur accueil serait fait dans cette ville 
à l'illustre défenseur des libertés bataves. Grotius 
suivit ce conseil, et se rendit à Paris, où le roi se 
déclara son protecteur et le pensionna. 

Au mois de juillet de l’année 1622, du Maurier an- 
nonçait à Grotius qu'il avait formé le projet de contrac- 
ter un nouveau mariage; il avait réalisé ce projet au 
mois de décembre de cette année, et épousé Renée de 
Jaucourt de Villarnould, sœur de son ancien compéti- 
teur à l'ambassade de Hollande. Vers la fin de 1623 
nous le voyons tenir sur les fonts de baptême, pour le 
roi de France, un des fils de Guillaume d'Orange, 
ayant à sa droite le roi de Bohême et le prince Maurice 


480 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


S 


à sa gauche (1). Il est toujours à son ambassade, 
mais il désire la quitter. Il est chagrin, il n'a plus 
de crédit et, quoiqu'il parle au nom de la France, 
on ne l'écoute plus. C’est un vaincu, et Aertsens lui- 
même prend avec lui des airs de vainqueur. Il ne lui 
fut toutefois permis de quitter La Haye que le 12 
avril 1624 (2). 

Il revint au Maurier, libre enfin de toute chaîne et 
sachant apprécier ce que vaut cette liberté. Le titre 
de conseiller d'état lui restait, mais sans l'obliger à 
aucun service : il pouvait consacrer tout son temps à 
sa nombreuse famille et à ses biens longtemps négligés. 
Grotius lui écrivait le 46 août 1630 : « S'il ne parvient 
« aucune nouvelle dans l'endroit que -vous habitez, 
« ne vous en affligez pas, car, à cette condition seule- 
« ment, vous pourrez être tranquille. C'est quelque 
« chose que de vivre là où l'on n'entend parler ni du 
« nom ni des actes des Pélopides. Mais ce qu'il y a 
« de triste aux lieux où vous êtes, c'est que la terre 
« supporte, outre les injures du ciel, de tels impôts, 
« que les laboureurs eux-mêmes commencent à la 
« maudire. Bien souvent je prends en pitié vos pay- 
« sans accablés par tant de charges, lorsqu'au-dessus 
« d'eux je vois la foule des grands et les prêtres 
« eux-mêmes vivre dans le luxe, affranchis de toute 
redevance fiscale. » Ce n'est plus l'exact portrait de 


CS 


(1) Mém. pour servir à l'Hist. dé Holl., p.168. 
(2) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 315. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 181 


la France; le temps et une révolution nécessaire ont 
en quelque chose modifié ce qui était pour Grotius 
une raison suffisante de tristesse et de pitié. Les 
prêtres, ne possédant plus, ne vivent plus dans le luxe, 
et les grands ne sont plus affranchis des redevances 
imposées au nom du fise : mais les laboureurs ont 
toujours plus de charges qu'ils n'en peuvent sup- 
porter ; cela n’a pas changé. 

La dernière lettre de Grotius à du Maurier est du 
31 juillet 14636. Nous lisons dans les Mémoires de 
Hambourg qu'il mourut au Maurier, le 40 août de 
cette année (1). 

Au témoignage de son fils Louis, qui nous occupera 
tout à l'heure, il passa « pour une des meilleures plumes 
« de son temps. » La plupart de ses écrits sont des 
lettres, des pièces diplomatiques et des discours par- 
lementaires. Nous avons fait connaître ce qui a été 
publié de sa correspondance avec Duplessis-Mor- 
nay. Quelques-uns de ses mémoires ou discours aux 
États de Hollande ont été pareillement imprimés par 
M. Ouvré, à la suite de sa vie. Mais ce que nous offrent 
les recueils manuscrits est bien plus considérable. En 
voici le détail. 

Le volume 39 de la collection Dupuy, à la Biblio- 
thèque impériale, renferme trois de ses pièces. La 
première est un discours prononcé devant les États de 


(4) Mémoires de Hambourg, par Louis du Maurier, p. 4, 


182 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Hollande, le dernier jour de mars 4617, C'est une 
pièce officielle, transmise par du Maurier à son gou- 
vernement; M. Ouvré l’a publiée presque entière (4). 
La seconde est du même genre : c'est une karangue 
solennelle sur les agitations religieuses de la Hollande, 
prononcée devant les États le 43 mars 1618. Elle 
est également au nombre des pièces justificatives 
données par M. Ouvré (2). Il y a, dans cette haran- 
gue, d'excellentes maximes. Nous aimons entendre 
un ministre français condamner avec énergie, dans les 
premières années du xvir° siècle, l'emploi de la violence 
dans le règlement des contestations religieuses. Voici 
ce que du Maurier déclare, après avoir discuté les 
divers moyens qui peuvent être mis en usage pour 
apaiser les troubles : « Pour celui (le moyen) de la 
« force, je crois qu'il ne se trouverait homme si 
« dépourvu de sens commun et d'humanité qui l'esti- 
« merait ni conseillable ni praticable, parce qu'il répu- 
« gne non seulement à la profession chrétienne, mais 
« encore à toute société, diverses expériences ayant 
« bien chèrement appris à ceux qui les ont faites... que 
« les moyens humains ne doivent rien entreprendre 
« sur ce qui n appartient qu'à Dieu. » Nous trouvons 
enfin, dans le même portefeuille, la lettre écrite par du 
Maurier aux États de Hollande, le jour même de l'exé- 
cution de Barneveldt. 


(1) M. Ouvré, ouvr. cité, p. 331. 
(2) 1bid., pr. 338. 


BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 183 


Le volume 240 de la même collection ne contient 
qu'une pièce d'Aubery du Maurier. C’est une lettre 
autographe à de Rosny, ou plutôt un discours décla- 
matoire sur les périls qui environnent la grandeur, 
sur les fautes que l’orgueil fait commettre. On lit dans 
le volume 587 un extrait d'une lettre au roi, du 6 octo- 
bre 1623 ; dans les volumes 639 et 701, l'épitaphe de 
Marie-Madeleine, la première femme de Benjamin du 
 Maurier, par Hugo Grotius; dans le volume 648, 
deux pièces autographes : proposition faite aux États 
de Hollande, le 4° mai 4619, en faveur de Barneveldt 
et de ses prétendus complices ; discours prononcé 
devant les Etats le 43 mars 4618. Cette dernière pièce 
se trouve déjà dans le n° 39 de la même collection. 
Enfin le volume n° 709 renferme une suite de lettres 
adressées à Dupuy par du Maurier, du 44 juin 1617 
au 5 janvier 14627. Ces lettres, toutes autographes, 
sont au nombre de trente-sept. 

À la même bibliothèque, dans le fonds de Béthune, 
se rencontrent aussi quelques missives et quelques 
manifestes diplomatiques d'Aubery du Maurier. Pour 
ne désigner que les plus importantes de ces pièces, le 
volume qui porte le n° 9097 contient une lettre de du 
Maurier au président Jeannin, et le volume 9290 une 
autre lettre au même. Dans le volume 9766, la missive 
aux États, du 43 mai 1619; dans le volume 9981, 
la même pièce, et, en outre, la lettre du 143 mars 14618 
que nous avons déjà vue dans le n° 39 de Dupuy. 


l 1 


184 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Du Maurier écrivait aussi au chancelier Séguier. 
Une de ses lettres à ce personnage fait partie d'un 
volume inscrit sous le numéro 709 dans le fonds 
français de Saint-Germain-des-Prés. Elle est datée du 
Maurier, 25 mars 1633. 

Enfin un recucil bien plus considérable des missives 
diplomatiques de du Maurier, déjà signalé par Fevret 
de Fontette, existe à la Bibliothèque impériale, en six 
gros volumes in-fol. du fonds de Saint-Germain-Har- 
lay. Le premier de ces volumes, sous le n° 229 !, con- 
tient cinquante lettres autographes écrites par du 
Maurier à Villeroy, à Puysieux, avec le brouillon 
des réponses de Puysieux, et quelques copies de 
pièces adressées par du Maurier aux États de Hollande. 
La plus ancienne des lettres est du 22 mai 1612; la 
plus récente, du 24 octobre 4623. Dans le n° 229*, dix 
neuf pièces seulement ; ce sont des lettres à Puysieux 
du 10 juillet 1613 au 15 décembre de la même année. 
Dans le n° 229 $, cent trente-huit pièces autographes : 
lettres au roi, à la reine, à Puysieux, du 1*% jan- 
vier 4615 au 10 décembre de la même année. Dans le 
n° 229 4, cent vingt-deux pièces de même nature, du 
4er janvier au 24 octobre 1618. Dans le n° 229 5, cent 
dix-sept pièces ou dépêches, du 7 janvier 1619 au 
45 décembre 1620. Dans le n° 229 6, cent quarante et 
une missives, du 2 janvier 4621 au 192 janvier 4624. 

Ce que du Maurier nous a laissé de plus important, 
c'est le Journal de sa vie. Louis Aubery, son fils, 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. 4185 


en a publié deux fragments, sous le titre de : Pre- 
ceptes de M. du Maurier Benjamin à ses enfants. 
L'un de ces fragments cst inséré dans la vie de Louise 
de Coligny, l'autre dans la vie de Barneveldt. Mais 
l'ouvrage entier, longtemps conservé dans le château 
de La Fontaine d'Angé, a été transféré, vers la fin du 
siècle dernier, à la bibliothèque de l'École centrale de 
Poitiers, plus tard à la bibliothèque publique de cette 
ville. C'est là que M. Ouvré l’a lu récemment et 
y a trouvé la matière d’une thèse remarquable que 
nous avons souvent citée. « Ce modeste livre, dit 
« M. Ouvré, respire un calme et une honnêteté 
« rares. C’est un appel touchant aux qualités qui 
« font le bonheur des familles et la paix des états : 
« le respect de l'autorité, l'amour de la règle et du 
« devoir, la modération dans les désirs, le culte de ce 
« qui élève l'homme, et au-dessus l'idée sans cesse 
« présente de Dieu, de qui tout bien émane. Cœlestem 
« cogua; c'était la devise qu’il avait choisie pour son 
« château de La Fontaine. Il y fut, en effet, fidèle 
« toute sa vie. » 


AUBERY DU MAURIER (Louis\. 


Louis AuBErYy, second fils de Benjamin Aubery, 
sieur du Maurier, est-il né dans le domaine scigneu- 


186 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


rial de sa famille, à la Fontaine-Saint-Martin? Nous 
ne saurions l'affirmer, mais nous avons lieu de le 
croire. Il fut envoyé d'abord à Saumur, avec Maximi- 
lien son frère aîné, où ils commencèrent leurs études. 
Rappelés de Saumur, ils furent placés au collége de 
Leyde, dirigé par Gérard Vossius(1). Benjamin Aubery 
ayant fait savoir à Grotius qu'il avait donné Vossius 
pour maître à ses enfants, celui-ci lui répondait le 
8 juillet 4621 : « Vous ne pouviez mieux faire 
« que de les confier à Vossius. » Et il ajoutait : « Je 
« ne manquerai pas de lui recommander la tutelle de 
« vos enfants quand il viendra dans ces lieux avec ses 
« jeunes élèves, mais je ne lai pas encore vu (2). » 
Le 4 août, Grotius lui fait parvenir une autre lettre, 
où nous lisons : « Je suis persuadé que l'excel- ) 
« lent Vossius aura le plus grand soin de vos enfants, 
« et je n'ai pas oublié de stimuler son zèle, bien que 
« cela ne fût pas nécessaire. Vous avez fait le meilleur 
« choix que vous puissiez faire, lorsque vous avez pris 
« le parti de mettre vos enfants entre les mains de 
« cet homme dont la délicatesse égale le savoir. » 
Cependant ils ne demeurèrent pas longtemps au col- 
lége de Leyde. Ramenés à La Haye, ils furent alors 
établis aux portes de la ville, dans une maison de cam- 
pagne nommée Ingerbourg, qui appartenait à la famille 
Barneveldt, et confiés aux soins d'un jeune précepteur 


(1) Ouvré, Aubery du Maurier, p. 319. 
(2) Epistolæ Grotii, ad ann, 1621. 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. 487 


qui devait être plus tard un historien de quelque 
renom, Benjamin Priolo. Nous trouvons, dans les 
Mémoires de Louis Aubery, quelques renseignements 
curieux sur ce Priolo et sur sa méthode didactique. 
Il ne se servait ni de Priscien, ni de Clénard, ni de 
Despautère ; il négligeait de faire connaître à ses 
élèves les règles de la grammaire, déclarant qu'il avait 
appris ce qu'il savait, et il savait beaucoup, sans avoir 
étudié les livres de ces auteurs, sans avoir chargé sa 
mémoire de tous ces termes barbares de supin, de 
gérondif, etc., etc., auxquels, disait-il, personne n’en- 
tend rien. Nous devons tenir ces détails pour exacts. 
À son départ de Hollande, Benjamin Aubery fit 
voyager ses fils. Il existait alors de telles différences 
entre les coutumes, les mœurs et les gouvernements des 
diverses nations de l'Europe, que, pour se rendre 
propre aux affaires, il fallait voyager et acquérir par 
l'observation cette science des faits contemporains que 
nous fournissent aujourd'hui les journaux et les livres. 
Destiné par son père à la diplomatie, Louis Aubery 
parcourut d'abord l'Allemagne, la Suisse et l'Italie. II 
était à Rome en l’année 1630, et à l'endroit de ses 
Mémoires où il parle de son séjour dans la ville sainte, 
il raconte qu'il vit, dans la chapelle Pauline, un tableau 
de la Saint-Barthélemy au bas duquel était cette 
légende : Pontifex Colonii necem probat. Bien que 
son père l'eût fait élever dans la religion catholique, 
pour lui rendre un jour plus facile le chemin des emplois, 


188 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Louis Aubery ne put lire sans effroi cette cruelle sen- 
tence ; cinquante ans après, il se rappelait encore 
l'émotion douloureuse que lui avait causée la rencontre 
de ce tableau dans un lieu consacré, sur l'autel même 
du Dicu clément. 

De retour à Paris, Louis du Maurier montra d'abord 
plus de goût pour le métier des armes que pour la 
diplomatie. Cependant les conseils de son père et de 
Grotius l'empéchèrent d’imiter la folie de son frère 
ainé Maximilien, qui, après avoir brillamment achevé 
ses études, s'était enrôlé comme simple soldat dans un 
régiment hollandais. En 14639 nous le trouvons à Paris, 
où il étudie le droit romain, mais avec si peu de zèle, 
que plus d'une fois Grotius se voit contraint de lui 
faire des remontrances (1). C'était un jeune homme 
indocile, emporté, qui n'écoutait pas volontiers les 
leçons d'autrui; mais comme il avait d’ailleurs l’intel- 
ligence prompte et ouverte, on espérait AQU beau- 
coup de lui. 

Louis Aubery était de retour au Maine en l’année 
1636, et il assistait aux derniers moments de son père. 
Au mois de mai de l'annéesuivante, ilse trouvait à Paris, 
où il obtenait de Claude de Mesmes, comte d’'Ayaux, 
la permission de l'accompagner dans cette grande 
ambassade qui eut pour résultat la trêve de vingt-six 


(4) Dans l'édition des Lettres de Grotius de l’année 1687, in- 
fol., il y a sept lettres de celui-ci à Louis Aubery ; ce sont celles 
qui portent les numéros 290, 304, 332, 486, 786, 830, 891. 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. 189 


ans conclue entre la Suède et la Pologne. Ils partirent 
vers la fin de mai, et se firent d'abord transporter dans 
le Holstein, puis à Hambourg, où le comte d'Avaux 
séjourna, tandis qu'Aubery alla visiter Lubeck et Kiel. 
Ils se rendirent ensuite en Danemark ct en Suède, 
où Louis Aubery, bien reçu par la noblesse de toutes 
les cours, contracta des relations presque familières 
avec le jeune Charles-Gustave. En se quittant, ils se 
firent des présents mutuels. Aubery reçut des mains 
du prince palatin un très-bel atlas, et lui donna les 
Memoires de Commines, édition de Vascosan, exem- 
plaire réglé, relié magnifiquement en maroquin et 
doré sur tranche ; en outre, il célébra les mérites pré- 
coces de son royal ami dans une série de strophes 
héroïques, qui furent louées, nous dit-il, par les experts 
les plus renommés, Conrart, Chapelain et d'Ablan- 
court; mais nous avons le regret de les trouver fort 
peu dignes d’éloges. 

Vers la fin du mois d'août 1637, ayant appris que 
Wladislas, roi de Pologne, préparait de grandes fêtes 
pour célébrer son mariage avec la princesse Cécile- 
Renée d'Autriche, sœur de l'empereur Ferdinand IIT, 
Aubery se rendit en toute hâte à Varsovie. En ce lieu 
nous perdons la trace de notre voyageur. Nous savons 
toutefois qu’il revint en France avant le comte d'Avaux. 

Il était à Paris en l'année 1642, remplissant auprès 
du roi les fonctions peu compatibles, comme il semble, 
d'aide de camp et de maître des requêtes, quand il fut 


190 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


chargé par le comte de Rantzaw, prisonnier au châ- 
teau de Gand, de communiquer à la cour de France 
une importante nouvelle. La citadelle de Gand était 
dégarnic de troupes, et, avant que l'ennemi püt la 
secourir, elle devait tomber au pouvoir des Hollandais, 
alliés de la France, si l'on envoyait de ce côté le prince 
d'Orange avec son infanterie. Aubery transmit à la 
hâte cet avis au conseil du roi; mais comme il venait 
du comte de Rantzaw, qui était dans les plus mauvais 
termes avec le ministre de Noyers, on n’en profita 
pas. 

En cette année 1642, Louis Aubery perdit son pro- 
tecteur, le cardinal Richelieu. Il était convié, même 
dans les jours solennels, à la table ronde de ce ministre, 
qui lui avait plus d'une fois promis quelque ambassade 
et n'avait pas encore rempli cette promesse. Il attendait 
sans doute une occasion qui ne s'était pas présentée. 
Or, quand Aubery n'avait rien obtenu de Richelieu, 
que pouvait-il espérer de son successeur? Il prit donc 
le parti de la retraite, et, ayant prononcé quelques 
dures paroles sur la cour et les courtisans, il alla se 
renfermer dans son domaine du Maurier, où il ne 
voulut plus avoir d'autre occupation que celle de 
réparer les brèches qu'il avait faites à son bien. 

Cependant, il n'était pas né pour le repos. Éloigné 
des affaires, il ne put se défendre d'exprimer son avis 
sur les choses qu'il avait apprises, sur les événements 
auxquels il avait assisté, durant ses voyages et durant 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. 491 


son séjour à Paris. Il écrivit ses Mémoires, et s'occupa 
de préparer une édition nouvelle du plaidoyer pro- 
noncé par son grand-oncle, Jacques Aubery, dans 
l'affaire des hérétiques de Cabrières et de Mérindol. 
Nous avons parlé de cette édition, qui parut en 1645, 
in-4°. Louis Aubery devait avoir atteint sa soixante- 
dixième année, quand, en l’année 1680, il publia le 
premier volume de ses Mémoires, sous ce titre : 
Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande et des 
autres Provinces Unies, par Mess. Louis Aubery, 
chevalier, sieur du Maurier ; la Flèche, Laboë, 1680, 
in-8° (1). Il y a eu de nombreuses éditions de cet 
ouvrage; nous mentionnerons celles de Paris, 1687, 
1688, 1703, in-12 ; enfin, en 1754, l'abbé Sépher 
l'imprima de nouveau, avec des notes inédites d'Amelot 
de La Houssaye, sous ce titre : Histoire de Guillaume 
de Nassau, prince d'Orange; Londres (Paris), 1754, 
2 vol. in-12 (2). On y trouve une suite debiographies, 
rédigées avec une liberté d'opinion qui en a fait le 
succès. Le style en est lâche et peu correct ; mais l'auteur 
avoue qu'ayant « corrompu sa langue naturelle par 
« une longue demeure dans les pays étrangers et par 
« une plus longue station dans le Maine, où l'on 
« parle très-mal, » il ne sait pas écrire comme il con- 


‘ (4) H y a des exemplaires de cette édition qui portent, avec 
la même date, le nom des différents libraires de Paris chez 
lesquels ils furent mis en vente. 

(2) Dans quelques exemplaires de cette édition, l’ancien titre 
est conservé. Louis Aubery y est nommé Aubry du Alouriex. 


7° 


199 HISTOIRE LITTÉRAIRE” DU MAINE. 


vient. Les notices concernent Guillaume de Nassau, 
Louise de Coligny, Philippe-Guillaume prince 
d'Orange, Henri-Frédéric de Nassau, Jean de Barne- 
veldt, François Aertsens, Hugues de Groodt. Comme 
ces notices ne sont pas toujours très-équitables, car il 
s'agit de contemporains, d'amis et d'ennemis, les cri- 
tiques de profession n'ont pas manqué d'en signaler 
les passages plus ou moins défectueux. Bayle, Baillet, 
Levassor, Jennet, Le Clerc, doivent être désignés 
parmi les censeurs des Mémoires de Louis Aubery. 
Charles Ancillon les a jugés intéressants, mais il a cru 
devoir en faire honneur à Benjamin plutôt qu'à Louis 
Aubery (1). 

Cet illustre bibliographe, né en 1659, a pu con- 
naître, dans sa jcunesse, Louis Aubery ; il a, du moins, 
entendu souvent parler de lui, et par des gens qui ont 
tenu sur son compte les propos les moins flatteurs. 
Ainsi on lui a dit et il répète que les Memoires pour 
servir à l'histoire de Hollande ne sont pas un ouvrage 
original ; que des papiers, laissés par Benjamin Aubery 
entre les mains de son fils aîné, ont été copiés sans 
discrétion par son fils cadet, et qu'en somme les 
Mémoires sont d'un compilateur, sinon d'un plagiaire. 
La fausseté de ces propos est aujourd'hui démontrée. 
Les papiers de Benjamin Aubery nous ont été conservés, 
et M. Ouvré, qui les a lus avec tant de soin, n'en a 


(1) Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs 
modernes. 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. 1493 


retrouvé que deux courts fragments dans les Mémoires 
de Hollande (4). Or ces deux fragments y sont insérés 
sous le nom de Benjamin. Il est vraisemblable que 
Louis Aubery a obtenu la communication des papiers 
légués à Maximilien, et il est possible que celui-ci 
n'ait pas approuvé son frère prenant ouvertement 
dans ses Mémoires le parti des républicains hollan- 
dais, et surtout rappelant que Benjamin Aubery avait 
été l'ami, le confident, le défenseur de Grotius, de 
Barneveldt, et l'adversaire de leur ambitieux et cruel 
persécuteur. De là des plaintes, des reproches, con- 
vertis par des tiers en une accusation de plagiat. Ne 
négligeons pas, d’ailleurs, de faire remarquer que 
parmi les faits intéressants qui sont racontés dans ces 
Mémoires, on en peut signaler un grand nombre 
sur lesquels Benjamin Aubery n'a pas dû laisser de 
renseignements particuliers, puisqu'ils ont eu lieu 
vingt ou trente ans après sa mort. 

Ch. Ancillon n'eût peut-être pas accueilli, comme 
il l'a fait, ces dires malveillants, s’il eût appris que la 
fille unique de Louis du Maurier possédait en manuscrit 
un ouvrage de son père non moins important que ses 
Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande. Cet 
ouvrage ne fut publié qu'en 1735, vingt ans après la 
mort d'Ancillon, par Louis-Léonor-Alphonse d'Orvaux 
du Maurier, sous le titre de : Mémoires de Hambourg, 


(4) M. Ouvré, Aubery du Maurier, p. 2. 


194 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


de Lubeck et de Holstein, de Danemark, de Suëde et 
de Pologne, par feu mess. Aubery du Maurier ; Blois, 
Masson, 1735, in-12 (1). Ces Mémoires nous sont 
donnés par l'auteur lui-même comme la suite des pre- 
micrs, et, bien qu'ils ne soient pas rédigés sur le même 
plan, ils sont du même style. Ils se terminent par la 
phrase suivante : « Comme je songeais à mettre la der- 
« nière main à ces Mémoires, des affaires plus impor- 
« tantes m'en ont détourné. Je prie ceux de mes 
« enfants entre les mains de qui tomberont ces 
« Mémoires, de les transmettre, s'ils le jugent à pro- 
« pos, à la postérité, ou de les conserver en mémoire 
« d'un père qui n'a de cœur que pour eux. Délivré du 
« tumulte et des embarras du monde, un soin plus 
« précieux va occuper tout mon loisir, que je consa- 
« cre à une heureuse immortalité. » Louis Aubery 
mourut, dans sa terre du Maurier, en l'année 1687. 
Les Memoires de Hambourg sont l'ouvrage qu'An- 
sart mentionne sous ce titre : Traité du commerce de 
la Baltique, ou Mémoire sur les royaumes du Nord. 
Ils eurent, il est vrai, peu de succès ; mais Ansart, qui 
publiait sa Bibliothèque du Maine en 1784, aurait 
toutefois dû savoir que le manuscrit possédé par 
MM. d'Orvaux avait été publié dès l'année 1735. 
D'anciens catalogues attribuent, en outre, à Louis 
Aubery un libelle anonyme que nous ne connaissons 


(1) Une autre édition porte la date de Leyde, 1748. 


m—— — 


= 


LOUIS AUBERY DU MAURIER. : 19% 


pas, et qui ne se trouve mentionné ni dans la Biblio- 
thèque d’Ansart, nidans la notice de Ch. Ancillon, ni 
dans les articles de Moréri et de la Biographie Uni- 
verselle, ni dans le Dictionnaire de M. Barbier, ni 
même dans la Bibliothèque de droit de Martin Lipe- 
nius. En voici le titre, tel qu'il est rapporté par 
M. Desportes (1) : Super vetere Austriacorum propo- 
sito de occupando mare Baltico, omnibusque Poloniæ 
et seplentrionalis Germaniæ mercaturis ad se attra- 
hendis in Galliarum et fœderati Belgü detrimentum ; 
Paris, 1644, in-4°. Cette dissertation, qui doit être 
intéressante à plus d’un titre, se place à côté des trai- 
tés de Grotius, de Selden, de Graswinckel : nous 
regrettons vivement de n'avoir pu la rencontrer. 

Louis Aubery avait formé le projet d'écrire une his- 
toire des dernières années de Louis XIII, mais il ne l’a 
pas exécuté. Costar, qui le comptait au nombre de ses 
correspondants, lui a adressé quatre de ses Lettres (2). 
Il suffit de les lire pour se convaincre que l’auteur des 
Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande ne 
jouissait pas d'une moindre considération parmi les 
lettrés que parmi les courtisans. Aux qualités de 
l'homme d'affaires il joignait, ce qui ne les accom- 
pagne pas toujours, un noble cœur et une intelligence 
éclairée. 

(1) Bibliographie du Maine. Il est aussi désigné à la page 134 


de la Bibliothèque Bulicau. 
(2) Leltres de Costar. 


196 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


AUDOUYN (PIERRE). 


Ansart inscrit Pierre Aupouyn au catalogue des 
écrivains du Maine, sans faire connaître ni sa famille, 
ni le lieu de sa naissance. Il était certainement du 
Maine. Un autre historien, non moins digne de foi, 
nous l’atteste cn termes exprès (4). Dès sa première 
jeunesse, il était encore au collége, Pierre Audouyn 
fut pourvu d'une prébende dans l’église cathédrale du 
Mans; mais ayant peu de goût pour la vie du siècle, il 
renonça de lui-même aux espérances que devait lui 
faire concevoir pour l'avenir une faveur si facilement et 
si tôt obtenue, et il entra dans la congrégation des 
Célestins. Il prononça ses vœux le 10 juin 1560 au 
couvent de Paris (2). Provincial de l'ordre en 1599, 
il mourut prieur de Marcoussi, le 21 juin 1600 (3). 

Pierre Audouyn a laissé, suivant Ansart, trois traités 
inédits, le premier sur le Canon de la Messe, le second 
sur le Sacrement de la Pénitence, le troisième sur la 
Puissance des Prêtres. Ansart nous apprend encore 
que les manuscrits des trois ouvrages existaient de 


(1) Becquet, Calaloqus chronologicus el historicus scriptorum 
ordinis Cæleslinorum. Biblioth. Impér., Manuscrit du fonds des 
Célestins, n. 98, fol. 134. 

(2) Becquet, ouvr. cité. 

(3) Becquet le fait mourir en l’année 1599. 


AYESGAUD. 497 


son temps à la bibliothèque des Célestins de Paris. 
En effet, au commencement du xvin siècle, lorsque 
le P. Becquet, gardien de cette bibliothèque, rédigeait 
son Catalogqus chronologicus et historicus, il y trou- 
vait les trois traités mentionnés par Ansart. Il 
désigne Île premier sous ce titre : Cœremoniarum 
missæ et sacri canonis Lam litteralis quam tropolo- 
gica erthesis; avec cet incipit : Memoriam fecit 
mirabilium suorum. Le second avait pour titre: 
Tractatus de sacramento pœnitentiæ, et commençait 
par Carissimi, apparuit benignitus. Enfin le troi- 
sième, qui avait peu d'étenduc, intitulé Tractatus de 
sacerdolum potestatibus, avait pour premiers mots : 
Summus ille idemque potentissimus mundi quber- 
nator. Aucun de ces trois manuscrits n'est entré, dans 
la suite des temps, à la Bibliothèque impériale. 


AVESGAUD. 


Cet Avescaun, moine de La Couture avant l'année 
1037, était, pense-t-on, de la famille des comtes de 
Bellême. Nous ferons remarquer, à l'appui de cette 
conjecture, que l'évêque Gervais dont la mère Hilde- 


198 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


burge était fille d'Yves-le-Vieux, comte de Bellême, 
l'appelle son cousin (1), et qu'un des trois frères de 
cette Hildeburge, tous les trois nommés ensemble dans 
une charte de Marmoutiers (2), est l'évêque du Mans 
Avesgaud, mort en 1036. Il paraît donc ainsi prouvé 
que le père du moine Avesgaud fut Yves-le-Jeune ou 
Guillaume, c'est-à-dire l’un des deux frères de l’évé- 
que Avesgaud. Mabillon (3) et les auteurs de l'Histoire 
litteraire de la France (4) disent que le moine de La 
Couture fut ensuite, en l’année 1060, abbé de ce 
monastère, mais ils se trompent. Denys Briant et 
M. Cauvin commettent une autre erreur, lorsqu'ils le 
font, vers le même temps, abbé de Saint-Calais. 
Il était, depuis l’année 1037, abbé de Saint-Vincent, 
ct, dans un assez grand nombre de chartes citées par 
le Gallia Christiana (5), on le voit présider au gou- 
vernement de cette abbaye jusqu'en l'année 1064. 

On ne connaît de lui qu'une lettre publiée par 
Baluze dans le tome IV de ses Miscellanées, p. 477, 
478. Elle est adressée à un moine du Bec déjà célèbre 
par Sa doctrine, qui doit occuper plus tard le premier 
siége de l’église d'Angleterre, pour être inscrit après 
sa mort au nombre des saints et au nombre des phi- 


(1) Gall. Christ.,1. XIV, col. 455. 

(2) Biblioth. imp., fonds de Baluze, num. 77, fol. 2 ; e Char- 
tular. Cenoman. Majoris Monasterii. 

(3) Annal. ord. S. Bened., t. IV, p. 591. 

(4) Tom. VII, p. 76. : 

(5) Tom. XIV, col. 455, 156. 


JÉROME D'AVOST. 499 


losophes ; titres rarement associés. Nous voulons par- 
ler d'Anselme de Contorbéry. .La réponse d’Anselme 
se trouve dans ses Œuvres (1). Avesgaud l'avait prié 
de vouloir bien faire l'éducation d’un de ses neveux : 
Anselme s'excuse de ne pouvoir lui rendre ce service. 
Le ton de ces deux lettres autorise à croire qu'il exis- 
tait entre le moine du Bec et celui de La Couture un 
lien d'étroite amitié. 


AVOST (ROME D°). 


Jérôme d'Avosr, que l’on appelle quelquefois Jérôme 
de Laval, naissait dans la ville de Laval en l'année 
1558 (2). Nous le voyons plus tard officier de Margue- 
rite de France, reine de Navarre, et en ce temps-là 
signalé parmi les beaux esprits de la cour. C'était, du 
moins, un écrivain à la plume facile. Ses contempo- 
rains estimèrent surtout ses traductions. La Croix du 
Maine, qui était son ami, les a beaucoup louées. Nous 
allons en dresser le catalogue. 


(1) Epistol. lib. I, epistol. 16. 

(2) Son portrait gravé se trouve en tête de sa traduction des 
Sonnets de Pétrarque, avec cette légende : Annos 25 nalus, 
1583. 


200 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


En 1589 il publiait : Les Amours d'Ismène et de la 
chaste Ismine; Paris, N. Bonfons, in-16. L'ouvrage 
original est le poëme grec d'Eumathius, nouvellement 
inséré par M. Ph. Lebas dans le recueil des Erotici 
scriptores. Mais d'Avost, qui nesavait pas le grec, avait 
simplement traduit en français la version italienne de 
Lelio Carani. L'année suivante, il donnait : Dialogue 
des grâces et excellences de l’homme, et de ses misères 
et disgrâces, représentées en langue italienne par le 
seigneur Alphonse Ulloa et déclarées à la France par 
Hiérosme d’Avost ; Paris, Colombel, 1583, in-8. 
Alonso de Ulloa n'est pas l'auteur de ce dialogue : il 
l'a traduit de l'espagnol en italien ; l'auteur espagnol 
est Perez Mexia, que nous appelons Pierre Messie. 
En 1584 parurent les Essais de Hiérosme d'Avost, de 
Laval, sur les Sonnets du divin Pétrarque, avec 
quelques autres poësies de son invention ; Paris, 
A. Langelier, in-8. Cette traduction des sonnets de 
Pétrarque est très-incomplète. Jérôme d'Avost l'entre- 
prit pour gagner le cœur et la main d'une jeune per- 
sonne de condition, l’une des deux filles de François 
Du Prat, baron de Thiern ; mais ce fut une vaine entre- 
prise. L'une des deux sœurs, Philippe, fut mariée à 
Clément de Cosnac; l’autre, Anne, à Honorat Prévost, 
sieur du Chatelier-Portaut (1). Il faut encore attribuer 
à Jérôme d’Avost, selon la Croix du Maine, diverses 


(1) Gouget, Biblioth. française, t. VII, p. 317. 


JÉROME D'AVOST. 201 


traductions qui sont restées inédites : 4° le quatrième 
volume des Épütres de Guévare (les Epîtres dorées 
d'Antonio Guevara, évêque de Cadix, historiographe 
de Charles-Quint) ; 2 les Élites et plus belles fleurs, 
recueillies de toutes les œuvres spirituelles de Louis de 
Grenade ; 3° Les deux Courtisanes, traduites de 
l'italien de Luigi Domenichi. Sur les traductions 
d'Antonio Guevara et de Louis de Grenade nous ne 
pouvons que reproduire l'assertion de La Croix du 
Maine ; mais 1l faut ajouter quelques mots à ce qui à 
été dit par ce bibliographe sur la comédie de Dome- 
nichi. Suivant M. Weiss, il n'existait encore en l'année 
4584 aucune édition italienne de cette comédie (4). 
C'est là une erreur ; il en existait au moins une, 
imprimée en 4567, à Venise, par les soins de Dom. 
Farri (2). On dit même que la traduction de Jérôme 
d'Avost fut jouée sur un des théâtres de Paris, mais 
que, le lendemain de la première représentation, la pièce 
fut défendue par arrêt du parlement, un des acteurs 
avant récité devant le public un passage supprimé par 
les examinateurs (3). L'abbé Goujct a regretté de 
n'avoir pas une liste complète des traductions de 
Jérôme d'Avost. Nous pouvons, du moins, faire une 
addition importante à celle de La Croix du Maine. 


(1) Biographie universelle, art. Avost. 

(2) Biblioth. impér., Y, 3757. 

(3) Hist. du Théâtre franc., Biblioth. impér., Manuscrits, t. I, 
p. 223, 


202 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Il s’agit d'une traduction de la Jerusalem du Tasse. 
L'imprimeur lyonnais Barthélemy Honorat ayant fait 
voir à Du Verdier le manuscrit de cette traduction, 
qu'on devait, disait-on, bientôt confier à la presse, 
celui-ci demanda la permission d'en insérer le troi- 
sième chant dans sa Bibliothèque. Il usa de cette per- 
mission quand il l'eut obtenue, et c'est ainsi qu'il nous 
a conservé six cents vers environ de la traduction de 
d'Avost ; le reste n'a pas été, comme il semble, 
imprimé. Disons qu'il ne faut pas trop regretter ce 
qui paraît perdu ; les vers du traducteur sont faciles, 
mais on peut y reprendre bien des négligences et bien 
des incorrections. 

Il faut parler maintenant des œuvres originales de 
Jérôme d’Avost. Elles ne sont pas considérables. Au 
frontispice de sa traduction des Sonnets de Pétrarque 
sont mentionnées, comme devant être publiées à la 
suite, « quelques autres poésies de son invention. » 
Ces autres poésies, promises dans le titre, manquent 
dans l'ouvrage; mais nous avons en un volume séparé : 
Poésies de Hierosme d’Avost, de Laval, en faveur de 
plusieurs illustres et nobles personnes; Paris, 1583, 
in-8. La date que porte le volume est bien celle que 
nous venons de transcrire : cependant il faut peut- 
être la corriger et lire 1585. En effet, on trouve dans 
ce recueil le sonnet composé par Jérôme d'Avost sur 
la Bibliothèque de La Croix du Maine, et cette Biblio- 
thèque ne fut, on le sait, mise sous la presse que dans 


JÉROME D'AVOST. 203 


les derniers mois de l’année 4584. En outre on lit au 
verso de la page 48 : « J'ai inséré à la fin les sonnets 
« qui s’ensuivent, tirés du Pétrarque de Vasquin Phi- 
« lieul, de Carpentras, qu'il a intitulés Laure d'Avi- 
« gnon, afin que ceux qui voudront faire conférence 
« de sa traduction avec la mienne voyent la différence 
« qu'il y a.» Or, il eût été difficile d'apprécier cette 
différence en 1583, puisque la traduction des son- 
nets de Pétrarque par d'Avost ne parut pas avant l'an- 
née 1584. Les Poésies de Jérôme d'Avost se composent 
d'élégies et d'anagrammes. Sur les élégies voici l'opi- 
nion de Goujet : « Elles n’ont rien qui convienne à ce 
« genre de poésie. Ce ne sont communément que des 
« sentiments amoureux, mal rimés, encore plus mal 
« exprimés, ou des compliments qui ne respirent pas 
« toujours une galanterie fort délicate (4).» Le même 
critique est moins indulgent encore pour les anagram- 
mes : « Ses anagrammes n'ont rien de naturel, et l'ex- 
« plication en vers que l'auteur donne de chacune ne 
« pêche pas seulement par sa prolixité.. Je ne vous 
« dis rien du style; vous jugez bien que je l'ai trouvé 
« fort mauvais (2). » Nous ne l'avons pas trouvé beau- 
coup meilleur. 

(4) Biblioth. franc., 1. XII, p. A1*. 

(2) On parle d’un Guillaume d’Avost, frère de Jérôme, qui fit 
aussi, dit-on, quelques vers, et qui, se trouvant à Lyon dans le 
temps où Du Verdier livrait à l'impression sa Biblioth. franc., 


eut avec lui quelque commerce. On le prouve en lui attribuant 
deux sonnets adressés à Du Verdier, qu'on a lus, assure-t-ov, à 


204 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Enfin on ajoute au catalogue des œuvres de Jérôme 
d'Avost des quatrains intitulés De la vie et de la mort, 
qui ont été Imprimés, selon La Croix du Maine et 
Guill. Colletct, chez Jean Le Clerc. Nous avons lu sous 
ce titre des quatrains de Picrre Matthieu ; mais ceux 
de Jérôme d'Avost nous sont inconnus. 

La devise de ce poëte était : De muerte vida (1). 


BACHELOT (vves). 


Voici dans quels termes s'exprime sur Yves BACHELOT 
un de ses confrères en religion, qui était son contem- 
porain : 

«Yves Bachelot, né à Laval, le 25 novembre 1700, 
« prit l'habit des chanoines réguliers de la congréga- 
« tion de France dans l’abbaye de Toussaint d'Angers, 


la tête et à la fin de la Biblioth. franc. Mais toute cette fable est 
de l'invention d’Ansart. Nous trouvons, en effet,aux pages indi- 
quées, un sonnet et une épiître en vers, en l'honneur du sieur de 
Vauprivas ; mais ces deux pièces portent la signature de Hié- 
rosme d’'Avost, de Laval, et Guillaume d'Avost n'a jamais été 
qu’un personnage imaginaire, 

Ambroise d’Altamura, dans sa Biblisthèque Dominicaine, 
avaitinscritférôme d’Avost parmi les écrivains de l'ordre des frères 
Prècheurs. Cette erreur à élé signalée et corrigée par Echard. 
(Scripl. ord. PrϾdic.,1t.!, p. 340.) 

(1) Ibid. 


——S’ 


YVES BACHELOT. 205 


et y fit profession le 3 novembre 1720. L'abbaye 
de Painpont en Bretagne vit éclore ses premières 
inclinations ct particulièrement ce goût pour la 
retraite, qui, joint à l'amour qu'il avait pour sa 
patrie, l’empêcha d'occuper les places dont ses 
talents et sa régularité le rendaient digne. La majeure 
partie de sa vie s'écoula dans les maisons du Port- 
Ringeard, de Rillé, près Fougères, ct de Sainte- 
Catherine-de-Laval. Il avait demeuré à Troyes dans 
sa jeunesse, et y avait connu le fameux abbé Duguet. 
Naturellement vif et gai par caractère, il préférait 
la poésie à tout autre genre de sciences. Elle fit son 
amusement dans les demeures tristes où son propre 
choix l'avait conduit. Il acheva dans la solitude du 
Port-Ringeard un poëme qu'il avait ébauché dans 
les bois et le désert du Plessis-Grimould. Cet 
ouvrage a rapport à la Constitution et est intitulé : 
Lettres d'un Abbe à un de ses amis au sujet de la 
bulle Unigenitus. Ces lettres, qui sont au nombre de 


sept, renferment plus de six mille vers, et présen- 


tent l’histoire entière du jansénisme et du moli- 
nisme. Les faits y sont classés avec méthode et 
traités assez légèrement. De temps en temps on 
rencontre quelques saillies qui font oublier la séche- 
resse du sujet. M. Bachelot mourut à Laval en 1773, 
après avoir longtemps souffert d'une maladie de 
nerfs (4). » 


(1) Ansart, Bibl, lillér. du Maine, p. 79. 


206 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Cette notice d'Ansart contient tout ce qui nous est 
transmis sur Yves Bachelot. Ses Lettres, qui ne sont 
pas mentionnées par M. Quérard, ont-elles été impri- 
mées ? On ne le croit pas. 


BAHIER (Jean). 


Jean BaHIER, né en 1636, à Chatillon-sur-Colmont, 
bourg de l'archidiaconé de Laval, fit ses études au col- 
lège du.Mans, où il eut pour maître Jules Mascaron. 
Le maître avait deux ans de plus que son élève. Bahier 
fut ensuite admis dans la congrégation de l'Oratoire, 
en l'année 1654. Il acheva ses études dans la maison 
de Paris, où il fut recu le 9 novembre 1659. On 
l'envoya plus tard enseigner les lettres latines en 
divers colléges de son ordre. Estimé dans sa congré- 
gation, il en fut pendant trente ans le secrétaire et 
mourut le 2 avril 4707 (4). C'était un habile profes- 
seur et un sermonnaire de quelque mérite. Nous le 
connaissons, en outre, comme poëte latin et comme 
poëte français. 


(}) Moreri, Diclionnaire historique. 


JEAN BAHIER. 207 


I faut parler d’abord de ses œuvres imprimées, qui 
ne sont pas très-nombreuses. Ce sont des sermons et 
des vers. 

En 1668, étant professeur de rhétorique au collége 
de Troyes, il fit un poëme latin sous ce titre : Zn 
tabellas excellentissimi pictoris J. de Werner ad 
nobilem et eximium virum Eustachium Quinot ; 
Troyes, Jacquard, 1668, in-4°. La même année il tra- 
duisit ses vers latins en vers français. Voici le titre du 
poëme français : Peinture poëlique des tableaux de 
miniature de M. Quinot fuits par Joseph Werner ; 
Troyes, 1668, in-4°. Ce poëme français obtint les hon- 
neurs d'une seconde édition; il a été inséré dans le 
Recueil des poësies chrétiennes et diverses publié en 
4671 par Henri Louis de Loménie, comte de Brienne, 
avec une dédicace au prince de Conti par La Fon- 
taine (4). Joseph Werner avait peint à la miniature 
pour Quinault, son ami, plusieurs petits tableaux his- 
toriques ou allégoriques que tout Paris allait admirer 
et que dont on nous recommande encore aujourd'hui 
l'élégante finesse. Quinault, qui goûtait, il paraît, le 
talent poétique de Bahicr, le pria de décrire en vers 
ces tableaux si renommés. C'était lui demander ce 
qu'on appelle un tour de force. Il y a des vers faibles, 
on doit le prévoir, dans [es deux poëmes de Bahier; 
mais il y en à, dans le poëme français, qui méritent 


(1) Tom, IE, p. 374, . 


208 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


assurément l'honneur que leur a fait Loménie de 
Brienne en les insérant dans son Recueil. Voici la des- 
cription d'un portrait de Pallas : 


Voyez celte action, cette attitude juste, 

Ce mouvement, ce port et cette mine auguste, 
Cet air d'intelligence et ce feu gracieux, 

Ces esprits animés qui partent de ses yeux, 

Et ce modeste orgueil qui plait et qui menace, 
Cette belle fierté qui donne de la grâce. 
Voyez-la sur son trône et rêveuse et pensive : 

À quelque grand projet son âme est attentive; 
Elle penche sa tête et sa main sans eflort 

La soutient, et lui sert d’un commode support. 
Cette retraite même. où son âme enfoncée 
S’entretient en silence avecque sa pensée, 

Fait voir dessus son front, par de justes accords, 
Le secret de son cœur, le dedans au dehors. 
Les arts font autour d’elle un trophée à sa gloire, 
Et de ses faits divers une muette histoire. 


On trouve, dans le même poëme, une traduction 


heureuse du distique d'Ausone sur les infortunes de 
Didon : 


Je plains aussi, Didon, de tes deux mariages 

Ou les tristes succès, ou les cruels outrages. 

Tes époux l’un et l’autre ont causé tes malheurs : 
Lorsque l’un meurt, tu fuis; quand l’autre fuit, tu meurs. 


Nous remarquons et nous citons encore ce portrait 
de la reine Artémise : 


L'amour ingénieux qui grava dans son âme 
L'image de Mausole avec des traits de flamme, 


JEAN BAHIER. 209 


Et qui charma leurs cœurs par de communs appas, 
Les réunit jadis en dépit du trépas. 

Le crayon de Werner, en cette autre figure, 
Aujourd’hui fait revivre une flamme si pure, 

Et ce riche portrait, qu'il a produit au jour, 

Est un beau monument qu’il dresse à leur amour. 
Artémise en son deuil, et sans pleurs et sans plainte, 
Exprime la douleur dont son âme est atteinte. 

Si la plainte et les pleurs avaient un libre cours, 

Ses maux en recevraient, du moins, quelque secours; 
Mais comme son amour pour Mausole est extrême, 
Son cœur ne se plaint pas d’une peine qu’il aime; 

Et cet amour paraît, même encore aujourd’hui, 
Cultiver sa tristesse et nourrir son ennui : 

Car ce grand peintre a su tracer sur son visage 

De ces deux mouvements une commune image. 

L'un est peint sur son front et l’autre dans ses yeux, 
Par des traits différents de pâleur et de feux; 

Et ses beaux yeux, encore éclatants de lumière, 
Conservent son amour sous leur pâle paupière. 

La douleur sur son front à peine a respecté 

Les beaux traits de sa grâce el de sa majesté; 

L'on en peut pourtant voir de magnifiques restes.…. 


C’est ainsi qu'Artémise, et sans voix et sans pleurs, 
Sur un lit de parade étale ses douleurs. 
Près d’elle est un tombeau d’une riche structure, 
Qui sert de monument à la râce future, 
Et, malgré les rigueurs et des temps et du sort, 
Fait vivre son amour mêmes'après sa mort... 


Mais enfin, pour pompeux que fût ce mausolée 
Dont vous voyez 1ci la structure égalée, 


Ce n’était rien au prix de ce tombeau vivant 


210 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Que la reine en son cœur dressait à son amant. 
Quoique ce beau chef-d'œuvre, en son architecture, 
Ait lassé tous les arts, épuisé la nature, : 

Son cœur, peu satisfait de ses riches travaux, 

Ne peut souffrir le marbre et l’or pour ses rivaux. 
Voici donc que pour rendre à son époux la vie, 
Que malgré son amour la mort avait ravie, 

Par un rare secret d’un zèle plus qu’humain, 
Cette reine s’en fut, une coupe à la main, 

Boire de son amant la cendre bien aimée, 

Et lui faire en son cœur une tombe animée. 


Amants {rois fois heureux dans vos chastes amours, 
Si la mort n’en eût point interrompu le cours! 
Mais Artémise est morte, aussi bien que Mausole, 
Et ce riche tombeau, ce magnifique mole, 
Où devaient à jamais vivre ces deux amants, 
N’a pu se garantir de l’injure des ans. 
Même à peine avons-nous aujourd’hui dans l’histoire 
Du naufrage des temps sauvé votre mémoire. 
Consolez-vous pourtant dans un sortsi fâcheux, 
Vous revivrez encore aux yeux de nos neveux, 
Puisque du grand Werner la peinture éternelle 
Rendra de vos amours la mémoire immortelle !.… 


Nous sommes loin de prétendre que ces vers soient 
parfaits; ceux même qui se recommandent par une 
facture heureuse ne sont pas irréprochables : sans 
aucun doute, dans les fragments que nous venons de 
reproduire, il se rencontre beaucoup trop de ces jeux 
d'esprit qui ont été justement réprouvés par la critique 
moderne; mais, la part du blâme étant faite, on nous 


JEAN BAHIER. 2141 


accordera que certaines périodes sont bien tournées, 
-et qu'en somme le poëme publié par Loménie de 
Brienne assigne à notre Bahier une place assez hono- 
rable parmi les beaux esprits de son temps. 

= Bahier professait la rhétorique à Marseille, quand, 
en 1670, mourut Henriette d'Angleterre, duchesse 
d'Orléans. Chargé de prononcer son éloge funèbre 
dans l'église du collége, il parla, selon l'usage, en 
latin. Cet éloge a été imprimé, et cependant on ne le 
retrouve plus. Il scrait peut-être curicux de le com- 
parer aux autres panégyriques de la même princesse, 
par Bossuet, Mascaron et Sénault. La même année 4670, 
Bahier publia chez le libraire Garcin, à Marseille, un 
poëme latin de six cents vers en l'honneur de l'évêque 
Toussaint Forbin de Janson. Nous n'avons plus à men- 
tionner, parmi les écrits imprimés de Bahier, qu'un 
Remerciement à M. le duc de Duras, pair et mare- 
chal de France, au nom des prêtres de l’Oratoire du 
collége de Salins ; pièce de vers français, de vingt-six 
pages in-4°, sans date. | 

Ses œuvres inédites sont bien plus considérables. 
Elles étaient conservées, pour la plupart, dans Îa 
bibliothèque de la maison de l'Oratoire à Paris, d'où 
elles ont été transférées à la Bibliothèque qu'on appelle 
maintenant impériale. 

On y trouve d'abord, sous le num. 64 du fonds de 
l'Oratoire, une comédie latine, intitulée Drama comi- 
cum, qui parait avoir eu quelque succès. 


4 


919 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Un autre volume, inscrit sous le num. 1492 du même 
fonds, nous offre un bien plus grand nombre de pièces 
du même auteur, en prose et en vers, en vers latins 
ou français. Il convient de mentionner sommairement 
toutes ces pièces : Siances sur la prose du Saint- 
Esprit, en français, vers médiocres ; Sonnet sur la 
naissance de notre Seigneur, sonnet plat et mal tourné; 
Paraphrase du Psaume 50, longue paraphrase où 
nous ne remarquons pas une strophe qui mérite d’être 
citée ; Plainte de sainte Madeleine au pied de la croix, 
élégie bizarre, qu’on pourrait même trouver facétieuse, 
si l'on ne croyait pas fermement à la candeur du 
P. Bahier ; de nos jours, en effet, les seuls plaisants 
feraient ainsi parler l'illustre pécheresse : 


Il est mort, l’objet que j'adore! 
Il est mort, et je vis encore. 
0 cieux! c’est à mon cœur une trop dure loi! 
Dois-je souffrir le jour en perdant ce que j'aime, 
Et ne pas expirer moi-même, 
Le voyant expirer pour moi ?.. 


Arrêtez l’ardeur qui m'emporte 
Et rendez mon amour moins forte, 
Ou souffrez qu’en vivant je haïsse le jour, 
Et que ce feu divin qui sans cesse m’enflamme 
Ne vienne soutenir mon âme 
Qu’à la faire languir d'amour! 


Il y a un contraste remarquable entre le ton de cette 
pièce et celui de la pièce suivante : Vers à Angélique. 


JEAN BAHIER. 213 
Ces vers d'un prêtre à une femme qu'il aime comme il 
doit l'aimer expriment une tendresse toujours chaste; 
rien n'y fait même soupconner quelque secrète lan- 
gueur. | 
A cette série de petits poëmes français succèdent, 
dans le volume que nous avons sous les yeux, deux 
tragédies. La première, en vers latins, a pour titre 
Pueri martyres. Ces frères martyrs se nomment 
Pastor et Justus et la scène se passe sous l'empereur 
Dioclétien. Il suffit de lire les premiers vers de la pre- 
mière scène pour savoir que le tragique moderne s'est 
proposé d’imiter Sénèque. L'un des frères, Pasteur, 
s'exprime ainsi : 


Ergone fratrem, frater, ah socium tui 
Refugis triumphi? Siccine immemorem mei 
Generosus ardor mentis ad palmam rapit, 
Et, me relicto, præripis cœli viam? 

Ignosce de te durius si quid querar, 

Nos tale primis optimus genitor nihil 
Docuit ab annis.… 


Cette tragédie doit avoir été composée pour être 
jouée devant des élèves; aucune femme ne parait sur 
la scène, et l'auteur s'est contenté de faire trois actes, 
ne pouvant, avec une fable sans amour, plus longtemps 
entretenir l'attention de ses auditeurs. La seconde 
tragédie de Bahier est en cinq actes; mais l'amour y 
joue son rôle et les vers sont français. Elle a pour 
titre Flavius Clemens. Flavius Clemens, mari de 


914 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Domitile, sœur de Domitien, s'est laissé convertir 
à la religion chrétienne, et, ayant deux fils adoptés par 
l'empereur Domitien et destinés au trône, il les a 
secrètement engagés à déserter avec lui le parti des 
anciens dieux. Pour les mêmes chrétiens s’est aussi 
déclarée Flavie Domitile, nièce de Flavius et de l’em- 
pereur, aimée par Valerien et par Valens. L'apostasie 
de Flavius lui étant révélée, Domitien l'envoie au 
supplice. Aussitôt Flavie, les fils de Flavius, et après 
eux Domitile, Valens, Valérien, se déclarent pour 
le culte nouveau. Tel est le dénouement. L'intrigue est 
l'amour rival de Valérien et de Valens pour Flavie. Les 
premiers actes sont assez bien conduits ; il y a de la 
vigueur dans le cinquième, qui finit par cette conver- 
sion générale, peut-être miraculeuse, certainement 
inattendue. Les vers sont faciles, mais ordinairement 
lâches, sans traits littéraires. Pour avoir été contem- 
porain de Corneille et de Racine, Bahier ne leur sera 
jamais comparé. 

Après Flavius Clemens, nous lisons dans le même 
volume l’oraison funèbre, en latin, du duc de Beaufort : 
Illustrissimi principis Francisci Gastonis de Ven- 
dôme, ducis de Beaufort, Laudatio funebris ; après 
cette oraison funèbre, qui ne paraît pas digne de 
remarque, une épitre en vers latins à un chanoine du 
Mans, nommé Lemore : Clarissimo doctissimoque 
viro domino D. Lemore, insignis ecclesiæ Cenoma- 
nensis canonico, extemporalis Epistola ; puis, trois 


JEAN BAHIER. 915 


pièces, une en vers grecs, une en vers latins, la troi- 
sième cn prose latine, en l'honneur de saint Lezin, 
évêque d'Angers. Nous empruntons au poëme latin 
quelques vers sur l'église d'Angers, et en particulier sur 
un des plus illustres prélats de cette église, Henri 
Arnauld. L'auteur suppose, à limitation de Virgile, 
que saint Lezin, qui vient de monter au ciel, console 
l'église d'Angers, consternée de son départ, en lui 
révélant ses futures destinées : 


Talibus orantem cœlo solatur ab alto 

Nil mortale sonans sponsam, et spem mentibus addit 
Licinius : « — Non ulla mihi, dilecta, recedat 

Cura tui, aut caræ capiant oblivia sponsæ. 

Præside Licinio quondam ventura juventus 

Virtutem studio et musas majore capesset, 

Quotque tuis cernes quam lœta insidere templis 
Indigetes divos, stabit quibus integra morum 

Relligio, ingentes animas, quos inclyta virtus 
Primum aris deinde et patrio donabit Olympo! 

Quin et tempus ecrit {sed sera morabitur ætas) 

Cum tibi pastorem egregium, factisque potentem 

Et verbis, vacuas rectore imponet ad aras 

Cura poli! Magnis non usquam heroibus impar 

Hic fuerit, veterum quo non vigilantior alter 

Divinis regat Andinam sub legibus urbem. 

Hic vir hic est postrema parem cui sæcula quemquam 
Haud tulerint! Sed enim quid te juvat usque morari; 
Huc animos adverte tuos spesque erige lœtas, 

Hic Henricus erit! » 


Il nous plaît de reproduire ces vers d’un prêtre, d’un 


9216 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


religieux, rendant hommage aux vertus d'un évêque 
que la mode actuelle est de calomnier. 

Suit un long poëme latin, qui a pour objet de féli- 
citer Jules Mascaron, convalescent après une grave 
maladie : À. P. Julio Mascaron Soterion ; avec une 
épiître en prose, où Bahier rappelle à Mascaron qu'il a 
jadis été son élève. Remarquons, en outre, les deux 
derniers vers du poëême : 


Ista Tricassinæ, Juli, Soteria Musæ 
Pangebant, positis concessa per otia libris. 


Ils signifient que Bahier composa ce poëme étant 
professeur de rhétorique au collége de Troyes. — Nous 
lisons à la suite quelques hexamètres, sans titre, 
adressés à Jean Cabassut, de l'Oratoire, célèbre cano- 
niste, et une épitre au roi, en vers latins, sur son expé- 
dition en Franche-Comté : Regi invicto post hibernam 
in Sequanos expeditionem. Satisfait sans doute des 
derniers vers de son épitre latine, Bahier les a tra- 


duits en français. Voici la traduction : 


Quelle rapidité de conquête en conquête, 

En dépit des hivers, guide tes étendarts! 

Et quel dieu dans tes yeux tient cette foudre prête, 

Qui fait tomber les murs d’un seul de tes regards ? 
À peine tu parais qu'une province entière 

Rend hommage à tes lis et justice à tes droits, 

Et ta course en sept jours achève une carrière 

Que l’on verrait coûter un siècle à d’autres rois. 


JEAN BAHIER. 217 


En vain pour t’applaudir ma muse impatiente, 
Attendant ton retour, prête l’oreille au bruit ; 
Ta vitesse l’accable et sa plus haute attente 
Ne peut imaginer ce que ton bras produit. 


Mon génie étonné de ne pouvoir te suivre 
En perd haleine et force, et mon zèle confus, 
Bien qu’il l'ait consacré ce qui me reste à vivre, 
S’épouvante et l’admire, et n’ose rien de plus. 


Je rougis de me taire et d’avoir tant à dire : 
Mais c’est le seul parti que je puisse choisir. 
Grand roi, pour me donner quelque loisir d'écrire, 
Daigne prendre pour vaincre un peu plus de loisir. 


_ Le volume inscrit sous le num. 492 dans le fonds 
de l'Oratoire se termine par des vers français à l’évêque 
de Marseille, Forbin de Janson, des vers latins à Bos- 
suct et quelques autres vers, latins ou français, com- 
posés en l'honneur de personnes inconnues. 

Enfin Bahier voulut être compté parmi les auteurs 
reconnaissants qui firent parvenir au surintendant Fou- 
quet, dans sa disgrâce, des lettres de condoléance. On 
a de lui un poëme latin sous ce titre : Fuquetus in 
vinculis. Ce poëme, qui se compose d'environ cent 
cinquante vers hexamètres assez bien tournés, est une 
prière à la mère du Christ, placée par l'auteur dans la 
bouche de Fouquet. Ansart prétend qu'il a été imprimé; 
mais nous en doutons. Nous n'en connaissons, pour 
notre part, qu'une copie manuscrite dans un des volu- 
mes de la bibliothèque du Mans (1). 


(1) Miscellanées, num. 3,835 de la grande salle, 


218 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


BARBEU-DUBOURG (Jacouss). 


Jacques Barseu-Dusoure est né à Mayenne le 
42 février 4709. Il fut d'abord incertain sur le choix 
d'une profession. Très-versé dans l'étude des langues 
anciennes et sachant tirer bon parti de ses connaissan- 
ces littéraires, il avait le désir et l'espoir de se faire 
un nom parmi les lettrés ; mais, d'autre part, il avait 
étudié les sciences que l’on appelle exactes, et il ne 
désespérait pas d'occuper quelque jour une place hono- 
rable parmi les docteurs. Il publia d'abord : Lettre d'un 
garçon barbier à l'abbé Desfontaines sur la maîtrise 
ès-arts; Paris, 1743, in-12. Il s'était alors depuis 
longtemps décidé pour les sciences et exerçait à Paris 
la profession de médecin. Il fit ensuite paraitre Deux 
lettres à une dame, au sujet d'une expérience de chi- 
rurgie faite à la Charité; Paris, 1744, in-8°. A cette 
publication succédèrent plusieurs thèses dont nous 
n'avons qu’à reproduire les titres : Datur ne etiam 
vitalium organorum somnus ? Paris, 1746, in-4°; An 
variolarum morbus absque eruptione ? Paris, 1747, 
in- 4°; Utrum anni climaterici cæteris periculosiores ? 
Paris, 1747, in-4°; An prœcipua sanguinis officina 
pulmo ? Paris, 1748, in-4° ; An fracheotomiæ nunc 
scapellum, nunc trigonus mucro ? Paris, 1748, in-4°. 


JACQUES BARBEU-DUBOURG. 219 


Il traduisit ensuite de l'anglais : Lettres sur l'histoire, 
par Henri Saint-Jean, lord vicomte de Bolingbroke ; 
Paris, 1752, 2 vol. in-8°. L'année suivante il publia 
la Chronographie, ou description des temps, in-8°, 
avec 35 planches in-folio. Nous lisons au frontispice 
de cet ouvrage que Barbeu-Dubourg était, en 1753, 
professeur de pharmacie en l'Université de Paris. I l’a 
composé, dit-il, pour enseigner l'histoire selon la 
même méthode que la géographie, et il a exposé son 
plan dans une préface écrite avec beaucoup d'élégance. 
Ce plan consiste à rapprocher les faits au moyen de 
cartes, ou tableaux synchroniques. On a bien souvent, 
depuis l’année 1758, tracé des tableaux semblables 
pour l'usage de la jeunesse : s'ils ne sont pas com- 
mentés par un professeur habile, ils sont pour l’intel- 
ligence plutôt un embarras qu'un secours. On doit 
encore à Barbeu-Dubourg un aide-mémoire du même 
genre : Sommaire de chronologie, en vers techniques, 
in-8°, de 3 pages. 

Barbeu-Dubourg a, dit-on, fondé la Gazette d’'Épi- 
daure, continuée sous le titre de Gazette de Médecine ; 
Paris, Grangé, 1761-1763, 5 vol. in-12. C’est un 
recueil toujours estimé. I l'était plus encore en l’année 
4762 et le docteur qui passait pour le diriger avait à 
ce titre, même hors de France, une véritable célé- 
brité. Il jouissait des profits de cette gloire, quand un 
médecin flamand, nommé Du Monchaux, lui en fit 
connaître les inconvénients. On raconte ainsi l’aven- 


I 8 


290 HISTOIRE LILTÉRAIRE DU MAINE. 


ture. Du Monchaux ayant fait un mauvais livre, intitulé, 
d’ailleurs, très-simplement : Anecdotes de Médecine, 
crut devoir le recommander au public par les initiales 
de « M. Barbeu-Dubourg, docteur régent de la faculté 
« de médecine de Paris. » Barbeu se vit donc obligé 
de dénoncer l'imposture (1). | 
Quelques années après notre docteur publia 
Recherches sur la durée de la grossesse et le terme de 
l'accouchement; Amsterdam, 1765, in-8°. Ensuite 
parut Le Botaniste français; Paris, Lacombe, 2 vol. 
in-12. A l'occasion de celivre, Barbeu-Dubourg eut 
d'autres ennuis; Adanson lui reprocha d’avoir repro- 
duit ses opinions, sans le citer. Quoi qu'il en soit, 
Le Botaniste français est encore et souvent con- 
sulté. « On n'y trouve, dit M. Du Petit-Thouars, 
« aucune découverte; mais celles qui ont été faites 
« précédemment y sont mises en œuvre d’une manière 
« exacte et très-habile (2). » Ansart a fait dans sa 
Bibliothèque l'analyse de cet ouvrage. D’autres écrits 
de Barbeu sur la botanique furent publiés les années 
suivantes : Usage des Plantes, Paris, 1767, 2 vol. 
in-19, et Manuel de Botanique; Paris, 1768, in-12. 
On ajoute à la liste des œuvres de Barbeu : Opinion 
d'un médecin de la faculté de Paris en faveur de 
l'inoculation de la petite verole ; Paris, 1769, in-12. 
Barbeu-Dubourg avait d'abord combattu le système 


(1) Louis Bachaumont, Mémoires secrets, 1. I, p. 86. 
(2) Biographie universelle. 


JACQUES BARBEU-DUBOURG. 291 


de l’inoculation dans la Gazette d'Epidaure; il en 
était ensuite devenu partisan. Éléments de Médecine 
en forme d'aphorismes; Paris, 1770, in-12 ; ouvrage 
oublié. Lettre d’un médecin de la faculté de Paris à 
un de ses confrères, au sujet de la Societé royale de 
Médecine; in-8° : c'est une brochure de quelques 
pages, sans date. Barbeu a même écrit un mémoire 
judiciaire : Mémoire à consulter pour M° Jacques Bar- 
beu-Dubourg et consorts, tous docteurs-régents de la 
faculté de médecine de Paris, 83 octobre 1768, avec 
une brève consultation de Tenneson. Ce mémoire est 
contre le doyen, qui s’était écarté des règlements et de 
l'usage en substituant le vote par écrit au vote verbal 
dans une des assemblées de la faculté. Barbeu- : 
Dubourg, ayant vivement protesté contre cette inno- 
vation, porta l'affaire devant le parlement. 

Nous avons recherché avec plus de soin les opus- 
cules politiques de Barbeu-Dubourg. Il appartenait au 
parti des philosophes, des réformateurs. La révolution 
d'Amérique l'avait rempli d'enthousiasme, et il ne se 
contentait pas d'admirer de loin le magnifique spectacle 
que donnait au monde une nation affranchie, réglant 
elle-même ses propres destinées ; il prétendait encore 
faire partager cet enthousiasme et propager en France 
les idées américaines. C'est dans ce dessein qu'il tra- 
duisit de l'anglais de Jean Dickinson : Lettres d'un 
fermier de Pensylvanie aux habitants de l'Amérique 
septentrionale, Amsterdam, 1769, in-8°, et les OŒEu- 


229 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


vres de B. Francklin; Paris, 1718, 2 vol. in-4°. Le 
même esprit à inspiré Le Petit code de la raison 
humaine ; Londres, 1774, in-8° : Passy, 1789, in-24; 
Paris, 1789, in-12. Presque tous les exemplaires de 
l'édition de 1782 ont été envoyés en Amérique. Franc- 
klin, qui était un des amis de Barbeu-Dubourg, faisait 
grand cas de cet ouvrage. Il a de la naïveté, mais il 
ne se recommande guère, à notre avis, par d’autres 
mérites. Nous mentionnerons encore : Le Calendrier 
de Philadelphie, ou Constitutions de Sancho-Pança 
et du bonhomme Richard en Pensylvanie ; Phila- 
delphie et Paris, 1778, in-12. 

Barbeu-Dubourg mourut à Paris, le 44 décem- 
bre 4779. Il laissait en mourant plusieurs manu- 
scrits dont voici les titres : Lettre à Mademoiselle... 
sur les vents; Objections à M. Basselin sur la qua- 
drature du cercle; Projet d'un cours complet de mede- 
cine. L'abbé Renouard dit de lui : « Barbeu avait 
« beaucoup d'affabilité, une douceur inaltérable. 
« L'habitude de voir des malades ne lui avait rien ôté 
« de cette sensibilité compatissante qu’il avait reçue 
« de la nature, et qui fait le plaisir et le tourment de 
« ceux qui en sont partagés. Son caractère fit son 
« bonheur, celui de sa famille : pour tout dire en un 
« mot, il fut l'ami de Francklin (4). » 


(1) Essais histor. sur le Maine, t. Il, p. 201. 


M 


NICOLAS BAUDOUIN. 993 


BAUDOUIN (Nicoas). 


L'abbé Nicolas BaupouiN, né à Laval, chanoine de 
Saint-Michel en cette ville, prit une part très-active à 
quelques controverses liturgiques du siècle dernier. Il 
publia d'abord : Apologie des cérémonies de l'Église, 
expliquées dans leur sens naturel et littéral : Bruxelles, 
17492, in-12. Vers le même temps parurent les derniers 
volumes de l'Explication simple, litteéraleet historique 
des cérémonies de l'Église, par Claude de Vert. 
Comme les précédents, ces volumes furent vivement 
censurés. Baudouin, qui était du parti de Claude de 
Vert, prit sa défense dans l'écrit suivant : Remarques 
critiques sur un livre de M. l'abbe de Vallemont, inti- 
tule : Dissertation du secret des mystères; Bruxelles, 
4717, in-8°. I] s'agissait de savoir si le canon de la 
messe doit être lu par l'officiant à voix haute, ou à 
voix basse, et c'était la matière d'un grand débat. 
CI. de Vert et Baudouin défendaient la lecture à voix 
haute, et celui-ci, s'emportant contre les partisans de 
la lecture à voix basse, les appelait des « dévots médi- 
« tatifs, quiaperçoivent de grands mystères jusques 
« dans les vitres des fenêtres des églises, et dans les 
« tuiles qui en couvrent le toit. » Nous connaissons 
beaucoup de ces gens trop subtils : mais ce ne sont 


. 994 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


plus des dévots; ce sont tout simplement des 
archéologues. On doit encore à Nicolas Baudouin : De 
l'éducation d'un jeune seigneur ; Paris, 1728, in-8°. 
M. Quérard attribue faussement à Nicolas Baudouin 
une tragédie en cinq actes, Démétrius, qui fut pour 
la première fois représentée en l’année 1785 et peu de 
temps après imprimée. L'auteur de cette tragédie est 
un autre Baudouin, épicier-droguiste à Saint-Germain- 


en-Laye, qui mourut un siècle environ après notre 
abbé. 


BAUDRY (RENÉ). 


René Baupry désigne en latin son lieu natal en 
ajoutant à son nom l'adjectif Ansiacus. S'agit-il 
d'Azé près de Château-Gontier, ou bien d'Assé-le- 
Boisne, d'Assé-le-Béranger, d’Assé-le-Riboul ? Nous ne 
savons. Quoi qu'il en soit, ce René Baudry n'est connu 
que comme auteur de quatre vers latins en l'honneur 
de René Flacé, qui se trouvent en tête du Speculum 
hærelicorum (1). 


(1) Biblioth. impériale, Man. lat., num. 8,405. 


MICHEL BAULDRY. 995 


BAULDRY (MicneL). 


Michel Bauzpry, né dans le Maine, on ignore en 
quel lieu, entra chez les bénédictins d'Evron dans 
les premières années du xvne siècle. Il s’appliqua par- 
ticulièrement au droit canonique, et obtint le grade 
de licencié en cette faculté. Il fut ensuite grand-prieur 
de Lagny et de Maillezais. On a la preuve qu'il 
embrassa la réforme de Saint-Maur dans un mémoire 
cité par Ansart et attribué à Jacques Guichon, avocat 
au parlement (4). Cependant Tassin et Leclerc ont omis 
de compter Michel Bauldry parmi les écrivains de la 
congrégation de Saint-Maur, et c'est un oubli que 
nous devons réparer. 

Ansart protestait, comme grand-prieur de Maillezais, 
contre la sécularisation de cette antique abbaye; mais 
il perdit son procès : après de longs débats, Louis XIV 
confirma la bulle du pape, par lettres-patentes du 20 
mai 1664, vérifiées en parlement le 4 mai 1665 (2). 


(1) Le titre de ce mémoire est: Factum pour M. Bauldry, 
grand-prieur de l'église collégiale et régulière de Muillezais, 
etc., etc., appelant comme d'abus de la bulle de sécularisation 
de ladile église du 14 janvier 1631, elc, elc., contre Raoul, 
évêque dudit Maillexais; 1654, in-fol. 

(2) Mémoires du clergé, t. IE, col. 32, 37. 


2926 . HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Ch. de Montchal, archevêque de Toulouse, ayant 
publié un rituel à l'usage des prêtres de son diocèse, 
invita Michel Bauldry à donner sur cette matière un 
ouvrage plus étendu. Bien qu'elle eût été traitée plus 
d’une fois, des lacunes et des imperfections étaient 
signalées dans tous les manuels en usage. Bauldry 
s'acquitta de cette tâche laborieuse, se proposant, 
d’une part, d’instruire les clercs ignorants, et, d'autre 
part, de recommander l'observation plus rigoureuse 
des pratiques ecclésiastiques aux fidèles dont la dévo- 
tion avait pu être inquiétée par la controverse protes- 
tante. Pour apprendre lui-même à fond toutes les 
variétés de la liturgie, il visita les églises les plus 
renommées du monde chrétien. Après quelques années 
de séjour à Rome, il revint à Paris et eut de fréquents 
entretiens avec les hommes les plus considérables 
par leur savoir, observant tout, interrogeant les 
experts sur les choses les plus minutieuses. Il mit 
ensuite en ordre les notes qu'il avait prises en divers 
lieux, et les publia dans un volume dont l'impression 
fut achevée au mois de décembre de l'année 1636. 
En voici le titre: Manuale sacrarum Cæremo- 
niarum juxta ritum Romanum; Paris, J. Billaine, 
1637, in-8. Ce Manuel est dédié à Ch. de Mont- 
chal (4). Nous lisons dans l'Avertissement au lecteur 


(1) La seconde édidion parut en 1616, in-4°, chez Billaine. 
Cette seconde édition, emendata novisque additionibus locu- 
pletata, fut réimprimée à Venise, chez Balleoni, en 1681, in-40. 


LAZARE DE BAYF. | 297 


la plupart des détails que nous avons rapportés 
concernant la vie de Michel Bauldry. Le P. Hilarion 
de La Coste nous apprend, en outre, qu’il était un 
des amis du P. Mersenne. 


BAYF (LAZARE DE). 


Les sieurs de Bayf, famille ancienne d'Anjou, habi- 
taient le château des Pins, près La Flèche, et possé- 
daient au Maine les terres seigneuriales de Verneil- 
le-Chétif et de Mangé. Ils portaient de gueules à deux 
léopards d'argent l'un sur l’autre, en chef de même (1). 
Fils de Jean de Bayf, qui s'était signalé sous les armes, 
magni nominis equite (2), et de noble dame Marguerite 
Chasteignier de La Roche-Posay (3), Lazare de Bavyr 
naquitaux Pins, vers l'année 1490. Ilembrassa d'abord, 
dit-on, l’état ecclésiastique. Il se rendit ensuite à Paris, 


Un exemplaire de cet ouvrage, chargé de corrections et de 
notes manuscrites, est à la Bibliothèque impériale, départ. des 
manuscrits, paquet 49, num. 6, du Résidu de Saint-Germain. 
(1) M. Cauvin, Essai sur l'Armorial du diocèse du Mans. 
(2) Elogia Scævolæ Sammarthani. 
(3) Ménage, Remarques sur la vie de Guill. Ménage, pag. 193. 


8* 


298 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


où nous le voyons, âgé de vingt ans environ, assister 
aux séances du parlement. Il apprend les lois, pour 
les défendre comme avocat ou les appliquer comme 
magistrat. Mais bientôt, suivant les conseils d’un ami, 
Christophe de Longueil, il ferme ses livres, quitte le 
parlement, quitte Paris, et court à Rome, où il va, 
dit-il, se former l'esprit (1). Son fils, Jean-Antoine de 
Bayf, a raconté ces premières années de sa vie en 
des vers faciles qu'il nous plaît de citer : 


Ce mien père angevin, gentilhomme de racé, 

L'un des premiers Français qui les muses embrasse, 
D'’ignorance ennemi, désireux de savoir, 

Passant torrents et monts, jusqu’à Rome alla voir 
Musure (2), Candiot, qu’il ouit pour apprendre 

Le grec des vieux auteurs et pour docte s’y rendre : 
Où si bien travailla que, dedans quelques ans, 

Il se fit admirer et des plus suffisans. 

Docte il revint en France, et comme il ne désire 
Rien tant que le savoir, en Anjou se retire 

Dans sa maison des Pins, non guère loin du Loir, 
À qui Ronsard devait si grand nom faire avoir. 


(1) Ces renseignements se trouvent à la fin du Traité de 
Lazare de Bayf De re Vestiaria. Christophe de Longueil parle 
aussi, dans une de ses lettres à Guill. Budé, du voyage qu'il 
tit à Rome avec Lazare de Bayf; Epistolar. lib. I, fol. 166, 
verso. 

(2) Marc Musurus, né à Candie, enseigna le grec à Venise et 
à Rome avec une grande réputation. Il mourut en 1517, avec 
le titre d’archevèque de Malvasie, en Morée. On a de lui plu- 
sieurs ouvrages très-estimés. 


LAZARE DE BAYF. 299 


De retour en France, Lazare de Bayf recoit de 
François Ie l'accueil que ce prince faisait à tous les 
gentilshommes qui montraient du goût pour les lettres. 
Ilest prié de venir à la cour, pour y occuper l'emploi de 
protonotaire, en attendant qu'il y ait une vacance dans 
les ambassades. Jean-Antoine de Bayf poursuit donc 
en ces termes son récit poëtique : 


Ce bon Lazare là, non touché d’avarice, 

Et moins d’ambition, suit la muse propice, 

Et rien moins ne pensait que venir à la cour, 
Quand un courrier exprès à sa retraite court 

Le sommer de la part du grand roi qui le mande, 
Et le venir trouver sans refus lui commande. 
Qu’eût-il fait? devait-il au repos s’amuser 

Où vivait si content? pouvait-il refuser 

Son roi qui le mandait? C’est un pauvre héritage 
De croupir au savoir, sans le mettre en usage. 

Ïl se range à son roi, qui ne le renvoya, 

Mais l’ouit et le chérit et bientôt l’employa (1)... 


Dès l'année 1529, Lazare de Bayf fut désigné pour 
aller représenter la France à Venise, et Jean Du Bellay, 
qui était à Londres, crut devoir le recommander en ces 
termes au maréchal de Montmorency : « J'ai entendu, 


(1) Nous regretions de ne pouvoir consacrer une notice spé- 
ciale à l'auteur de ces vers. Il n’est pas né dans le Maine, mais 
dans les états de Venise, durant l'ambassade de son père. 
Lazare de Bayf, qui n'était pas marié, eut à Venise une intri- 
gue galante avec une demoiselle de condition, et de cette union 
illégitime naquit Jean-Antoine de Bayf (Ménage, au licu cité.) 


230 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


« Monseigneur, qu’on envoie le protonotaire de Bayf 
« être ambassadeur à Venise. Je vous promets que 
« quiconque en aura fait élection n'y aura deshonneur, 
« et que mais qu'il ait un peu passé par l'étamine des 
« affaires, il sera bien pour faire bon service au 
« roi (2). » Nous ne savons pour quel motif son 
départ fut alors ajourné, mais on s'accorde à dire 
qu’il ne se rendit pas à son poste avant l'année 1531. 
Les États de Venise étaient alors alliés à la France. 
Menacés dans leur indépendance par les entreprises 
de Charles-Quint, ils avaient enfin compris que leur 
véritable ennemi n'était pas au-delà des Alpes, et ils 
étaient entrés, avec le pape, les Florentins etles Suisses, 
dans la ligue conclue à Cognac en l'année 15926. 
Lazare de Bayf devait maintenir les Vénitiens dans les 
bons sentiments qu'ils avaient tardivement conçus 
pour la France et les rendre de plus en plus méfiants 
à l'égard de l'Espagne. Cependant, quand, au mois de 
décembre de l’année 4531, Lazare de Bayf vint rem- 
plir à Venise les fonctions d'ambassadeur, si les rois 
de France et d'Espagne se préparaient à de nouveaux 
combats, ils ne voulaient manifester l’un et l’autre 
que les intentions les plus pacifiques. On se préoccu- 
pait surtout, en Italie, de l'approche des Turcs, qui, 
ayant pénétré dans la Hongrie et dans la Dalmatie, 
menaçaient déjà les possessions vénitiennes. 


(1) Lettre de JS. Du Bellay à M. de Montmorency, du 45 juin 
1529. Manuscrits de Bethune, n° 8,603. (Bibl. impér.) 


LAZARE DE BAYF. 931 


Dans sa correspondance avec le roi, avec les princi- 
paux officiers de la couronne, avec l'ambassadeur de 
la France dans les États de Rome, l’évêque d'Auxerre, 
Lazare de Bayf parle sans cesse des alarmes que les pro- 
grès des Turcs causaient à Venise, durant les années 
1534 et 1532. Il ne dissimule pas, toutefois, que la 
__cour de Rome exagère à dessein la gravité du péril, et 

ajoute elle-même à l'inquiétude des populations en 
faisant répandre des bulletins et des bruits mensongers. 
Ainsi, le 26 janvier 1531, il écrit à l'évêque d'Auxerre : 
« Monseigneur, je vous dirai bien que l'on fait en 
« cette ville quelque remontrance d’avoir peur de la 
« venue du Turc, mais je me doute fort que ce soit 
« pour avoir occasion detirer argent de leurs sujets ; et 
« Dieu voulsist que ainsi füt (4)! » Cependant, après 
quelques mois de séjour à Venise, Bayf se laisse gagner 
par la terreur commune : « ce grand chien de Turc,» 
comme il a coutume d'appeler le sultan, ne laisse 
plus de repos à son esprit et il demande que tous les 
princes chrétiens s'unissent enfin pour le combattre (2). 
C'était répéter ce qu'il entendait dire. En efet, 
outre la raison fiscale, les cardinaux romains et les 
marchands vénitiens avaient encore un autre motif 
pour faire montre d'une vive terreur : ils désiraient 


Pa 


(4) MS. de la Bibliothèque impériale, collection Dupuy, sous 
le n° 265. 

(2) Négociations de la France dans le Levant, par M. Char- 
rière, t. I, p. 236. 


LE 


939 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE,. 


fort éloigner des champs de l'Italie les Français, les 
Espagnols et les Impériaux, et associer à une même 
entreprise contre le Turc les deux princes, rivaux 
de puissance et de gloire, qui l’un et l’autre n'atten- 
daient qu'un prétexte pour déchirer le traité de 
Cambrai. 

Lazare de Bayf n'eut à régler, durant les années 
1532 et 1533, aucune de ces grandes affaires qui font 
la réputation d'un négociateur. Cependant le roi fut 
content de ses services et, pour l'en récompenser, il 
lui donna plusieurs abbayes, entre autre celles de 
Charroux et de Grenetière. Les produits de ces béné- 
fices devaient l’entretenir honorablement dans son 
ambassade. Obligé à de grands frais, il écrivait à 
à l’évêque d'Auxerre, le 20 février 1532 : « Monsei- 
«gneur, touchant l'abbaye qu'il a plu au roi me 
« donner, comme je crois que aurez su, je vous prie. 
« qu’il vous plaise me aïder envers notre Saint-Père 
«et ceux qui auront la charge du négoce, que je 
«ne paye rien de la composition et annate, car je 
«suis ici en une grosse dépense... » Lazare de 
Bayf quitta Venise dans le cours de l’année 1533. 
Il fut ensuite chargé de diverses négociations en 
Espagne et en Allemagne (1540), où il fut envoyé 
pour assister à la diète de Spire. Il avait près de 
lui, dans ce voyage diplomatique, le jeune Charles 
Estienne et le cadet d'une maison du Bas-Ven- 
dômois dont la tutelle lui avait été confiée; ce jeune 


LAZARE DE BAYF. 9233 


homme, alors âgé de seize ans à peine, était Pierre de 
Ronsard (1). 

La conduite que tint Lazare de Bayf dans ces 
difficiles emplois lui mérita d’abord le titre de con- 
seiller clerc au parlement de Paris. Sa nomination, 
signée par le roi le 47 novembre 1533, ne fut pré- 
sentée que le 27 mars 1534(2). En janvier 1536, nous 
le voyons envoyé par la cour vers le roi. Il s'agissait 
de protester contre des lettres-patentes qui avaient 
conféré deux offices de conseillers clercs à des laïques 
mariés. Bayf alla trouver le roi dans la ville de Cré- 
mieu, lui fit sa remontrance et attendit sa réponse ; 
mais le roi, sans répondre, le renvoya devant le chan- 
celier, et le chancelier s’excusa de ne pouvoir retirer 
lesdites lettres-patentes, attendu qu'elles avaient été 
signées pour complaire à de puissants personnages, 
les plus zélés serviteurs et les meilleurs ami du roi, le 
cardinal Du Bellay et Guillaume de Langey, son frère. 
Ainsi Bayf ne réussit pas dans cette ambassade (3). 
En 1541, il fut nommé maître des requêtes ordinaires 
de l'hôtel du roi. 

Il habitait, en l'année 1543, le quartier de l'Univer- 
sité, remplissait assidûment auprès du roi sa fonction 
de maître des requêtes, et employait tous ses loisirs aux 


(1) Vie de P. Ronsard, par Cl. Binet. — Oraison funèbre de 
Ronsard, dans letom. IX de ses Œuvres, édit. de 1630. 

(2) Registres de la ch. du conseil du parlement (27 mars 1534), 

(3) Ibid. (20 mars 1536). 


934 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


travaux littéraires qui ont placé son nom parmi ceux 
des créateurs de la prosodie française. Ronsard, qui 
demeurait aux Tournelles, venait lui rendre de fré- 
quentes visites et profitait des leçons que Jean Dorat 
donnait au jeune fils du docte conseiller, Jean-Antoine 
de Bayf. 

On compte Lazare de Bayf au nombre des huit 
maitres des requêtes qui assistèrent, en 1547, aux 
funérailles de François Ie. Mais il mourut peu de 
temps après, la même année que ce prince. Ronsard 
fit son éloge funèbre en des vers médiocres. De ces 
vers voici la première strophe : 


Si les Dieux 
Larmes d’yeux 
Versent pour la mort d’un homme, 
A cette heure, 
Dieux, qu’on pleure 
* Et qu’en deuil on se consomme ! 


Et voici la dernière : 


À l'ignorance il eut guerre. 
L'excellence 
De la France 
Mourut en Budé première ; 
Et encores 
Morte est ores 
Des muses l’autre lumière (1)! 


(1) Œuvres de Ronsard, 1. IV, p. 641 de l'édition de 1630. 


LAZARE DE BAYF. 235 


Les œuvres de Lazare de Bayf se composent de trois 
petits traités sur les vêtements, les vases et les navires 
des anciens, de plusieurs traductions en vers, de quel- 
ques poëmes et de sa correspondance diplomatique, 
qui est considérable. 

Le traité sur les vêtements des anciens est le pre- 
mier ouvrage de Lazare de Bayf : il y travailla durant 
le voyage qu'il fit à Rome avec Christophe de Lon- 
gueil. Voici le titre de cet opuscule, dont la première 
édition paraît être celle de Bâle, 1526, in-4° : Laz. 
Bayfii Annolationum in L. vestis FF. de auro et 
argento legato liber. Il est dédié à Jean, cardinal de 
Lorraine. On peut apprécier quel en fut le succès, par 
le nombre des éditions qu'il obtint dans l’espace de 
quelques années. Nous désignerons celles de Bâle, 
Froben, 1531 et 1537, in-4° ; de Paris, 14535, 1536, 
1541, 1549 ; de Leyde, 1536. Georges Grœvius a 
réimprimé ce traité, dans le tome VI de son Thesaurus 
Antiquit. Romanarum. Les savants le consultent 
encore. Une édition de Paris, Rob. Etienne, 1547, 
in-8, contient un abrégé fait par Ch. Etienne, avec 
le consentement de l'auteur, et une traduction fran- 
çaise, in adolescentulorum gratiam et utilitatem. 

C'est au retour de son ambassade à Venise que 
Lazare de Bayf donna ses traités sur les vases et sur 
les navires anciens. Le traité sur les vases, Las. Bayfi 
de Vasculis liber singularis), dédié par l’auteur au 
chancelier Antoine Du Bourg, parut pour la première 


936 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


fois en 4535, à Paris, chez Jean Masse; ensuite 
à Lyon, en 1536, chez les héritiers de S.-Vincent. On 
en connaît d'autres éditions, de Robert Estienne, 
Paris, 4543 et 1547, in-8, sous ce titre : De Vasculis 
libellus, adolescentulorum causa ex Bayfio decerptus, 
addita vulgari latinarum vocum interpretatione. Il 
se trouve encore dans le tome IX du Thesaurus 
Grœcar. Antiquitatum de Gronovius. Le traité sur les 
navires à pour titre : Annotationes in L. IT de cap- 
hivis et postliminio reversis, in quibus tractatur de 
re naval; Paris, Rob. Etienne, 14536 et 4549, in-4°; 
Lyon, 1537, in-8; Bâle, Froben, 1537, 1541, in-4°. 
Gronovius l'a inséré dans le tome XI de son Recueil. 
Dans le temps où Lazare de Bayf publiait cet ouvrage, 
Etienne Dolet achevait à Lyon son livre De re naval. 
Il parait qu'il mit à profit les recherches de Bayf et 
dissimula ses emprunts. Cette conduite peu loyale fut 
vivement censurée par un des amis de Bayf, ou peut- 
être par lui-même. Dolet se défendit le mieux qu'il put. 

Ces divers traités de Lazare de Bayf furent pen- 
dant longtemps fort goûtés. Lefebvre de La Boderie 
les a mentionnés dans sa Galliade : 


Lazare de Bayf qui, au temps oublieux, 

As doctement ravi les vêtements des vieux, 

Et recherché les noms et toute la fabrique 

Des naus et nautonniers et de tout l’art nautique (1)... 


(1) Galliade, cercle Ier, p. 32. 11 y a des éditions des trois 
traités de Bayf réunis sous ce titre : De re vesliaria et navali ; 
Paris, 1538 et 1353, in-8v; Bâle, 1541, in-40, 


LAZARE DE BAYF. 937 


Les traductions de Bayf ont été estimées, mais 
n'ont pas eu toutefois autant de succès que ses traités. 
Nous parlerons d'abord de sa traduction littérale de 
l'Electra de Sophocle, publiée sous ce titre : La tra- 
gédie de Sophocle intitulée Electra, contenant la ven- 
geance de l'inhumaine et très-piteuse mort d'Aga- 
memnon, roi de Mycènes ; Paris, Roffet, 14537, in-8. 
On ne savait guère alors ce que c’était qu’une tragé- 
die : aussi l’auteur crut-il devoir donner de ce terme 
la définition suivante, qu'on trouvera sans doute fort 
singulière : « Tragédie est une moralité composée des 
« grandes calamités, meurtres et adversités survenues 
« aux nobles et excellents personnages, comme Ajax 
« qui s'occit pour avoir été frustré des armes d’Achil- 
« le, OŒdipus qui se creva les yeux après qu'il lui fut 
« déclaré comme il avait eu des enfants de sa propre 
« mère après avoir tué son père; et plusieurs autres 
« semblables. Tant que Sophocles en a écrit six vingts : 
« entre lesquelles est cette présente, intitulée Electra, 
« pource qu'elle y est introduite et y parle tant bien 
« et virilement que un chacun s’en peut donner mer- 
« veille. Euripide aussi et plusieurs autres ont com- 
« posé pareilles tragédies. Et la grâce d'icelles a 
« anciennement si bien régné, que les rois et princes 
« se mélaient d'en composer, mêmement Dionysius, 
« roi de Sicile, et Hérode, roi des Perses, et assez 
« d’autres. » La traduction d'Electra, par Lazare de 
Bayf, est loin d’être élégante. Nous ne pouvons la 


938 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


recommander; mais comme les exemplaires en sont 
devenus très-rares, nous en citerons un fragment. 
Electre, s'adressant à ses suivantes, les entretient en 
ces termes des chagrins qui l'accablent : 


Fort grand vergogne j'ai, ô vous femmes d’honneur, 
Si me pensez faiblette à porter ma douleur, 
Et trop être excessive ès lamentations ; 
Mais force m’y contraint et mes affections. 
Hélas! pardonnez-moi, car com possible est-il 
Que fille de maison et de cœur vrai gentil 
Ne fasse comme moi, se elle voit à l'œil 
Les grands pernicions du père dont j'ai deuil, 
Lesquelles vois de jour et de nuit pulluler, 
Sans dessecher en rien, dont faut braire et huller. 


Premièrement, à moi, la mère qui m’a faite 
Me haïit et veut grand mal, et me voudrait défaite; 
Après, en ma maison je vis et si fréquente 
Avec les meurtriers, et contre mon entente 
D’eux je suis impérée, et faut que preigne d'eux 
Ce que m’est de besoin, soit chair, vin, pain et œufs. 


Outre plus, cuides-tu que bon jour puisse avoir 
Quand me faut Egistus assis au siége voir, 
Au siége paternel, et le voir attourné 
De robe et vêtements dont fut jadis orné ? 
Le voir boire aux vaisseaux, tasse, coupe ou calice, 
Où mon père buvait en faisant sacrifice? 
Le voir sacrifier et célébrer aux dieux 
Où le mertre fut fait et en ces propres lieux? 
Le voir au lit couché, lui meurtrier de mon père 
(Le comble du malheur!), ensemble avec ma mère ? 


Te ge D A ST QT Re D ee LR OS de TR 


LAZARE DE BAYF. 239 


S’ainsi faut appeler tant malheureuse femme 

Qui couche avec un tel, sans penser être infâme, 
Et la voit-on avoir tant d’imprudence en soi 
Qu’ell’hante le meurtrier sans en être en émoi, 
Sans craindre aucunement d’'Erynnis la vengeance, 
Le jour qu’il fut tué fait dresser une danse, 

Et immole brebis aux dieux conservateurs, 
Toujours par chacun mois, afin qu’ils soient tuteurs 
De toute leur mesgnie, et fait dérision 

Du meurtre perpétré par telle occasion. 


Et je, qui vois cela, je, pauvre infortunée, 
Larmoyant me tourmente, au grenier mal menée, 
Du malheureux festin, que repas on appelle, 
Qu’à mon père fut fait, et si faut que me cèle, 
Car il ne m'est permis de plorer à plaisir 
Et ma mère ne veut m'en donner le loisir. 
La vaillante me dit ainsi, par grande injure : 
« O haine contre Dieu! en toi seule est Ja cure 
« De la mort de ton père, et nullui deuil n’en porte, 
« Fors toi; je prie à Dieu qu’en bref te voye morte, 
« Et les dieux infernaux, après être périe, 
Ne veuillent de ton cœur ôter telle crierie. » 


= 


Telle injure me fait, mais s’elle oit la nouvelle 
Qu’Orestes doit venir, alors ell’ n’est plus telle; 
Ains crie contre moi, enragée à demi : 
« N'est-ce pas toi qui es cause de tout ceci? 
« N'est-ce pas ton chef-d'œuvre? or, tu seule envahis 
« Orestes de mes mains et transmis hors pays; 
a Mais saches pour certain que la peine en paieras ; 
« Puisque j'en ai souci, tu le mal en auras. » 


Et ainsi me rechigne, et, son mari fâchant, 
L’exhorte de ce fait, le plus de tous méchant, 


v 


bus. 


240 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


L’injure d’un chacun, l’infime des plus bas, 

Qui veut avoir secours des femmes ès combats. 

Mais je, pauvre, péris, Orestes attendant, 

Et sèche sur le pied (comme il est évident), 

Pensant que son retour sera le sédateur 

De mes maux; mais je vois qu’il n’est qu’un cunctateur : 
Son « je viendrai » me met du tout en désespoir 

Et l'espoir me tollit lequel pourrais avoir. 


Cette citation sera jugée plus que suffisante. Nous 
mentionnerons sommairement les autres traduc- 
tions de Lazare de Bayf. La plus estimée est celle de 
l'Hécube : La tragédie d'Euripide intitulée Hécuba, 
traduite du grec ep rhythme française; Paris, Rob. 
Etienne, 1544 et 1550, in-8°. La Croix du Maine et Du 
Verdier ont parlé de ces deux traductions, mais ils ne 
paraissent pas avoir connu le Ravissement d'Europe, 
ouvrage posthume de Lazare de Bayf, publié en 1552, 
in-8°, par la veuve Maurice de La Porte. Au témoi- 
gnage de Du Verdier, lorsque la mort vint surprendre 
Lazare de Bayf, il traduisait les Vies de Plutarque, 
et son manuscrit inachevé fut déposé dans la biblio- 
thèque royale de Fontainebleau. 

Lazare de Bayf est encore auteur de petits Poëmes, 
. d'Épitaphes et de Ballades. Les vers suivants, adressés 
à Éléonore d'Autriche, sœur de Charles-Quint, 
lorsqu'elle se rendait en France pour épouser Fran- 
çois Ie", seront assurément mieux goûtés que les tra- 
ductions du même auteur : 


LAZARE DE BAYF. 9241 


Or est le temps et la joyeuse année, 
Princesse illustre et de bonne heure née, 
Qu'il est permis de divine ordonnance 
Qu’avecque vous paix nous soit amenée, 

Et quant et quant notre noble lignée, 

Les deux fleurons où gît notre espérance. 
Oh! quel plaisir, oh! quelle jouissance, 
France, qui n’a première ne seconde, 
Aura de voir, en sa terre féconde, 

Reine et enfants! Bien doit crier Montjoie, 
Vous appelant d’affection profonde, 

Tant que la voix jusqu’au ciel en redonde, 
Rabat de deuil et ressource de joie. 


D'infinis biens serez environnée, 
Et obtiendrez couronne fleuronnée 
Du haut blason qui du ciel prend naissance. 
Chacun dira : Dieu la nous a donnée 
Et bonne et belle , ainsi l’a ordonnée 
À notre roi d’invincible puissance. 
Ses mère et sœur nous feront assistance, 
Esquelles deux tout le trésor se fonde 
D'honneur et sens qui en ce siècle abonde : 
Dont louerez Dieu qui nous guide et convoie 
En compagnie à nous qui corresponde, 
Où vous vivrez en amour pure et monde, 
Rabat de deuil et ressource de joie. 


De bons prélats l’Église accompagnée, 
Et dignement de reliques ornée, 
Vous recevra en douce résonnance 
De dévots chants, la face à Dieu tournée. 
Noblesse après, à vous tant adonnée, 


249 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


Commence jà fourbir harnais et lance 

Pour devant vous tournoyer à plaisance. 

Puis, franc Gontier, qui de plaisir débonde. 
Laissant brebis, sa panetière et fonde, 

S’en veut aller danser sous la saussoie, 

Et par la main tient Hélène la blonde, 

En lui disant : Nous aurons, qui qu’en gronde, 
Rabat de deuil et ressource de joie. 


Reine sans pair, douce, humaine et faconde, 
Un frère avez qui tient la pomme ronde, 
Et vous serez (il faut bien qu’on le croie) 
Femme à un roi le plus grand de ce monde. 
Dieu vous forma sous planète féconde 
Rabat de deuil et ressource de joie. 


Les dépêches diplomatiques de Lazare de Bayf for- 
meraient un recueil considérable, si elles étaient toutes 
publiées. On ne connait guère que celles qui furent 
éditées, en 1619, par le chanoine Nicolas Camusat, 
dans ses Mélanges historiques (1). Elles sont au 
nombre de dix-neuf, toutes adressées à l’évêque 
d'Auxerre : la première porte la date du 40 décembre 
4531 et la dernière celle du 15 janvier 1533. Elles 
ne contiennent pas de renseignements curieux (2). 

Ces lettres, dont Camusat avait les originaux entre 


(1) Deuxième partie, p. 143. 

(2) M. Charrière a reproduit quelques-unes de ces lettres 
dans le tom. I de son recueil intitulé : Négociations de la France 
dans le Levant. 


LAZARE DE BAYF. 243 


les mains, ne sont, toutefois, qu'une partie de celles 
qui, dans le même espace de temps, furent adressées 
par Lazare de Bayf à l'évêque d'Auxerre. Dupuy en a 
recueilli vingt autres, écrites du 25 janvier 14531 au 
6 février 14533, qui se trouvent à la Bibliothèque 
impériale, sous le n° 265 de la collection de Dupuy. Ce 
sont les missives originales; elle portent presque toutes 
la signature de Lazare de Bayf. Nous les jugeons 
encore moins intéressantes que celles dont nous venons 
de parler. Si l'on n'avait que cette partie de sa cor- 
respondance, on pourrait croire que l'ambassadeur du 
roi de France près la révérendissime Seigneurie s'oc- 
cupait uniquement, à Venise, de ses affaires person- 
nelles et considérait celles de l’état comme étant de 
moindre importance. Mais ces lettres de Bayf, 
recueillies par Dupuy, ne sont pas les seules que 
possède la Bibliothèque impériale. Dans un recueil, 
autrefois inscrit sous le n° 2,113 au nombre des 
précieux manuscrits de la bibliothèque Colbert, se 
trouvent environ deux ou trois cents dépêches attri- 
buées par Baluze à notre Lazare de Bayf. Ce ne 
sont pas des originaux, mais des copies. Nous 
citerons une de ces lettres encore inédites : 


« SIRE, 


« Ayant trouvé la commodité de ce gentilhomme qui 
s’en va en diligence en Angleterre ambassadeur pour le 
pape, n'ai voulu omettre de vous écrire par lui les pré- 


8° 


244 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


sentes, nonobstant que vous aie écrit des 8 et 13 de ce 
mois, pour faire savoir que j'ai été averti que Michael 
Angelo, excellent peintre, voyant le danger de Florence, 
s’est retiré en cette ville et ne se montre point, car il n’y 
veut pas faire sa demeure. Et crois fermement que sil’on 
lui offre quelque bon parti en votre nom, il serait pour 
l’accepter. Vous savez l'excellence du personnage en son 
art. S'il vous plaît le retirer (1), en me faisant savoir, j’en 
ferai mon effort, et cependant n’omettrai de chercher le 
moyen à le pratiquer, étant assuré que ce faisant vous 
ferai service, qui est la chose du monde que plus désire. 


« Du 14 octobre. » 


Bayf connaissait bien François I; il savait que 
rien n’eût plus flatté ce grand prince qu'une visite du 
sculpteur Michel-Ange! Tel était le respect qu'on avait 
alors pour le génie, à Fontainebleau, à Rome, à 
Madrid, et même à Constantinople, puisque Soliman, 
à l'exemple des plus grands rois de la chrétienté, 
se fit représenter par ambassadeur dans l'atelier de 
l'illustre Florentin! La négociation conduite par 
Lazare de Bayf n'eut pas le résultat qu’il en avait 
espéré. Michel-Ange ne se décida pas à quitter 
l'Italie. | 

Outre les lettres de Bayf qu'on peut lire au n° 265 
de la collection Dupuy et dans les manuscrits pro- 
venant de la bibliothèque de Colbert, on en ren- 
contre six autres encore dans les manuscrits du fonds 


(1) L'appeler à vous. 


LAZARE DE BAYF. 245 


de Béthune. Ces lettres, adressées au roi, à M. de 
Montmorency et à M. de Villandry, se trouvent dans 
les recueils inscrits sous les num. 2985, p. 88, 3045, 
p. 19, 3050, p. 63, 3081, p. 36, et 3096, p. 68. 

Outre Ronsard, Scévole de Sainte-Marthe et Salmon 
Maigret ont pompeusement célébré le mérite de Lazare 
de Bayf (1). 


(1) Voici quelques vers de Salmon Maigret (Macrinus) : 


Lumen supremæ, Lazare, curiæ, 
Legationis munere regiæ 
Qui functus, æternum reportas 
Patribus a Venetis honorem, 


Turbæ imperitæ barbara factio 
Quid moliatur providus aspicis, 
Quantoque conspiret furore 
Artium in interitum bonarum. 


Quod ni patronum res te Heliconia 
Gignata fortem, et vindice ni manu 
Tutere, lorica trilicique 
Ejus opes prope dissipatas, 


De disciplinis ilicet omnibus 
Quas liberales jure bono vocant, 
Utraque de lingua sit actum, et 
Parisiæ studiis Minervæ.… 


S. Macrini Fymn., lib. II. 


246 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 


BAYF (:ULIEN DE). 


Nous lisons dans la Bibliothèque française de La 
Croix du Maine : « Julien de Bayr, gentilhomme du 
«Maine, protonotaire du Saint-Siége apostolique, 
« chanoine en l'église du Mans, seigneur d'Espineu- 
« Le-Chevreuil, au: Maine, parent de Lazare de Bayf, 
« sieur des Pins en Anjou. Ledit Julien de Bayf était 
«homme docte et de grand jugement. Je ne sais si 
«c'est celui duquel il se voit un discours de son 
« voyage en Hiérusalem; car celui-ci chanta sa pre- 
« mière messe au saint sépulcre dudit lieu : mais 
« pour .ce qu'ils ont été cinq frères de ce nom de Bayf 
« qui ont voyagé en Hiérusalem, je ne puis assurer 
« si ç'a été celui-ci qui a composé ledit voyage. Et 
« faut encore noter ici une chose très-admirable et 
«bien digne de remarque; c'est qu'il y a eu cinq 
« frères de cette maison de Bayf, lesquels se trou- 
« vèrent en Hiérusalem sans que pas un d'eux eût 
« donné avertissement de partir pour y aller, et tous 
«s’acheminèrent sans le su l'un de l'autre. J'ai 
«entendu qu'il y avait en l’abbaye de Saint-Calais et 
«autres lieux un tableau faisant mention de cette 
« histoire, mais elle ne s'y voit plus, à cause 


« 


JULIEN DE BAYF. " 947 


que les troubles et séditions advenues pour la 
religion ont causé ces ruptures et brisements 
d'églises, et par conséquent ce qui était de beau 
et de mémorable en icelles. Or, pour revenir 
au propos dudit sieur d'Espineu, Julien de Bayf, 
je n'ai point connaissance d'autres de ses écrits ; 
toutefois j'ai opinion que ce voyage de Hié- 
rusalem ait été composé par icelui. Il se voit 
écrit à la main chez Monseigneur de Mali- 
corne, messire Jean de Chourses, son parent, en 
sa terre de Mengé, au Maine, et autres lieux et 
seigneuries qu'il possède. Il florissait en l'an de 
salut 1519. » 

Les renseignements que contient cette notice de 


La Croix du Maine sont en partie confirmés par 
une note insérée dans le Cartulaire du chapitre 
du Mans. Voici cette note: « Maître Julien de 


« 
« 
«C 
« 
« 
« 
« 
« 


« 


Bayf, prêtre, protonotaire de la sainte église 
romaine, issu de père et de mère nobles, qui 
visita la Terre-Sainte avec ses trois frères ger- 
mains, fonda, le 46 décembre 1524, une pro- 
cession qui doit être perpétuellement célébrée dans 
l'église du Mans, le jour de l'Ascension. À cette 
fin il légua 600 livres tournois aux chanoines 
de la cathédrale et 100 aux chanoines de Saint- 
Pierre-La-Cour (1). » Nous trouvons encore 


(1) Charlular. capit. Cenoman., parmi les Man. latins de la 


Biblioth. impér., num. 5211 B., p. 103. 


248 HISTOIRE LITTÉRAIRE DU MAINE. 

Julien de Bayf parmi les exécuteurs testamentaires 
du cardinal Philippe de Luxembourg. On ne sait 
ce qu'est devenue cette relation d'un voyage en 
Terre-Sainte dont il ne parait pas certain qu'il soit 
l'auteur. 


FIN DU TOME PREMIER. 


TABLE 


DES 


NOTICES CONTENUES DANS CE VOLUME 


Pages 
ODA tn 1 
Adam de Perseigue..… Hies _ 20 
Adelhelme TS Ne ÿ! 
Allard (Claude)... I PTE ÿ8 
Allon Gervais) es ee Re ne 59 
Amellon (Marin) RE 60 
Amy (PICPPO):smu ne Re is .… 63 
AMYS (PICRPO) men nice annee 67 
Auger (JaCuES 5122 nm ed see 74 
AFChAMPAUIL en un sensations | 14 
Archange (Nicolas)... a 75 
Articus Albulei.…….… A 76 
Assoline:(Nicolas) sn nn se nn acts 78 
AUDErL (Jéan)sEsnns sin nt taire … 18 
Aubert (Jacques), poëte see 80 
Aubert (Noël)... Made iet 80 
Aubert (Jacques), médecin... ass He 98 
Aubert (François) re dRen ue 105 
Aubert (Charles) ne A - 106 


Aubert de La Chenaye-Desbois ….………… 111 


LAS 
L 


-  % ; > 
= SL ar en 
, "+. # v 


250 TABLE DES NOTICES. # 


+ 


>». 


Aubery (Jacques) a  . 
Aubery du Maurier (Benjamin)... PR ee 
Aubery du Maurier (Louis)... 
AUDOUNE (PICLEE sn ed cena 
+ Avesgaud ne DS dE 
Avost (Jérôme d”) nier IN 
Bachelo ECM Ves nn en nn née 
Bahier (Jean)... a ee 
Barbeu-Dubourg Ne ae ns 
Baudouin (Nicolas). ae. sensé , 
Baudry (RCDÉ) …. …....... ........ 
PauldE  CMIChEDhESS  e s 
Bayf (LA2aTE do) sou des nn esr e-Nsus 
Ba OuDén A6) ns ne ture 


* 
FIN DE LA TABLE DES NOTICES,. 


Ya 


+ mes 
$ 


119 
136 
185 
196 
197 
199 
204 
206 
218 
223 
294 
225 


227 


246 


Le Mans. — ‘yp. Ed. Monnoyer. — 1870. 


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